Posté dans Solidarité

UN COCON FAMILIAL POUR MIEUX GRANDIR

© Eshana Lena Gadanski

Leur métier, aussi exigeant que valorisant, consiste à accueillir et accompagner à leur domicile des mineurs confiés à l’Aide sociale à l’enfance. Les assistants familiaux offrent un environnement sécurisant à des enfants fragilisés en quête de repères. 

 

Sans oublier de faire un câlin au sortir de la sieste, Lounès*, deux ans, se dirige de lui-même vers une petite table – « sa table » – pour le goûter. Ses gâteaux avalés, le bambin, rieur et en pleine forme, se met à courir dans tous les sens sous le regard vigilant d’Ornella Théau. « Il cherche à se faire remarquer pour attirer l’attention, pour ne pas qu’on l’oublie, décrypte l’assistante familiale. Il faut être constamment derrière lui. » Avions, camions et voitures jonchent le sol : son « loulou » se passionne pour tout ce qui bouge. Il leur arrive d’aller sur la Coulée Verte exprès pour regarder passer les trains – « il adore ça ». Et si, d’aventure, on s’enquiert de ce « petit dernier » à ces côtés, elle prend le temps d’expliquer : « Je réponds que c’est un enfant que j’accueille. Comme ça, il entend lui aussi et il peut se projeter. À cet âge, ils comprennent déjà beaucoup de choses. »

La Courbevoisienne Nadia Bouguerra a accueilli une quinzaine d’enfants depuis 2007 et prend soin en ce moment de trois petites filles de huit, cinq et deux ans dont deux sœurs.© CD92/Willy Labre

Environ vingt pour cent des enfants   placés auprès du Département, séparés de leur famille pour une raison majeure, vivent au domicile d’un assistant familial – en majorité des femmes. C’est souvent la meilleure des réponses pour les enfants les plus jeunes, de moins de six ans, et pour les fratries qui, en établissement, risquent la séparation. Il s’agit de leur prodiguer une sécurité physique, psychique et affective ainsi que les conditions de vie nécessaire à leur épanouissement. La Balnéolaise Ornella Théau, ancienne accompagnatrice en école maternelle, désireuse « d’occuper un rôle valorisant et positif auprès d’un enfant », a eu envie de se lancer après avoir vu un documentaire sur ce métier. Son mari et ses deux ados de treize et seize ans étaient partants pour former avec elle une famille d’accueil. Une fois leur agrément obtenu auprès de la Protection maternelle et infantile, les candidats postulent auprès du Département. Aucune composition familiale spécifique n’est requise mais la motivation est primordiale. « On rencontre la personne mais aussi son conjoint et ses enfants, s’il y en a, car c’est un métier qui engage toute la cellule familiale, explique la responsable du service départemental de l’accueil familial, Virginie Auferil. Il faut être conscient de ce que cela implique : il s’agit d’accueillir chez soi toute l’année, jour et nuit, un enfant qui peut présenter des troubles liés à son histoire. C’est loin d’être facile mais c’est extrêmement valorisant quand les enfants s’en sortent bien. » Les qualités attendues sont la bienveillance, la patience et la discrétion… Les profils des uns et des autres sont assortis pour éviter les ruptures de parcours : « Il y a des familles qui vont être plus à l’aise avec des tout-petits, d’autres avec des ados. Si la famille a d’autres enfants du même âge, cela peut être intéressant. Certaines d’entre elles seront plus adaptées aux enfants en situation de handicap ». Le Département veille ensuite à accompagner ces professionnels pour rester au plus près des besoins de l’enfant. La durée du séjour dépendra de l’évolution de celui-ci et de sa situation familiale – cela va de quelques mois à la majorité pour les accueils les plus longs.

Juste place

Lounès et Ornella font leurs premiers pas ensemble, lui dans la vie, elle dans son nouveau métier. Né sous X, l’enfant a été confié dans la foulée à l’Aide sociale à l’enfance mais a été reconnu par le père qui dispose d’un droit de visite, en présence d’un tiers, une fois par mois. Après une semaine « de mise en relation » en pouponnière, le bambin, arrivé à treize mois, a commencé à découvrir son environnement et à tisser des liens. « On a passé tellement de temps ensemble pendant la première année qu’on se connaît par cœur. Au début, il était collé à moi, sûrement à cause de son histoire », raconte Ornella qui lui demande de l’appeler « tata » et le reprend – « même si c’est dur » – s’il lui dit « maman » : « Je suis peut-être sa mère de cœur parce que je lui permets de grandir en se sentant protégé, mais je ne serai jamais sa maman. En formation, on nous apprend à rester en retrait, raconte-t-elle. Notre rôle est de leur donner un cadre, une éducation, des valeurs mais sans prendre la place des parents. » Les échanges avec sa référente au sein de l’antenne d’Antony l’aident aussi à asseoir sa pratique débutante. « Chacun doit rester à sa place. Il est important pour l’enfant de ne pas être dans un conflit de loyauté, confirme Zoé Tavarès. C’est un métier où l’on peut vite se sentir seul. On travaille de chez soi, sans possibilité d’échanger avec des collègues et on est avec l’enfant en permanence. Nous les aidons à faire un pas de côté. » Un « projet pour l’enfant », précisant les modalités et les objectifs de l’accueil associe assistante, responsable d’équipe socio-éducative, référente, psychologue et le père de Lounès, titulaire de l’autorité parentale en dépit du placement. « C’est important qu’il participe. Il faut qu’on travaille tous ensemble, insiste Zoé Tavarès. Quand il aura grandi, Lounès aura son mot à dire également. »

