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Le nouveau monde de « Made in 92 »

CD92/Willy Labre

Ils sont soucieux de réduire l’impact de nos modes de consommation ou encore d’œuvrer pour une société plus inclusive. Leurs projets, par leur originalité et leur portée, leur ont valu de figurer parmi les lauréats 2021 du concours « Made in 92 » organisé par la Chambre de commerce et d’industrie avec le soutien du Département. Rencontre.

Un trésor dans une coquille d’œuf

Les coquilles d’œuf au rebut ne sont vides ni de valeur, ni de sens : la start-up Circul’Egg entend les recycler auprès des industriels de la nutrition et de la cosmétique.

Selon Yacine Kabèche et Justine Lecallier, la poudre de coquille d’œuf pourrait avoir un impact environnemental et social sur toute une filière.© CD92/Willy Labre

Si la start-up est couvée au cœur du 6e arrondissement, c’est bien à la campagne que se trouve le gisement sur lequel elle fonde tous ses espoirs : les coquilles d’œuf. Encore étudiant à AgroParisTech, Yacine Kabèche a entrevu dans ces « déchets » une nouvelle ressource : « Je m’intéressais à l’économie circulaire. Pendant mon année de césure, j’ai enquêté sur pas mal de filières : la viande, le lait, l’empaquetage alimentaire… Jusqu’à rencontrer le directeur d’une casserie (des usines qui préparent les œufs pour l’industrie agroalimentaire, Ndlr.) ». Il fait alors ce constat : quinze milliards d’œufs sont produits chaque année en France, dont six transformés en ovoproduits par ces usines… Restent les coquilles, la plupart du temps épandues sur les terres agricoles. « Certes c’est du recyclage mais sachant qu’on peut les diriger vers des secteurs à forte valeur ajoutée, c’est en quelque sorte donner de la confiture aux cochons. » Persuadé qu’en aval les « coproduits biosourcés » issus de ces coquilles trouveront preneur, l’ingénieur veut créer une boucle vertueuse. En 2020 il fonde Circul’Egg.

Molécules d’intérêt

De la coquille, on extrait d’abord de la poudre de carbonate de calcaire, valorisée par exemple en nutrition animale. « C’est une alternative à l’extraction en carrière, à la moindre empreinte environnementale », souligne Justine Lecallier, l’associée de Yacine Kabèche. La membrane interne regorge, elle, de « molécules d’intérêt » comme le collagène et l’acide hyaluronique, bénéfiques pour la peau et les cheveux, qui en synergie avec la chondroïtine sulfate ont également des « effets sur les problèmes articulaires ». Ce « tout-en-un » suscite cette fois la convoitise de la neutraceutique et de la nutricosmétique, qui l’introduisent dans leurs compléments alimentaires et alicaments. « La séparation entre la coquille externe et la membrane se fait sans intrants chimiques, précise Justine Lecallier. Nous comptons aussi nous différencier en privilégiant les casseries travaillant avec des producteurs alternatifs, par exemple plein air ou bio. » Enfin des recherches sont en cours avec l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement en vue d’extraire de la membrane de l’acide hyaluronique pur.

Bousculer la filière

L’entreprise, créée à Antony, fait parler d’elle et a reçu, entre autres, le prix Étudiant « Made in 92 ». Le contexte règlementaire et la sensibilité des consommateurs sont porteurs… À peine sorti de l’œuf, Circul’Egg semble bien parti pour devenir un jeune coq de la Frenchtech, toute modestie gardée : « On n’a rien inventé, le potentiel des coquilles était connu mais il fallait un intervenant extérieur. On est arrivé au bon moment ». Dès 2022 l’objectif est d’ouvrir une première usine en Bretagne, pour, à terme, « dupliquer » le procédé sur le site même des casseries. Environnemental, l’impact de Circul’Egg se veut aussi social : « Nous envisageons de reverser une partie des bénéfices aux producteurs partenaires, annonce Yacine Kabèche. Ce serait une manière de faire baisser la pression au coût sur les éleveurs, qui est très forte ». De fragiles coquilles pourraient ainsi venir bousculer toute une filière.

