Dans le cadre du dispositif départemental Entrée des Artistes, une dizaine de jeunes ont pu enregistrer un titre et réaliser leur propre clip vidéo. Un épanouissement culturel pour renforcer l’estime de soi.
On va les choquer avec la mélodie. » Le refrain entêtant et un brin « autotuné » chanté par Fabiola donne le ton. Autour d’elle, le groupe de garçons fait preuve d’une aisance déconcertante devant la caméra : petits pas de danse et jeu d’acteur bien rôdés bien qu’empruntés à certaines de leurs idoles comme Niska, Ninho ou Ziak. « Ils regardent beaucoup de clips, donc ils ont des modèles et veulent reproduire ce qu’ils regardent », constate NaBo, l’intervenant venu leur expliquer les rudiments techniques de la prise de vue. Dans les rues de Bois-Colombes, le groupe se déplace dans les lieux qui ont retenu leur attention pour tourner leur clip : on se checke au pied d’un immeuble, à l’entrée d’une ruelle tranquille, sur les bancs d’un parc ou encore dans un city stade. Ça tombe bien, après les repérages sous les bourrasques la veille, le beau temps est de la partie et permet de poser la caméra et prendre son temps pour multiplier les plans : l’un large, l’autre plus resserré, un dernier avec des détails et quelques solos pour les plans de coupe. Derrière l’objectif, caméra au poing, Émeric a pris les devants. « Ça me plaît plus de filmer que de chanter. J’apprends à me servir d’une caméra et d’un trépied et de faire différents plans serrés ou larges… » À côté, Fabiola change de tenue pour un ensemble coordonné, plus soigné à l’image. « Ma référente a tout de suite pensé à moi pour cet atelier car j’aime beaucoup la musique et c’est un monde que j’ai envie de découvrir. C’est vraiment un beau projet et je suis contente d’en faire partie. »
Comme Émeric, comme Fabiola, une dizaine de jeunes se sont inscrits à cette semaine d’Entrée des Artistes consacrée à la découverte des métiers et des pratiques des musiques urbaines. Le reste de l’année, ils bénéficient de l’action sociale départementale et sont suivis par des structures locales comme les deux antennes de Gennevilliers et d’Asnières du club de prévention Page, la Vavups et le pôle social départemental à Villeneuve-la-Garenne. Pendant six jours, ils ont pu rencontrer des artistes, choisir une instru, écrire les paroles d’un titre, l’enregistrer dans un studio, tourner et monter leur clip et enfin donner un concert devant un public lors d’une restitution à Asnières, dans une salle spécialement mise à leur disposition par la ville. La semaine n’est pas que culturelle, elle se veut aussi pédagogique avec, tous les jours, des intervenants venus les sensibiliser à l’ensemble des métiers de la musique : management, métiers techniques ou de l’entrepreneuriat musical. « On insiste sur le côté organisationnel, à quoi il faut penser pour faire un concert, avoir le bon matériel, établir des devis, explique Francis-Gaël Grommier, directeur de l’association Les Portes de l’exil. Ils sont à un âge où ils doivent choisir leur orientation, donc on leur propose quelque chose de formateur. » Pour couronner le tout, le groupe s’est rendu en avril au festival Chorus des Hauts-de-Seine pour découvrir les dessous de l’organisation d’un événement centré sur les musiques actuelles. « Cela favorise l’accès à la culture de ces jeunes qui sont très ancrés dans leur quartier, poursuit Samuel Sapor, éducateur spécialisé à la Vavups, qui accompagne les 11-25 ans. Ce sont des jeunes débrouillards, ils ont déjà un niveau intermédiaire mais cet atelier leur donne des billes pour être mieux armés. »
Sept projets ont été montés sur tout le territoire, réunissant cinq cents personnes.
