Posté dans Rentrée scolaire

AU COLLÈGE, L’ENTRAIDE EN MODE AGILE

La main Phoenix a été conçue par une communauté de makers bénévoles, tout comme le tutoriel qui l’accompagne afin de la réaliser en toute autonomie. CD92//Julia Brechler

À l’initiative du Département, sept établissements dotés d’imprimantes 3D se sont lancés dans la réalisation de mains artificielles. L’occasion, à la fois, de sensibiliser les élèves au handicap et à la fabrication d’un objet sur mesure, à la façon des makers.

L’opération demande entre eux une coordination parfaite. « Il faut que tu continues à appuyer avant que le plastique ne durcisse », avertit Ibrahima tout en maintenant un sèche-cheveux à quelques millimètres de la pièce tandis que Nedal fait pression à l’aide d’un tournevis pour l’arrondir. « Si j’appuie trop fort, ça va se casser », rétorque ce dernier. Grâce à leurs efforts conjugués, le morceau de plastique prend sa forme définitive, celle de la paume d’une main. Au moyen d’un moule en carton, les deux élèves ont préalablement thermoformé le « gantelet », dans lequel doit venir s’insérer le poignet du futur utilisateur. Pas à pas, la classe de 4e D doit ainsi parvenir à une main articulée complète. « C’est assez costaud à réaliser mais je les laisse un peu galérer pour les rendre plus autonomes », confie Nadyra Boussadia qui a elle-même appris à fabriquer un prototype de main « Phoenix » lors d’un workshop organisé pour les enseignants. L’appareil a été conçu par la communauté e-Nable – née en 2011 aux États-Unis – en vue d’équiper des personnes privées de doigts ou de poignets du fait d’un accident ou d’une malformation rare, l’agénésie. Adeptes du mouvement maker associé à l’émergence d’un « web 3.0 », ces bénévoles conçoivent, fabriquent et perfectionnent des objets en mode collaboratif. « On est hyper-agiles, explique Thierry Oquidam, fondateur de l’association e-Nable France. Dès que quelqu’un a une idée, il la soumet à la communauté : si elle est bonne, on la met en œuvre, sinon on l’abandonne. Nos appareils évoluent en permanence. » Le procédé d’impression 3D, « où l’on ajoute de la matière au lieu de l’enlever », permet « d’obtenir des pièces complexes immédiatement opérationnelles en sortie de machine et à coût réduit ». Celui d’une main « Phoenix » ne dépasse pas les cinquante euros, ce qui permet aux bénévoles de l’offrir – la plupart du temps à des enfants qui changent souvent de matériel. Pour mieux leur plaire, les appareils se parent alors de couleurs vives et d’autocollants.

La fabrication de la main a permis à cinq classes de quatrième des Champs-Philippe de se lancer dans un projet collaboratif.© CD92/Julia Brechler

Dimension éco-durable

Les collèges, équipés pour plus de la moitié d’entre eux en imprimantes 3D, étaient des contributeurs tout trouvés pour e-Nable France, qui joue les intermédiaires entre les familles, d’un côté, et les particuliers, entreprises ou institutions capables de fabriquer une main de l’autre… Toutes ces machines avaient déjà permis de réaliser quatre cents visières de protection pendant la crise sanitaire tandis que des agents de maintenance des collèges les ont utilisées pour réaliser de petites pièces au quotidien. Elles ont aussi été utilisées par les élèves dans le cadre d’un premier projet pédagogique, Imagine Ton Collège, pour repenser en 3D des espaces de leur établissement. « Au-delà du matériel que nous fournissons, l’objectif est que les jeunes travaillent sur des projets innovants et qui ont du sens. Nous avons voulu profiter de cet élan pour proposer une nouvelle thématique », explique Amaury Fruchard, de la mission « Innovation et prospective numérique » du Département. Avec ce projet axé sur la sensibilisation au handicap, une fois n’est pas coutume il ne s’agit pas d’un concours : « Ainsi chaque établissement peut aller à son rythme et mettre en adéquation la proposition avec son projet pédagogique. » Sept collèges étaient partants pour la première édition de ce dispositif baptisé « Des Mains et Des Sourires » : Moulin Joly à Colombes, Maréchal-Leclerc à Puteaux, Armande-Béjart à Meudon-la-Forêt, Georges-Sand à Châtillon, Les Petits-Ponts à Clamart, Anne-Frank à Antony et les Champs-Philippe à La Garenne-Colombes, où la fabrication de la main a été intégrée au cours de technologie de quatrième. « C’est un projet qui permet d’aborder les compétences scolaires tout en apportant une forte dimension sociétale », estime le principal, Kader Mimoun. L’établissement, doté d’une classe Ulis et accueillant des élèves en situation de handicap, met l’accent sur l’inclusion scolaire et sur les compétences numériques. Un fablab doit d’ailleurs voir le jour en salle de techno. « Avec la conception assistée par ordinateur et les outils dont nous disposons aujourd’hui, comme les imprimantes 3D, le champ des possibles s’est élargi », se réjouit le principal, ancien professeur de technologie. Autre atout des imprimantes 3D : « sensibiliser les élèves à la dimension éco-durable », puisque ce procédé produit très peu de déchets et fonctionne avec du PLA, matériau issu de ressources renouvelables : amidon de maïs, tapioca, canne à sucre…