 
 

Les particules vestimentaires

Les fondateurs de Fairbrics ont réussi à fabriquer du polyester à partir de CO2 recyclé. Leur rêve ? En faire une technologie de base de l’industrie textile pour réduire drastiquement son impact environnemental.

La transformation du CO2 se produit sous très haute pression, dans des réacteurs miniatures fabriqués aux États-Unis.© CD92/Willy Labre

Magique ». Le mot revient pour qualifier ce qui s’apparente aux yeux des non-initiés à un tour de passe-passe : la transformation du gaz carbonique, ce CO2 incriminé dans l’effet de serre, en polytéréphtalate d’éthylène (PET) ou polyester. « J’aimerais que notre procédé soit magique, mais c’est simplement de la science, sourit Tawfiq Nasr Allah. Un gaz, si on le transforme, peut tout à fait donner des molécules liquides ou solides ! » Respirant, élastique, façonnable à loisir et bon marché, le polyester représente 60 % de la production totale de l’industrie textile. Problème, ce dérivé du pétrole entre pour beaucoup dans son lourd bilan environnemental. « L’industrie textile produit aujourd’hui 2,1 milliards de tonnes de CO2, soit 4 % des émissions globales. Si elle était un pays ce serait le 3e ou 4e plus gros émetteur mondial… », explique Benoît Illy. Or les industriels, soucieux de leur impact carbone et de leur image, sont désormais à la recherche de solutions de remplacement…

Brique élémentaire

À eux deux, ces chimistes surdiplômés tiennent le bon bout. Après une thèse au CEA, le premier, spécialiste de la valorisation du CO2 sous forme de matériaux, avait envie de fonder une entreprise. Le second, un ancien de Safran, sait comment faire passer les innovations du laboratoire à l’usine. Après avoir fondé la start-up en 2019 à Clichy, où Fairbrics a toujours son siège, ils ont rejoint un an plus tard Accelair, « l’accélérateur » d’Air Liquide dans les Yvelines, avec leurs six salariés. C’est cette multinationale qui leur fournit, sous forme concentrée, leur brique élémentaire : le CO2. Pour décrire ce qui se passe ensuite, ils puisent leur comparaison dans la nature : « La matière qui sert à construire les plantes est créée à partir du CO2. C’est ce que l’on appelle la photosynthèse, explique Tawfiq Nasr Allah. Nous reproduisons ce processus mais de manière synthétique. En guise de lumière nous utilisons de l’électricité ». L’éthylène glycol ainsi obtenu est mélangé à de l’acide téréphtalique pour obtenir un PET issu à 30 % du CO2, 40 % moins polluant que l’original. « Cela peut paraître peu mais c’est très difficile à faire. Dans quelque temps nous espérons obtenir un polyester intégralement issu du CO2» Le tissu fabriqué à partir de ce matériau a été baptisé « Airwear ».

Usine pilote

Si la production se résume pour l’instant à deux paires de T-shirts et à une paire de chaussures, cette démonstration a retenu l’attention de toute la filière. La start up, lauréate entre autres du prix 2021 « Made in 92 » de l’innovation, avait déjà décroché en 2020 celui de la Fondation H&M, « prix Nobel de la fashion ». L’objectif à présent est de « dépasser l’échelle du kilo » pour ouvrir d’ici à 2023 une usine pilote. Des partenaires industriels sont déjà sur les rangs.« Si l’on arrivait à résoudre ce problème on aurait quasiment résolu celui des émissions de CO2 de l’industrie de la mode », rappellent-ils. « On entend souvent parler de décroissance, on a parfois l’impression qu’il faut retourner à l’âge des cavernes. Je pense qu’avant d’en arriver là, il y a des solutions technologiques », estime Benoît Illy. Il y a très peu de magie là-dedans mais beaucoup de science et la volonté de léguer un monde meilleur à leurs enfants. 

 

Une jungle urbaine accessible à tous

Street’co a créé un GPS piéton qui facilite les déplacements des personnes à mobilité réduite. Cette application collaborative recense 25 000 utilisateurs mensuels.

