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REPRISE, L’ASSOCIATION QUI RENOUE LES FILS DE LA SOLIDARITÉ

Cette aventure collective née dans un centre de demandeurs d’asile s’est plusieurs fois réinventée et peut compter sur de nombreux bénévoles. CD92/Willy Labre

Lauréate de l’appel à projets départemental Progr’ESS en 2022, l’association antonienne accueille et forme des réfugiés et des personnes fragilisées dans son atelier, tout en redonnant vie à des tissus sortis du placard ou de l’entrepôt.

Sans le bourdonnement des surjeteuses, on entendrait une mouche voler. Penchés sur leur machine ou maniant l’aiguille, les couturiers procèdent au montage du vêtement avec des gestes sûrs et minutieux. Ample et léger, c’est un kimono réalisé dans trois motifs différents : uni, tartan et pied-de-poule. Cette petite série pour une « vraie créatrice parisienne » est un tournant pour le jeune atelier de confection. « C’est la première fois que l’on travaille avec une marque de cette importance, on a mis toute l’équipe dessus », confie Catherine Chapron, présidente de Reprise. Également sur la table, douze exemplaires d’un poncho destiné à une association amie, que la présidente imagine déjà décliné « en vêtement de pluie » ou « dans une version cocooning ». Il a été dessiné « par l’une de nos bénévoles qui conçoit d’ordinaire des vêtements de moto ». À ce jour, ils sont une trentaine à prêter main forte dans tous les domaines : création de nouvelles pièces siglées Reprise, transmission des techniques de couture, gestion des stocks et administratif…

Le parcours d’insertion ne fait que commencer pour ces couturiers, embauchés à raison de seize heures par semaine maximum.© CD92/Willy Labre

« Objets merveilleux » 

L’aventure collective a débuté en 2019 au centre d’hébergement d’urgence pour migrants d’Antony (Huda), où l’ancienne directrice d’école donnait des cours de français. « Je me suis rendu compte que plusieurs de mes apprenants avaient été couturiers dans leur pays ; d’ailleurs en Afghanistan ou en Iran, ce sont souvent les hommes qui cousent. » Elle leur fournit alors des tissus « dont ils font des objets merveilleux » et s’entoure de bénévoles. En avril 2021, elle cofonde Reprise avec l’espoir de permettre aux couturiers réfugiés de vivre de leur passion. « On les destinait à la logistique ou au bâtiment, c’était dommage alors qu’ils avaient des étoiles dans les yeux quand ils parlaient de couture… » Les cofondateurs, trois étudiants de l’Institut français de la mode (IFM), une école venant de créer sa « chaire de développement durable », apportent leur expertise sur de nombreux plans et viennent renforcer le volet « up-cycling » du projet – les vêtements sont fabriqués grâce à des stocks jusqu’alors dormants. Il y a un an, après la fermeture de l’Huda, l’atelier s’est transporté dans les locaux du centre culturel André-Malraux, mis à sa disposition par la ville. Il y confectionne les accessoires made in Reprise – bobs, tabliers, sacs, pochettes d’ordinateur – et répond à des commandes de plus en plus nombreuses. Les huit couturiers, en majorité des réfugiés, mais aussi une bénéficiaire du RSA et une personne en situation de handicap, sont embauchés par l’intermédiaire d’une structure partenaire, Antraide, pour 8 à 16 heures par semaine maximum, Reprise étant « structure accueillante ». « C’est une toute première étape pour eux, explique Catherine Chapron. Avant de pouvoir effectuer un temps plein, y compris dans une structure d’insertion, ils doivent se familiariser avec le monde du travail et ses codes : le respect des horaires, les consignes, la règlementation… »

Les couturiers doivent franchir le pas du sur mesure à la production en série. 

Dans les salles de confection, les couturiers ont tout juste la place de circuler entre les tables. C’est là que les tissus, une fois débarrassés de leurs plis, se déploient et se révèlent avant de « passer sur le billard » – à côté les aiguilles et les bobines, les règles et les ciseaux sont moins encombrants. Dans les locaux de stockage les textiles sont classés par origine, forme et couleur. Les rouleaux, fins de stocks de grandes marques, et les dons de particuliers empilés dans les armoires, composent l’essentiel du gisement. Des rideaux, housses, foulards, draps de grand-mère à ne pas sous-estimer, prévient Catherine Chapron : « De ce drap à motifs d’avocettes, nous avons tiré des sacs qui se sont très bien vendus dans le Marais ! » Les draps de chemise fine ou tissus de tapissier sont, eux, des trésors que se réserve le directeur artistique, ex-étudiant de l’IFM, dont on découvre les t-shirts et les sweats, floqués de sérigraphies parfois expérimentales : ici un logo vintage inspiré des années 1970, là un arbre entouré de fleurs, souvenir d’une fresque peinte par un demandeur d’asile. Grace au soutien financier du Département, l’association pourra bientôt s’équiper d’une presse à chaud pour développer la sérigraphie et y former les salariés.

