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D’autres chemins vers l’emploi

Chaque année, une cinquantaine d’actions d’insertion sont financées par le Département pour faciliter le retour à l’emploi des bénéficiaires du RSA. Reportage.

Dans l’atelier, le bruit de la machine à coudre se fait lancinant. Cathy est en train de mettre la dernière touche à sa pièce, destinée à protéger les selles de vélo de la pluie. Depuis un an et demi, elle coud ici, à raison de quatre jours par semaine, au sein du chantier d’insertion Rayon Vert lancé par l’association Arpeije à Clamart. « J’étais sans emploi depuis 2009 et le RSA ne dépanne pas toute une vie, donc je voulais reprendre une activité. Ici, on apprend quelque chose tous les jours et à notre rythme. »

Arpeije est née en 1981 afin d’insérer socialement et professionnellement des adultes de 18 à 60 ans en difficulté dans leur recherche d’emploi. En 2015, l’association clamartoise a ajouté une corde à son arc en proposant directement un premier chantier d’insertion par l’activité économique centré sur la réparation de vélos. Deux ans plus tard, un deuxième a vu le jour, axé cette fois-ci sur la confection d’accessoires pour les deux-roues à partir d’un matériau bien particulier : des bâches. « Il répond à une vraie demande autour de la consommation d’objets recyclés, explique Carole Lacour, directrice de l’Arpeije. Ces bâches étaient vouées à être jetées mais nous leur donnons une deuxième vie en fabriquant à la main des pièces uniques. » Peu à peu, la gamme s’est étoffée avec désormais des porte-cartes, des pochettes pour ordinateur ou des cabas. À côté de Cathy, Flora travaille sur un modèle de sac « berlingot » tout vert. En salopette, les cheveux relevés en chignon, elle découpe patiemment en suivant les contours de ses patrons en carton. Elle est arrivée en janvier dernier, forte de ses vingt-cinq ans d’expérience dans la couture dans son pays d’origine, l’Algérie. « Là-bas, j’ai vraiment tout fait : des blousons en jean, des blouses d’infirmière ou de chirurgien, mais jamais de la bâche ! Je suis vraiment très contente car j’apprends de nouvelles choses. » Face à elle, Jean-Ida, passée en trente-cinq ans de carrière par de prestigieuses maisons de couture comme Paco Rabanne, acquiesce. « J’ai cinquante-neuf ans et je pensais qu’après ce contrat ici, j’allais m’arrêter. Mais finalement, j’ai élargi mes compétences et je fourmille de nouveaux projets ! Désormais, j’ai envie de transmettre, de partager ces connaissances. » Les trois salariées sont embauchées en CDDI, des contrats d’insertion limités à deux ans. Ensuite, libre à elles de continuer dans le domaine de la couture. « Le but est avant tout de revenir dans le monde du travail et de leur redonner confiance en elles », poursuit Carole Lacour. Même si leurs créations sont vendues sur les marchés, dans les entreprises ou à la boutique de Rayon Vert dans le centre de Clamart, « l’objectif n’est pas la rentabilité, insiste Peggy Leblond, l’encadrante technique du chantier. Elles font l’intégralité de leur pièce toutes seules, ce qui est gratifiant pour elles ». L’an dernier, Arpeije a obtenu une aide du conseil départemental pour ce chantier d’insertion. « C’est indispensable pour nous car cela nous aide à rémunérer les salariées, explique Carole Lacour. Nous ne sommes pas un atelier lambda. Nous n’avons pas les mêmes coûts de production et avons besoin d’aide pour les frais de fonctionnement. »

Les bâches utilisées par Le Rayon Vert proviennent des collectivités environnantes.©CD92/Willy Labre
 

Encadrement social

À l’instar de Clamart, quarante-huit actions ont été financées en 2018 par le Département des Hauts-de-Seine au titre de l’IAE, l’Insertion par l’activité économique. Elle est destinée aux bénéficiaires du RSA – le revenu de solidarité active -, versé aux demandeurs d’emploi ou à ceux dont les revenus sont inférieurs à cinq cents euros par mois. Parmi ces actions soutenues dans trente-six structures différentes, on retrouve des chantiers d’insertion comme Le Rayon Vert, mais également des entreprises d’insertion ou des associations intermédiaires. Les personnes trouvent ainsi un travail adapté à leurs capacités et un accompagnement pour se préparer à retrouver un emploi dans une entreprise ordinaire. En moyenne, les contrats signés oscillent entre 25 et 35 heures par semaine dans des secteurs très variés comme le bâtiment, les services à la personne ou encore les espaces verts et la restauration.