Émulation collective

Au sortir de l’imprimante du collège, la main Phoenix – qui tenait à l’origine dans un fichier en licence libre – se présentait sous la forme d’un plateau dont il a fallu détacher une à une les composantes encastrées. Une trentaine de pièces rouges et noires toutes fraîches étalées sur la table que Naïm, Lazard, Francisco, Yassine et Nathan sont à présent en train de délivrer de leur surplus de plastique, armés de pinces et de tournevis. Là encore, il s’agit de ne rien abîmer : « Il faut plus d’une heure pour imprimer une pièce et, pour toute la main, vingt-deux heures », remarque Naïm. « Même si cela ne nous déplaît pas d’habitude de travailler sur des ordinateurs, là c’est varié et on s’occupe manuellement, poursuit Yassine. Savoir que cette main peut aider quelqu’un nous motive encore plus. » L’émulation est palpable dans chacune des cinq classes : certains ont ainsi souhaité refaire eux-mêmes une pièce de la main sur SketchUp ou Blender ; d’autres réaliser un appareil en matériaux recyclables « qui doit pouvoir se plier uniquement grâce à la pression, sans utiliser l’autre main » ; d’autres encore prennent sur leur temps de permanence pour fabriquer une prothèse hybride, mêlant carton et pièces imprimées en 3D. « Je les laisse développer leur créativité et je rajoute même parfois des difficultés. L’important est qu’ils expérimentent », estime Nadyra Boussadia. En plus de ces assembleurs, de ces ingénieurs, de ces designers, une équipe joue les reporters, incluant Rebecca et Laura, élèves de classe Ulis. « Même s’ils passent 80 % de leur temps ensemble, il y a parfois une barrière entre ces élèves en situation de handicap et les autres. Ce projet les oblige à s’impliquer davantage car elles doivent aller à la rencontre des autres et sont considérées comme des ambassadrices. » Leur journal, réalisé sur l’environnement numérique de travail et l’interface Madmagz, sera transmis au parrain du projet, le navigateur Damien Seguin.

Les élèves alternent travail sur écran et manuel, ici le nettoyage minutieux de chacune des pièces au sortir de l’imprimante 3D.© CD92/Julia Brechler

Parrain navigateur

Né sans main gauche, ce quadragénaire n’en a pas moins fait de sa passion, la voile, un métier. Devenu sportif de haut niveau, il est multi-médaillé paralympique et se mesure aux plus grands – en témoigne sa 7e place lors du dernier Vendée Globe. Une figure inspirante avec qui ont pu échanger trois établissements au printemps dernier, par webconférence interposée. « Les élèves avaient l’air grave, contrairement à d’habitude, et ont posé plein de questions », raconte Nadyra Boussadia. Comment vivait-il le regard des autres à leur âge, comment l’appréhension de son handicap a-t-elle évolué au fil du temps, que faire avec une main en moins dans un monde de compétiteurs ? Au terme d’une heure de discussion apparaît un message fort : « L’important ce n’est pas la façon dont on fait quelque chose, c’est le résultat, explique le skipper. Si j’ai souffert de la comparaison avec les autres au collège et au lycée, ce n’est plus le cas ; j’ai depuis longtemps accepté mon handicap. Je fais les choses à ma manière et ce qui compte c’est que suis capable de les faire très bien. » Damien Seguin a désormais sa propre main e-Nable : en juin, une délégation du collège Maréchal-Leclerc, à Puteaux, s’est rendue aux Sables-d’Olonne où le navigateur prenait le départ de la course Vendée Arctique sur son Imoca de près de vingt mètres, pour la lui remettre, couronnement d’une année d’efforts.

En six mois, le matériel produit est important. L’ensemble des mains seront examinées par E-Nable. Si tous les participants ne pourront obtenir la certification pour être mis en relation avec des enfants à équiper, cela n’affecte en rien l’intérêt du projet aux yeux d’Amaury Fruchard : « Cette action nous a permis de sensibiliser les élèves au handicap et de leur montrer qu’on pouvait faire autre chose que des coques d’iPhone avec des imprimantes 3D, rappelle-t-il. C’est aussi un moyen de faire connaître l’existence des makers aux familles. » En 2022-2023, Des Mains et Des Sourires pourrait donner lieu à de nouveaux partenariats et développements, en mode agile toujours. Aux Champs-Philippe, par exemple, on rêve d’une main robotique, piste que n’écartaient pas a priori les organisateurs au terme de la première édition, d’autant que le prototype existe déjà chez e-Nable sous le nom de main Hackberry. À suivre…. À maker équipé, informé et motivé, rien d’impossible. 

Pauline Vinatier
hauts-de-seine.fr et e-nable.fr

 

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