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AU COLLÈGE, LA PRÉSENCE APAISANTE DES MÉDIATEURS

CD92/Stephanie Gutierrez-Ortega

Entre deux cours, leur porte est toujours ouverte aux collégiens. Depuis vingt-cinq ans, à l’initiative du Département, les médiateurs éducatifs participent à l’amélioration du climat scolaire et jouent un rôle clé dans la prévention des conduites à risque.

À l’étage, elle jouit d’une vue dégagée sur la cour et les différents bâtiments. « Ici, je suis dans ma tour de contrôle », sourit Halima Habas, médiatrice au collège Jean-Jaurès, à Clichy-la-Garenne. Toujours le mot pour rire, le verbe haut, la médiatrice en impose s’il le faut aux plus turbulents. « Mais plupart du temps j’essaie d’intervenir avant les conflits. Je veux être dans la confidence, capter ce qui se passe, y compris sur les réseaux sociaux… Car certaines histoires peuvent débuter sur Tik Tok… » Pendant les récrés, sur les temps de permanence, son bureau est pris d’assaut. Amitiés toxiques, intimidations… elle tente toujours de « démêler le pourquoi du comment, de savoir qui a dit quoi ». Surtout, ne pas laisser s’envenimer ces « histoires de gamins ». « En instruisant ces petites histoires, elle nous permet d’éviter les sanctions injustes en conseil de discipline. Et elle nous alerte sur les situations les plus graves », souligne Hariel Harry, la principale du collège.

Ne pas juger, responsabiliser l’élève, développer son empathie… C’est l’approche mise en œuvre par Ophélie Chekroun, arrivée il y a un an au collège Louis-Blériot, à Levallois.© CD92/Stephanie Gutierrez-Ortega

Difficiles « années collège » qui sont aussi celles de la crise d’adolescence. « C’est l’âge où il sont encore très encadrés mais où ils ont aussi très envie de s’exprimer », explique Arlette Boutin, responsable de l’unité de médiation éducative au Département. Désormais incontournables, les médiateurs sont arrivés sur le terrain il y a vingt-cinq ans, à l’initiative du Département. « Le cœur de métier du médiateur, c’est l’écoute. Avec lui, les jeunes se sentent entendus sans avoir peur de la sanction, poursuit Arlette Boutin. C’est aussi l’adulte de référence auquel on va signaler quand un autre élève ne va pas bien. » Loin de se cantonner à ce suivi individuel, le médiateur intervient aussi largement « dans le cadre d’actions de prévention ». Dix jours de formation par an permettent de rester en phase avec les problèmes de société et de se familiariser avec les techniques de communication non violentes ou collaboratives.

Professionnel de la relation

À Clichy, Halima Habas multiplie les initiatives à l’échelle de l’établissement, par exemple lors de la journée de lutte contre le harcèlement scolaire, en novembre, ou de façon plus ciblée dans une classe. « Récemment, j’ai dû faire plusieurs séances sur le vivre-ensemble dans une sixième où il y avait une mauvaise ambiance, un effet “bouc émissaire”, des moqueries et intimidations ». Sur la plateforme collaborative oZe, elle a aussi créé un « mur numérique », rempli de ressources « clé en main » sur les discriminations. « Le but du jeu est que professeurs et surveillants s’en saisissent pour sensibiliser à leur tour ». Car seul, le médiateur ne peut rien : ni surveillant, ni conseiller principal d’éducation (CPE), ni travailleur social, ni psychologue, « ce professionnel de la relation » travaille avec tous ces intervenants et avec l’environnement au sens large : associations, clubs de prévention, centre d’éducation et de planification familiale, policiers référents…

Autre collège, mais même attention envers les jeunes. À Blériot (Levallois-Perret), la médiatrice prend, elle des notes pour ne pas perdre une miette des événements ! « Entre journaliste et prof, j’ai longtemps hésité. Finalement, j’ai été animatrice d’ateliers philo, je suis aussi intervenue dans les collèges, en matière d’éducation au consentement, explique Ophélie Chekroun. Ici j’ai un peu toutes ces casquettes ! » Il y a un an, comme tous les nouveaux venus, elle a bénéficié d’un tutorat de dix jours avant d’entrer dans le bain. Attentive aux élèves isolés, trop silencieux, qu’elle aborde d’une voix douce et chaleureuse, cette philosophe de formation recherche toujours le dialogue, y compris avec les fauteurs de troubles. « J’essaie de développer leur empathie. À treize ans, ils peuvent concevoir l’altérité et comprendre que quelque chose qui les fait rire, eux, peut blesser l’autre. Qui dit milieu favorisé ne veut pas dire 19 de moyenne et absence de problèmes. Des élèves peuvent avoir des journées à rallonge avec beaucoup d’activités après l’école. D’autres passent des heures sur des jeux vidéo en attendant leurs parents. Il y a aussi pas mal de séparations mal vécues ».

