Posté dans Rentrée scolaire

L’ÉLOQUENCE, UN ART ÉDUCATIF

Rencontres de l'éloquence le 7 juin dernier, à Suresnes. CD92/Julia Brechler

Dispositif proposé chaque année à l’ensemble des collèges des Hauts-de-Seine par le Département, les Rencontres de l’éloquence portent haut la voix des élèves. Un défi oratoire jubilatoire.

Olympe (de Gouges), Simone (de Beauvoir et Veil), Gisèle (Halimi), Angela (Davis) ! Que diriez-vous aujourd’hui si vous entendiez ça ? », s’exclament des collégiens sur la scène du théâtre Jean-Vilar à Suresnes, le 7 juin dernier. Et pêle-mêle d’évoquer le droit à l’avortement, les violences faites aux femmes en France ou l’inégalité salariale entre hommes et femmes. « Les femmes ont le droit de vote depuis 1945, elles exercent tous les métiers, les dernières lois de 2014 et 2021 consacrent l’égalité hommes/femmes, y compris dans l’entreprise », leur rétorque le groupe en face. Leurs voix portent, assurées et bien timbrées, jusqu’aux derniers rangs de cet amphithéâtre plein à craquer. Le public, seize classes de collégiens issues de tout le Département, les écoute en silence, puis applaudit à tout rompre. Pas de rires moqueurs, pas de sifflets, pas de brouhaha, le respect est total ainsi que la qualité d’écoute. Un défi pour des adolescents âgés de 11 à 15 ans…

Aboutissement d’une année scolaire de travail, les collégiens, ici au théâtre Jean-Vilar à Suresnes, le 7 juin dernier – montent sur scène pour se défier dans des joutes oratoires et mettre en pratique leurs nouvelles compétences orales.© CD92/Julia Brechler

Ce défi s’est joué le matin du 7 juin dernier avec la 2e édition des Rencontres de l’éloquence organisée conjointement par les services du Département et de la direction des services départementaux de l’Éducation nationale (DSDEN). Lors de l’année scolaire 2021-2022, seize étaient présents pour cette épreuve finale. Le thème choisi était l’égalité hommes/femmes et les élèves devaient préparer et débattre de deux questions par niveau : « Filles/garçons : tous égaux ? » et « Y a-t-il des jouets, des sports, des métiers réservés aux femmes et d’autres aux hommes ? » pour les classes de 6e-5e, et « La société est-elle sexiste ? » ou « Le féminisme est-il un mouvement nécessaire de nos jours ? », pour les classes de 4e-3e. Les sujets étaient tirés au sort et chaque groupe avait trois minutes pour développer les arguments du « oui » et trois minutes pour ceux du « non ».

Épreuve difficile, la joute oratoire demande concentration, prestance physique et maîtrise de ses émotions. Il faut savoir respirer, marquer des temps, surprendre, jouer l’indignation ou l’ironie, dominer son trac. « Il faut croire en vous », leur a martelé la marraine de cette édition, Kristine Naltchadjian, directrice Éducation & Recherche chez Microsoft France, qui leur a raconté son parcours semé d’embûches. « Si vous croyez à votre projet, n’écoutez jamais ceux qui vous disent que ce n’est pas pour vous ! Apprenez les codes et foncez. ». Un avis partagé par Véronique Parouty, directrice adjointe de la DSDEN : « Le développement des qualités oratoires et des compétences transversales, l’oral, sont nécessaires aujourd’hui dans la préparation des examens. Je me réjouis que les codes soient enseignés ici de façon explicite. »

Écoute et respect

Quelques semaines plus tôt, au collège Jean-Jaurès à Levallois, des élèves de 4e, étaient réunis en demi-classes et prenaient la parole, à tour de rôle, devant les autres : dans un premier temps ils devaient juste exprimer leur état émotionnel. Lucia, l’animatrice d’Éloquentia, l’association partenaire qui forme à l’art oratoire différents publics dont les scolaires, leur a rappelé les règles pour être audibles : parler fort, lentement, articuler, se tenir droit, se mettre en mouvement pour capter l’attention. Et bien sûr, les « ingrédients de base » : l’écoute, la bienveillance, le respect. Les adolescents ont leur texte imprimé, celui du « pour » et celui du « contre » élaborés avec les enseignants qui se sont portés volontaires pour les accompagner, ici à Levallois Annaïg Léon, professeur de mathématiques, et Vincent Maisondieu, professeur d’éducation musicale.

« Des acteurs vous font vibrer avec une recette de cuisine, leur dit Lucia pour les encourager à se lancer. Jouez collectifs : tous ensemble, vous êtes meilleurs ! ». Les élèves stressent, certains avouent leur gêne à prendre la parole devant les autres. Lucia leur apprend à gérer, à oxygéner leurs organes, à ralentir leur rythme cardiaque. « Isolez-vous cinq minutes avant d’entrer en scène, leur conseille-t-elle. Inspirez cinq secondes, expirez cinq longues secondes, cela va vous procurer une sensation d’énergie et de créativité. Faites-le deux fois par jour, le corps va le mémoriser. » Une première séance de coaching pour les élèves qui en ont eu quatre en tout. Chloé, Wassim, Vincent, Jade, Deborah, Harold, Julyanna, Théodore, Lilian, Brian, Mehdi, Arthur, Myriam, Eugène, Raphaël écoutent avec attention. Peu à peu, les visages se détendent et le plaisir de défendre leur texte et de convaincre, commence à poindre.

