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AUX ARMES CRÉATIVES COLLÉGIENS !

CD92/Olivier Ravoire

Lancées en 2014, les Classes créatives deviennent Ô Lab Citoyen. Ce dispositif pédagogique invite cette année sept cents élèves à réfléchir sur la thématique des réseaux sociaux en réalisant une œuvre visuelle.

Le dispositif Ô Lab Citoyen propose aux collégiens de réfléchir sur un thème de société par le prisme de la création artistique.© CD92/Olivier Ravoire

Bruno et son voisin de table ont décidément plein de choses à se raconter par textos ; mais pour une fois, ce bavardage virtuel est le bienvenu dans la salle de classe. Devant eux, une feuille blanche séparée en six cases dans lesquelles ils doivent dessiner un smartphone avec une conversation par SMS, emojis intégrés. « Tu devrais mettre un peu de couleur, dessiner un fond », conseille Giselle Chuster, la professeur d’éducation artistique, qui a décidé de pousser, avec cet exercice, un petit peu plus loin la consigne initiale de la réalisation d’une bande dessinée. Sur les dessins des collégiens de Thomas-Masaryk de Châtenay-Malabry, le fantôme blanc de Snapchat vient hanter le célèbre triangle blanc de YouTube et la croche désormais célèbre de TikTok. Ces trois réseaux sociaux trustent, avec Instagram, le classement des applis les plus utilisées par les collégiens.

Cette fidélité – qui peut parfois virer à l’addiction – le Département a proposé aux collégiens de la raconter avec le dispositif Ô Lab Citoyen. L’an dernier, les élèves étaient incités à « montrer leurs valeurs » ; cette fois-ci, sept cents d’entre eux d’une quinzaine de collèges sont amenés à se poser une vaste question quasi philosophique : « Les réseaux sociaux, liberté ou dépendance ? », « C’est un sujet piquant, reconnait Nathalie Yvon, responsable de l’unité des projets éducatifs territoriaux au Département. Parler de dépendance alors que les réseaux sociaux sont pour eux quelque chose de tout à fait normal les amène à se questionner sur la manière dont ils utilisent ces applications. »

Avec leurs professeurs, ils devaient réfléchir cette année aux réseaux sociaux sous l’angle de la liberté et de la dépendance.© CD92/Olivier Ravoire

Ambivalence

Entre « liberté » et « dépendance », Bruno, lui, a tranché : « Parfois, je me dis qu’au lieu d’être sur mon téléphone, je ferais mieux de sortir », reconnaît-il en montrant son œuvre sur laquelle il égrène, fataliste, le nombre d’heures passées chaque jour sur son écran, « surtout le samedi ». Valentin, lui, a choisi une issue encore plus radicale : ses vacances à la montagne, immortalisées à outrance par le téléphone, virent au drame après que l’appareil passe par-dessus bord suite à une dispute avec ses parents. « J’ai voulu représenter les gens trop accros à leur téléphone. Moi je suis moyennement accro car je le regarde au moins une fois par jour, notamment TikTok, Snapchat et Instagram… »

À l’inverse de ces certitudes ébranlées, Marwa reste droite dans ses bottes et revendique une certaine indépendance à ne pas posséder de comptes. Sa BD dans les tons de gris et de noir fait ressortir en gros caractères rouges son message en lettres taguées : « Stop aux réseaux sociaux » « Ce n’est pas important pour moi, cela permet juste de se divertir. Le fait de ne pas en avoir, cela me permet de ne pas me faire influencer. Certains en ont et développent un sentiment d’infériorité par rapport aux autres car ils se comparent. » Ilona a voulu alerter sur les dangers des abus de ces applis avec un visage en deux parties, l’une représentant une ado, l’autre un adulte. Avec cette question en-dessous : « Qui es-tu, petite inconnue ? » « Parfois, on ne peut pas savoir qui est la personne avec qui l’on discute, remarque l’élève. C’est peut-être un vieux qui se fait passer pour une personne de notre âge. Donc je fais attention, je n’ajoute que des personnes que je connais en vrai. »

Cette ambivalence face au virtuel, leur professeur l’a bien remarquée. « On ne les change pas ! Ils dessinent leur dépendance alors que certains aimeraient être influenceurs », souligne Giselle Chuster, qui participe pour la première année à ce dispositif Ô Lab Citoyen. La thématique des réseaux sociaux l’a intéressée, dans une période où – crise sanitaire oblige – notre rapport aux écrans est devenu plus prégnant. « Nous avons été confinés au moment où TikTok commençait à percer. Dans le même temps, les élèves étaient beaucoup sur leur ordinateur pour les cours à distance et plus vulnérables face aux réseaux sociaux. Je trouvais donc intéressant de traiter ce thème avec cette dichotomie entre liberté et dépendance. » Entre les trois mediums proposés, elle a choisi le neuvième art qui colle parfaitement au programme de 4e d’éducation artistique. « Ils ont pu reprendre tous les codes de la BD, comme les bulles. Ils ne pouvaient pas parler, juste dessiner et raconter une histoire grâce à une somme d’images qui se suivent. » Ces bandes dessinées ont été conçues dans plusieurs classes de l’établissement de 5e, 4e et 3e, avec des différences de traitement selon les niveaux. « Les 5e ont une vision moins positive des réseaux sociaux, ils en ont plus peur et sont plus méfiants que les 4e et 3e », constate la professeur.

Les productions des sept cents collégiens participants – photo, vidéo ou bande dessinée – seront ensuite exposées virtuellement.© CD92/Olivier Ravoire

Expo virtuelle

L’objectif d’Ô Lab Citoyen est de développer l’esprit critique des jeunes. « Nous avons la volonté de travailler sur la citoyenneté et l’engagement des collégiens, le tout associé à la créativité », résume Nathalie Yvon. Très centré au départ sur les arts plastiques, le dispositif s’est peu à peu « numérisé » pour proposer aujourd’hui de raisonner en réalisant une œuvre sur trois supports au choix : la vidéo, la BD ou les photos. « Cela permet de créer du contenu en dépit de la situation sanitaire, d’avoir un apprentissage technique et d’aborder certaines notions comme le droit à l’image », poursuit Nathalie Yvon. Pendant l’année, les professeurs disposent de formations et de ressources grâce au réseau Canopé. Cet exercice a également l’avantage de faire le lien entre plusieurs matières, « notamment la branche de l’histoire-géographie et de l’éducation civique et les matières artistiques, précise Julien Vasset, gestionnaire de projets éducatifs territoriaux au Département. Les élèves peuvent aussi faire appel aux documentalistes de leur collège ». Pour certains groupes d’élèves, la réflexion a en tout cas été poussée à l’extrême. « Des collégiens ont contribué par exemple à l’élaboration d’une charte d’utilisation des réseaux sociaux en réfléchissant à la notion de traces numériques, traces qu’ils peuvent laisser », poursuit Leslie Loger, gestionnaire de projets éducatifs territoriaux au Département.

Sitôt terminées, les œuvres des collégiens de Thomas-Masaryk vont connaître une deuxième vie et dépasser les murs de la salle de classe puisque les BD vont être scannées puis regroupées avec celles des autres classes participantes. L’ensemble de ces travaux prendra la forme, courant mai, d’un magazine en ligne disponible sur l’Environnement numérique des collèges via la plateforme Madmagz. Visibles par les autres collégiens, elles pourront ainsi créer l’émulation et nourrir la réflexion de ces citoyens en herbe… 

Mélanie Le Beller
Les productions seront également valorisées sur hauts-de-seine.fr

 

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