Parmi les projets fédérateurs à Louis-Blériot, la réalisation d’une fresque pour le futur foyer du collège, auquel participent des volontaires et une surveillante dotée d’un bon coup de crayon.© CD92/Stephanie Gutierrez-Ortega

Raccrochage scolaire

Toujours sur la brèche, les médiateurs s’adaptent en permanence. Halima Habas se mobilise ainsi depuis quelque temps contre le risque prostitutionnel des jeunes, phénomène en plein essor sur le territoire, au sein d’un groupe de travail départemental. « Aujourd’hui, les jeunes filles se dénudent de plus en plus facilement sur les réseaux sociaux. Cette facilité à s’exposer est une porte d’entrée vers le michetonnage (prostitution occasionnelle, Ndlr) ». La prévention, estime-t-elle, passera forcément par un travail sur « l’estime de soi » ou encore « la déconstruction des messages véhiculés par la téléréalité ». Dans son collège, la crise sanitaire a aussi aggravé l’absentéisme chronique. « Le confinement a eu des séquelles, scolaires et en termes de santé mentale. » À la demande des professeurs principaux, elle assure des tutorats pour les élèves les plus en difficulté. Avec les associations « Viens voir mon taf » et « Moi dans 10 ans », elle se bat aussi pour que les troisième fassent des « stages d’observation de qualité » ayant vertu, parfois, de « raccrochage scolaire ». Si bien que Chanel, le Crédit Agricole ou encore Amazon accueillent ses « protégés ». « C’est la même chose, quel que soit le collège : beaucoup d’adolescents ne s’acceptent pas, se cherchent, explique celle qui officie depuis bientôt vingt ans comme médiatrice. Ma plus belle réussite, c’est quand un jeune réussit son orientation et son passage à l’âge adulte. »

Le médiateur doit pouvoir travailler avec toute la communauté éducative.

À Clichy-la-Garenne, Halima Habas s’implique chaque année dans l’organisation de stages de qualité pour les élèves de troisième qui auront pour certains vertu de « raccrochage scolaire ».© CD92/Stephanie Gutierrez-Ortega

Dynamique d’établissement

Comme Halima et Ophélie, la majorité des médiateurs sont désormais des femmes. « En 1996, avec les premiers médiateurs, on était encore dans une logique de “grands frères” qui géraient les conflits. Depuis, le volet “prévention” a pris davantage de place », souligne Arlette Boutin. Au cours de cette année 2021-2022, dix nouvelles conventions seront signées afin de répondre à la demande. Dans le courant du premier trimestre, de 73, les médiateurs s’apprêtent à passer à 83, désormais présents dans pas moins de 74 des 98 collèges publics. « Pour les affectations, l’un des points les plus importants est la qualité de la coopération avec le principal : le médiateur doit pouvoir travailler avec toute la communauté éducative et participer au projet d’établissement », précise Arlette Boutin.

À Blériot, le projet de foyer des élèves, dans lequel s’investit Ophélie Chekroun, est emblématique de cette dynamique d’établissement. Pour embellir le local, une poignée de troisième a entrepris sous sa houlette une grande fresque, reprenant le motif de la vague du peintre japonais Hokusai. Les gestes, au marqueur, sont plus ou moins assurés mais l’ambiance des séances détendue. « Elles réalisent quelque chose de concret qui leur donne confiance en elles. C’est aussi un moyen d’apprivoiser l’erreur, qui peut être créative et non définitive ». « Depuis un an, elle a beaucoup apporté au climat scolaire, estime la CPE, Sonia Akacha. Au sein du conseil de la vie collégienne (instance qui favorise l’implication des élèves, Ndlr) elle a pris sa place et mène énormément de projets. L’année dernière les élèves ont remporté avec elle le Trophée MéDDailles (concours autour du développement durable organisé par le Département, Ndlr) et elle a travaillé avec les quatrième sur un distributeur de protections hygiéniques gratuites ». Et cela continue. Installée bien en évidence à l’entrée du bureau de la médiatrice, la « boîte à idées » tourne visiblement à plein régime. 

Pauline Vinatier

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