Au collège Jean-Jaurès à Levallois, les élèves, regroupés en demi-classes, travaillent leurs arguments sur le thème de l’égalité homme/femme. Un exercice qui leur permet de prendre confiance en eux.© CD92/Julia Brechler
Découvrir le plaisir de défendre leur texte, se confronter à des points de vue différents, convaincre un auditoire : les élèves, même parmi les plus réticents, se laissent prendre au jeu de l’art de l’éloquence.© CD92/Julia Brechler

Des talents révélés

« C’est hyper-intéressant de travailler sur l’oral, explique Annaïg Léon, leur professeur de maths. Cela leur donne les clés pour le brevet, le bac, le monde du travail, mais surtout, cela leur donne confiance. C’est très valorisant, en particulier pour les élèves qui ne sont pas très “scolaires”. Cela permet aussi l’évolution de la classe vers une plus grande cohésion : ce travail les a rapprochés car ils ont été obligés de se rencontrer. »

Certains ont du mal à construire un argumentaire contraire à leur point de vue : comment se mettre en empathie avec une opinion opposée et être convaincants ? Vincent Maisondieu vient à leur rescousse : « Je suis très attaché à l’art oratoire et à la maîtrise de la langue, explique-t-il. Je me sers du biais musical, comme un chef d’orchestre, pour leur apporter une dynamique. Les passerelles avec la musique sont multiples : la respiration, le travail sur la voix, le fait d’être à l’aise avec son corps, qu’ils arrivent à s’engager… Certains râlaient au début et ne voulaient pas participer : ce sont eux aujourd’hui les plus passionnés. Il s’est créé un esprit de groupe, l’évolution est incroyable. » Oumar et Ambre, respectivement 14 et 13 ans, confirment : « Ça nous plaît car cela va nous aider plus tard. On se sent plus à l’aise pour participer en classe. Avant, on était fermés, introvertis : on a changé. Et puis le débat sur l’égalité homme/femme a amené des discussions entre nous. On se réjouit à l’idée de monter sur scène ! »

Convaincue des bienfaits de la joute oratoire, Vanessa Forestier, principale du collège Jean-Jaurès, avait déjà initié auparavant, à Champigny-sur-Marne, des ateliers de paroles où les élèves devaient débattre : « C’est un exercice important dans l’optique du brevet des collèges et du grand oral du bac ; cela leur donne confiance, témoigne-t-elle. Et ce ne sont pas les meilleurs élèves qui s’expriment le mieux à l’oral. Certains sont très investis, notamment les plus prompts à faire des bêtises. Ils changent complètement d’attitude ! Ces ateliers sont très prenants mais l’aide du Département nous facilite la tâche : les formations proposées aux enseignants et l’accompagnement d’Éloquentia sont très positifs. »

Apprendre à projeter sa voix, mettre de l’intonation, respirer, bien ancrer ses pieds au sol, articuler, se tenir droit : l’animatrice enseigne aux collégiens toutes les techniques pour captiver son public. « Un acteur vous fait vibrer avec une recette de cuisine », les encourage-t-elle.© CD92/Julia Brechler

Prise de parole

Le Département mobilise en effet plusieurs outils pour déployer ces Rencontres de l’éloquence : tout d’abord, l’Atelier Canopé, le réseau de création et d’accompagnement pédagogique, pour former les enseignants aux outils numériques, en partenariat avec la délégation académique au numérique éducatif, et ensuite les associations. Éloquentia, intervient ainsi dans les classes avec quatre ateliers de prise de parole et deux séances de coaching pour préparer la montée sur scène, et la Joute de Vinci, une association d’étudiants de Paris La Défense de formation aux débats, vient en complément à la demande des collèges. « Outre les Rencontres de l’éloquence sur scène le 7 juin, les collégiens doivent produire une vidéo de cinq minutes de leurs débats, avec une mise en scène libre, explique Chloé Davy, chargée de l’opération au Département des Hauts-de-Seine. Cela leur permet de s’entraîner avant de monter sur scène et d’apprendre à utiliser les outils numériques. Cette initiative s’inscrit dans le cadre de la nouvelle politique jeunesse du Département. Pour favoriser l’insertion sociale et la réussite scolaire, il faut être capable de s’exprimer, d’écouter, de se confronter aux idées des autres, à l’altérité. »

C’est donc 500 collégiens déjà bien rodés à l’art oratoire qui se sont finalement confrontés sur la scène du théâtre de Suresnes-Jean-Vilar pour livrer leur plaidoirie ou leur réquisitoire devant un jury chargé d’apprécier à la fois la pertinence des arguments et la qualité de la langue. Mais c’est aussi l’attention montrée ce jour-là par les collégiens aux prestations des différents groupes qui confirme que l’exercice n’a pas été vain : « Encourager le débat et la mise en mots sont essentiels, souligne Véronique Parouty ; apprendre le respect entre pairs aussi. La parole apaise et contribue à faire société. » 

Laurence De Schuytter

 

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