Storyboard
S’ils viennent de trois villes différentes, l’atelier s’est déroulé sur « terrain neutre », à Bois-Colombes. « L’idée est de les réunir autour d’un projet commun, quelle que soit leur ville, et de se produire sur scène », souligne Tony Laïdi, directeur de l’association Page, présente également sur Colombes. La plupart des jeunes inscrits ont déjà une expérience de composition, de tournage de clip ou d’enregistrement. « Chacun a un talent et nous sommes là pour les accompagner et leur donner confiance. Ce projet les aide aussi à se construire. » Dans la cabine d’enregistrement, casque sur la tête, Melvin – alias MLB – en termine avec son passage. Pas besoin de son téléphone, les paroles sont bien ancrées dans sa tête. « Elles parlent de moi, de mes amis qui peuvent devenir des ennemis. En fait elles parlent de trahison et j’attaque avec des punchlines ! » Après lui, Medhi, 16 ans, a déjà préparé un autre son prêt pour la scène ouverte de la fin de semaine. « Je n’ai pas du tout le trac, je suis sûr de moi. J’ai juste un peu peur de bégayer. Je me suis inscrit à cet atelier pour le concert ; ce sera une première pour moi donc il faut que je me booste pour ce jour-là. » Pour le clip ? Il a déjà quelques idées… « J’en veux un sur un bon spot. Pourquoi pas prendre de la hauteur ou aller dans d’autres villes ? Il faut que ce soit carré et en même temps qu’on s’enjaille, que ce soit frais ! » Ces idées ne seront pas toutes retenues dans le storyboard que NaBo leur propose d’élaborer pour raconter le déroulement du clip. Ce dernier sera particulièrement soigné car il constitue la véritable vitrine du morceau. « Avant, la musique s’écoutait sans images mais à l’ère des réseaux sociaux, elle se regarde. Les morceaux doivent donc être visuellement réussis. » Comme Cliff et Humanist, les deux artistes qui ont collaboré sur la musique, NaBo conseille et apporte un point de vue à la fois technique et artistique au travail des jeunes. « Ils réalisent le clip de A à Z, je leur apprends les bases et les outils et ils s’exercent ensuite. C’est un atelier où ils prennent en main et pratiquent, ce qui leur permet de constater qu’il y a beaucoup de travail à fournir. »
Restitution
Outre ces jeunes, différents publics sont concernés par ce dispositif Entrée des Artistes : personnes âgées en Ehpad, familles, jeunes, personnes en situation de handicap ou encore migrants. Autrement dit l’ensemble des publics des solidarités, souvent éloignés du monde de la culture. « Le nom Entrée des Artistes traduit bien l’esprit du dispositif avec les artistes qui viennent à la rencontre de ces publics et vice-versa. On reste sur le triptyque de l’éducation artistique et culturelle : la pratique, la rencontre avec les artistes et l’acquisition de compétences », explique Marie-Pierre Mallo, chargée de mission Culture et handicap, publics des solidarités au Département. Certains projets peuvent mixer les publics et devenir intergénérationnel en faisant se rencontrer par exemple des jeunes d’un foyer de jeunes travailleurs avec des personnes âgées.
Cette année, sept projets ont été montés sur tout le territoire, réunissant cinq cents personnes (participants et public qui assiste aux restitutions compris), issues de 17 structures sociales et médico-sociales de 15 villes et entourées par 22 artistes. Tous les arts y sont représentés, de la musique à la danse, en passant par le théâtre, la marionnette ou le cirque. Les ateliers peuvent durer aussi bien une semaine en version intensive que trois à quatre mois sous forme de séances hebdomadaires dans les Ehpad par exemple. Ils se terminent obligatoirement par une restitution. « Pour ces jeunes, il s’agit par exemple de la diffusion du clip. Entrée des Artistes permet de travailler sur des moyens d’expression qui leur permettent de prendre confiance en eux », poursuit Marie-Pierre Mallo.
Outre le levier social, Entrée des Artistes a inclus cette année un volet consacré au développement durable, l’un des axes majeurs de la politique départementale. L’un des projets, celui de « L’écho des saisons », a permis aux 3-5 ans de la pouponnière départementale Paul-Manchon à Asnières de créer un paysage sonore à partir d’instruments fabriqués avec des matériaux recyclés et de jouer leur propre spectacle. Enfin avec l’été, Entrée des Artistes devient cycle de concerts joués dans des Ehpad des Hauts-de-Seine par des artistes issus des autres dispositifs départementaux comme le parcours d’accompagnement à la professionnalisation d’artistes (le « Papa ») et le concours national de Jazz de la Défense ou par les jeunes talents de l’académie Jaroussky.
Mélanie Le Beller