Toute personne rencontrant des difficultés de déplacement, même ponctuelles, peut s’emparer du « Waze de la rue » imaginé par Arthur Alba et Cyril Koslowski.© CD92/Willy Labre

Avec des béquilles, la ville n’est plus la même. C’est le constat effectué par Arthur Alba, le jour où, ainsi équipé, il tente de rejoindre son lieu de stage.  « Pendant un mois j’ai vécu un vrai cauchemar », résume l’ancien étudiant en école de commerce. Avec son ami Cyril Koslowski, ils décident d’approfondir la question auprès des personnes en situation de handicap. « Pour elles, ces difficultés n’étaient pas l’affaire d’un mois, mais de plusieurs années voire de toute une vie, s’exclame-t-il.  Les obstacles sont tels que souvent elles n’osent plus sortir de chez elles de peur d’être bloquées. » À l’époque, limités à l’accessibilité des lieux, les outils à leur disposition sont insatisfaisants. « Les gens me disaient : “C’est bien de savoir que tel endroit est accessible. Mais comment faire si je n’ai pas l’itinéraire pour m’y rendre” ? » En 2017, les deux étudiants créent PMR Street, nom très vite troqué pour Street’co, l’application s’adressant à tous ceux qui rencontrent des difficultés, même ponctuelles.

« Waze de la rue »

Grâce à ce « Waze de la rue », chacun peut signaler et photographier les obstacles rencontrés sur son chemin. La liste est longue : escaliers, pentes ou trottoirs inadaptés pour les obstacles permanents ; travaux, poubelles, véhicules mal garés, terrasses de café pour les temporaires, encore plus nombreux. À partir de là, l’intelligence artificielle entre en jeu en produisant une cartographie personnalisée qui fait toute la valeur ajoutée de l’application. Plusieurs profils sont pris en compte : personnes en fauteuil, électrique ou manuel, femmes enceintes, marche pénible, déplacements avec une poussette – et bientôt « déficients visuels ». Les lieux, parkings, arrêts de transports accessibles sont aussi répertoriés dans l’appli au hérisson « un animal sympathique, qui a du mal à se déplacer ».

Appli multimodale

L’application étant gratuite, une partie du modèle économique repose sur l’organisation de « challenges en entreprise » où les salariés se transforment en chasseurs d’obstacles. La start-up travaille aussi avec les villes, dont plusieurs dans les Hauts-de-Seine, afin d’intégrer son outil aux sites web et applications mobiles locales. Le prix « Coup de cœur de l’innovation collaborative » « Made in 92 » a d’ailleurs accru sa visibilité sur ce territoire. La prochaine étape serait de devenir une fonctionnalité à part entière des grands calculateurs d’itinéraires multimodaux tels, en région parisienne, Vianavigo ou Citymapper. « Les opérateurs ont déjà l’infrastructure, et la base utilisateurs. C’est plus intelligent de travailler avec eux et plus intéressant pour les gens de n’avoir qu’une seule et même appli sur leur téléphone ». Ce lien avec le réseau de transport se concrétisera dès 2022 grâce à deux expérimentations, avec Transdev à Cherbourg et avec Île-de-France Mobilités à Melun.  « Il s’invente tous les jours des projets incroyables mais sur le chemin de l’innovation, on en a oublié quelques-uns, juge Arthur. Avec Cyril, on ne s’est pas réveillés un jour en voulant faire du social, en revanche on a toujours voulu faire quelque chose d’utile et qui n’existe pas. » Comme permettre à des personnes dont le quotidien s’apparente à un éternel confinement de franchir, enfin, sereinement les frontières de leur quartier, voire de leur ville. 

Pauline Vinatier
Tous les lauréats sur hauts-de-seine.fr

« Made in 92 », les pépites de l’entrepreneuriat

Près de six cents start-ups ont participé à l’édition 2021 de « Made in 92 », la sixième, organisée par la Chambre de commerce et d’industrie des Hauts-de-Seine avec le soutien du Département pour valoriser l’esprit d’entreprendre. Avec un thème, « Avis de tempête », plutôt de saison, au sortir de la crise sanitaire. À l’issue de la grande finale organisée à Boulogne-Billancourt en juillet dernier, douze lauréats se sont partagés plus de 40 000 euros de dotations et gagnent en visibilité. 

entreprises.cci-paris-idf.fr

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