La surjeteuse, essentielle aux finitions, fait partie du matériel professionnel qu’ils doivent maîtriser.© CD92/Willy Labre

Tour de Babel

Le kimono de la créatrice parisienne, composé de six pièces, ne tolère pas l’approximation. Le cérémonial de la découpe échoit à Émilie*. Sur le tartan, dont la double épaisseur est maintenue par des épingles, elle suit fidèlement les contours du patron en papier kraft à la craie. Cela fait, elle attrape les ciseaux, pour marquer d’un cran bref les poches et les passants. Enfin, dans un crissement plus franc, elle attaque le tissu. « Le premier était difficile, j’en suis au troisième et j’ai bien progressé, explique-t-elle, satisfaite. Aujourd’hui, c’est un kimono, demain un sac… Ça change des vêtements traditionnels tadjiks. » La plupart des couturiers, si habiles soient-ils, doivent être formés à la technique du patron et savoir déchiffrer une gamme de montage aux standards internationaux – autrement dit, franchir le pas du sur mesure à la série. « L’objectif est de les amener vers un niveau CAP et de les adapter au marché français, explique la cheffe d’atelier Axelle Boubouillon, elle-même créatrice de mode. De plus en plus de grandes marques veulent relocaliser leur production ; il y a de l’emploi pour les ouvriers qualifiés, en moyenne gamme comme en haute couture. » Elle n’hésite pas à répéter ses consignes si nécessaire car si « l’ambiance est excellente », l’atelier est une petite tour de Babel : « Les Afghans parlent entre eux en dari, le Tadjik parle en russe avec l’Ukrainienne mais avec les autres ils sont bien obligés d’utiliser le français ! », s’amuse la présidente. Pour ne rien arranger, la couture possède son jargon, très imagé. 

Les cinq heures de cours de français par mois et le suivi socio-professionnel qui complètent ce parcours ont été confiés à l’association Espaces. Il s’agit de favoriser l’autonomisation, en particulier pour les ex-demandeurs d’asile. « Quand ils deviennent réfugiés, ils ont le droit de travailler et accèdent à des formations mais ils ont besoin d’être orientés. Sans compter les problématiques administratives ou de logement. » Une fois réglés ces tracas, les protégés de Reprise peuvent entamer une formation, un contrat en insertion ou un emploi plus classique : « L’un de nos anciens salariés est devenu le coupeur de l’IFM. Il est embauché en CDI », se réjouit Catherine Chapron. Un autre travaille dans le commerce et un troisième dans les espaces verts. « Le fait de travailler chez nous, de montrer qu’il avait de la volonté, de se mettre dans le moule, l’a sûrement aidé. Le tout est qu’ils avancent. » Depuis septembre, Reprise accueille son premier alternant, Enayat. Une tête bien connue, qui se partage entre l’atelier où il a déjà passé un an en pré-insertion, et les cours de CAP à l’IFM. « J’adore ça, j’apprends plein de nouvelles techniques », sourit l’Afghan de vingt-quatre ans. Il espère un jour s’installer à son compte pour exercer en France ce métier commencé à l’âge de quatorze ans. Une bien belle reprise.

Pauline Vinatier
*Le prénom a été modifié
associationreprise.com

Un nouvel appel à projets autour du développement durable et de la finance solidaire

L’appel à projets 2022, consacré à la vie quotidienne, avait débouché sur treize lauréats : vélo-école, jardin partagé, cantine de quartier participative, café solidaire… Le deuxième, lancé en novembre au cours du « Mois de l’ESS » prendra pour thème « le développement durable et la finance solidaire ». Les candidats devront proposer une initiative, un produit, un service, un événement pouvant répondre à des besoins identifiés sur le territoire, en particulier ceux des publics les plus fragiles. Les lauréats bénéficieront d’une aide pouvant aller jusqu’à 15 000 euros, d’un accompagnement individualisé par France Active Métropole et pourront intégrer la Positiv’ Incuba’ School, incubateur dédié aux projets à impact. Les dossiers de candidature sont à télécharger sur le site web du Département et à  déposer le 31 décembre au plus tard. 

Pour toute question : innoveco@hauts-de-seine.fr 

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