L’aide du Département, elle, est axée sur l’accompagnement socio-professionnel du bénéficiaire puisque celui-ci est entouré pendant son contrat par un encadrant technique et un chargé d’insertion. « Pendant son temps de travail, on prend un moment pour l’aider à définir son projet professionnel, rédiger son CV, participer à des ateliers. L’objectif est de les pousser vers un emploi pérenne », explique Nathalie Pradeau-Fougerol, chargée de projet IAE au conseil départemental. L’an dernier, près de 1,4 million d’euros a été versé à ces structures d’insertion.

Pochettes pour ordinateur portable, sacoches à vélo… À partir des bâches, la gamme est large.©CD92/Willy Labre
L’atelier couture du Rayon Vert emploie trois salariées.©CD92/Willy Labre
 
 

Petit déj en entreprise

Si la plupart de ces entreprises ou associations sont désormais bien installées dans le paysage, d’autres bénéficient, grâce à l’IAE, d’un petit coup de pouce au moment de leur lancement. Dans les cuisines du Château de Nanterre, Hugo et Sophat finissent de préparer les smoothies qui seront servis le lendemain à une start-up parisienne. Hugo Paroux s’est lancé, il y a un an et demi, dans l’entreprise Daily’Dej, un service qui propose aux entreprises de livrer chaque matin un copieux petit déjeuner à leurs salariés. Sophat est depuis peu le nouveau salarié en insertion de l’entreprise. Aujourd’hui, il épluche patiemment pommes et kiwis avant de les passer au mixeur ou à l’extracteur de jus. Après trente ans d’expérience dans le monde de la boulangerie, Sophat ne quitte pas le domaine de la restauration. « J’ai travaillé dans plusieurs établissements en région parisienne mais je ne faisais qu’enchaîner les petits contrats. Aujourd’hui, je cherche quelque chose de stable pour retrouver confiance en moi », explique ce Nanterrien. Cette stabilité et cette confiance, Hugo Paroux les lui a apportées. Cet ancien salarié de la finance s’est reconverti dans ce domaine après un constat très simple : « Je suis moi-même client de la solution que je propose. Quand on a des horaires à rallonge, on rentre chez soi tard et donc on se lève tard, sans prendre de petit-déjeuner. Nous avons fait une étude auprès de deux cents personnes : 60 % d’entre elles ne mangeaient pas le matin. » Viennoiseries, barres de céréales, jus de fruits… Hugo Paroux a décidé de miser sur le local et l’éthique. « Les croissants viennent d’une boulangerie locale avec laquelle nous avons passé un partenariat, nous fabriquons nous-mêmes nos barres et nos fruits sont bio. » Le tout est confectionné dans les cuisines collaboratives de United Kitchen, au Château de Nanterre, où les start-ups peuvent louer des plans de travail à l’heure. « Une cuisine professionnelle coûte très cher. Cette solution permet de maîtriser nos coûts et de travailler à notre rythme. » Pour le moment, l’entreprise a nourri une quinzaine d’entreprises, soit environ deux cents petits-déjeuners servis.

Les petits déjeuners de Daily’Dej sont confectionnés dans les cuisines collaboratives du Château de Nanterre.©CD92/Willy Labre

Du monde de la finance à l’entreprise d’insertion, le fossé peut paraître immense. Hugo Paroux s’est pourtant décidé à le franchir. « Quand je me suis lancé, j’ai travaillé depuis des tiers-lieux qui accueillaient beaucoup d’entreprises d’insertion. Ça m’a beaucoup influencé dans l’axe que j’ai voulu donner à Daily’Dej. Mais c’est un milieu qui demande beaucoup de connaissances : il faut avoir un projet d’encadrement technique et social. » En parallèle de son expérience ici, Sophat passera un diplôme par validation d’acquis d’expérience pour devenir agent polyvalent de restauration, ce qui lui permettra de travailler ensuite dans la restauration collective. Un nouveau départ, en somme.

Mélanie Le Beller

 

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