Avec Lounès, deux ans, la Balnéolaise Ornella Théau fait ses premiers pas dans le métier.© CD92/Willy Labre

Trouver les mots

Nadia Bouguerra fait partie de ces « tatas de cœur », elle aussi. Cet après-midi le calme règne dans l’appartement coquet de Courbevoie où sont accueillies Jade, huit ans, le week-end uniquement, Olga, deux ans et Irina, cinq ans et demi, au sport pendant que sa sœur fait la sieste. Arrivée chez elle il y a un an, la fratrie avait été « placée en urgence suite à un signalement ». Nadia déploie des trésors de patience avec l’aînée, « très affectée par ce qu’elle a subi ». Les signaux sont les suivants : agitation, mises en danger, « angoisse qu’elle communique aux autres enfants », cris. « Je suis obligée de dire “stop” mais j’essaie aussi de trouver les mots pour l’apaiser. Je mise beaucoup sur l’écoute et le dialogue. Elle doit sentir qu’elle a sa place, explique-t-elle. Dès qu’ils se sentent en confiance, ces enfants se détendent, mais quand le choc a été trop fort, c’est plus compliqué. » Elle peut compter sur le soutien de l’antenne de Villeneuve-la-Garenne en cas de crise. Pour Irina, déjà suivie par un pédopsychiatre, une orientation en hôpital de jour est ainsi envisagée. « C’est un métier où il n’y a pas d’horaires, avertit Nadia qui se lève souvent au milieu la nuit, la petite fille souffrant de troubles du sommeil. C’est difficile mais c’est un bonheur de partager des moments avec eux et de leur apporter mon soutien au quotidien. » Depuis 2007, elle a accompagné une quinzaine d’enfants sans compter les accueils d’urgence ou relais pour soulager d’autres accueillants. Sa longue expérience ne l’empêche pas de porter un regard neuf sur chaque enfant : « Chacun d’entre eux est unique et a ses propres besoins, chaque situation et chaque âge sont différents. C’est un perpétuel recommencement ». Jusqu’à trois enfants ont pu se côtoyer chez elle – le maximum autorisé – sans compter sa propre fille, Sofia, treize ans. « Pour qu’ils comprennent qu’ils ont chacun leur place dans le cœur de tata », elle a toujours veillé à accorder à chacun d’entre eux de petits moments privilégiés – une sortie, une promenade, un resto…

Jour du départ

Jour après jour ces enfants, fragilisés par la vie, franchissent de nouvelles étapes. Lounès, entré en septembre en halte-garderie où il apprend à partager ses jouets, « commence à s’ouvrir aux autres et prend de l’assurance car il se sent protégé ». Ornella Théau s’en réjouit sans perdre de vue la finalité de son accompagnement. « Le jour où il partira, c’est que j’aurai fait mon travail même si, quand il sera plus grand, il pourra toujours m’appeler s’il le souhaite, assure-t-elle. J’essaie d’en parler souvent à mes enfants pour qu’ils se préparent, eux aussi. » À Courbevoie, une petite fête est organisée pour préparer les esprits à chaque départ. « Qu’il soit en colère, content, triste, ce qui importe, c’est que l’enfant puisse exprimer ses émotions. Quand Arthur est parti il y a deux ans, Jade et lui se sont pris dans les bras et ont pleuré », se souvient Nadia Bouguerra. Et pour que ce bout de chemin effectué ensemble puisse s’inscrire dans leur histoire, elle n’oublie pas de leur remettre un « album de vie » qui leur permettra de revoir « ces moments de vie chez tata ». 

Pauline Vinatier
*Les prénoms ont été modifiés

 

 

 

Revaloriser le métier d’assistant familial

Une pyramide des âges défavorable explique la baisse continue – près de – 50 % sur six ans – du nombre d’assistants familiaux. Soixante-dix pour cent d’entre eux ont en effet plus de 50 ans. En vue d’améliorer l’attractivité de ce métier, le Département vient d’instaurer une prime d’ancienneté ainsi qu’une prime pour les titulaires du diplôme d’État – soit jusqu’à 380 euros de plus par mois. Autres mesures, l’ouverture d’un relais expérimental avec l’association SOS Villages d’Enfants à Guerville, en partenariat avec les Yvelines, pour soulager provisoirement les assistants ou encore le renforcement de leur formation continue dès 2023. « L’objectif est d’augmenter notre capacité et de renforcer notre maillage territorial, afin de disposer de davantage d’assistants familiaux dans notre département et dans les départements les plus proches », explique Georges Siffredi.

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