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UN « PARCOURS MÉMORIEL » SUR LES PAS DES RÉSISTANTS

CD92/Julia Brechler

Le Département propose un circuit inédit sur les traces de différentes figures de l’engagement pendant la Seconde Guerre mondiale. Douze classes l’ont expérimenté cette année, dont le collège des Chenevreux, à Nanterre.

Du mémorial au lieu d’exécution, en passant par la chapelle des derniers instants, les élèves revivent l’itinéraire des condamnés.© CD92/Julia Brechler
Sur la cloche commémorative de Pascal Convert installée en 2003, les noms courent sous leurs yeux en lignes serrées et ininterrompues.© CD92/Julia Brechler

Au départ de l’esplanade, le groupe pénètre dans l’enceinte du fort pour rejoindre le « parcours du souvenir », crée en hommage aux fusillés du Mont-Valérien, qui retrace l’itinéraire de leurs derniers instants. « Comme le Mémorial de la France Combattante et l’esplanade, ce parcours est né de la volonté du général de Gaulle », indique en préambule à la classe de troisième Claire Bouquin, médiatrice au Mont Valérien. Le lieu qu’ils abordent est emblématique de la répression pendant la Seconde Guerre mondiale. Sur les hauteurs de Suresnes, la forteresse fut, de 1941 à 1944, le principal lieu d’exécution en France de résistants et d’otages par l’armée allemande. S’ils furent plus de mille à y périr, tous n’ont pu être identifiés. Qui étaient les exécuteurs ? À quel endroit les hommes sont-ils tombés et où reposent leurs corps ? Les questions fusent déjà. « Ce parcours permet de faire une rétrospective des acquis depuis le mois de septembre dans un cadre privilégié, souligne Caroline Berger, leur professeur d’histoire. Certains connaissent les lieux de mémoire des environs, pour d’autres c’est une première. » En février, la panthéonisation de Missak Manouchian, fusillé en ces lieux mêmes, s’est invitée fort à propos au programme. « Les élèves ont vu un extrait de la cérémonie, indique Caroline Berger. Qu’un tel hommage intervienne quatre-vingts ans après sa mort leur montre que la mémoire et le souvenir s’inscrivent dans un temps long. Le fait qu’il s’agisse d’un étranger les fait réfléchir à ce que signifie être patriote aujourd’hui. » 

À chaque visite, l’excitation de la sortie scolaire le dispute à la gravité de la prise de conscience.

Clairière des fusillés 

Sur le sentier à flanc de coteau, la vue porte à des kilomètres à la ronde et le groupe marque un premier arrêt pour prendre du recul. Les fusillés étaient de tous bords politiques et la lutte armée, que les collégiens citent spontanément, n’était qu’une modalité de la Résistance. La guide en veut pour preuve Honoré d’Estienne d’Orves, compagnon de lutte de De Gaulle et fondateur d’un réseau de renseignements, exécuté en août 1941. Savaient-ils qu’en fait de représailles, trois cents otages aux origines ou opinions « dérangeantes » avaient aussi été passés par les armes ? Dans la chapelle où les condamnés étaient assistés par l’aumônier Franz Stock, les débris des cinq poteaux d’exécution impressionnent. « Je les imagine attachés ; ils pouvaient choisir d’avoir les yeux bandés », frissonne Alice. « C’est poignant. », murmure Lora. Puis vient la clairière, en contrebas de la muraille, où palpite de nos jours un grand drapeau tricolore. « C’est étrange. Ce lieu est beau mais a vu passer l’horreur », dit Raphaël. Le 21 février 1944 vint le tour de ceux de l’Affiche rouge, célébrés par le poème d’Aragon et chantés par Ferré : les francs-tireurs partisans – main d’œuvre immigrée de région parisienne, emmenés par Missak Manouchian. Grâce aux photos clandestines de cette scène, documents inespérés transmis par un sous-officier allemand à la fin de sa vie,   « on connaît l’endroit précis et la façon dont ils étaient attachés. On sait aussi qu’il y avait beaucoup plus de soldats que de condamnés ». Une raison à cela : « Il n’était pas toujours simple pour eux de tirer. Ainsi on ignorait qui avait tué qui. » Les corps étaient ensuite inhumés dans des cimetières de région parisienne, anonymement « pour éviter tout hommage ». À Suresnes, au Mémorial du Mont Valérien, reposent toutefois dix-sept combattants, symbolisant chacun une forme d’engagement dans le conflit, dont Hubert Germain, dernier compagnon de la Libération disparu en 2021. Passé un arrêt solennel dans cette crypte, le groupe retrouve, sonné, l’esplanade inondée de lumière où brûle la flamme du souvenir. « Tout ce qu’on nous a raconté jusqu’ici, c’était comme dans un film ; là, ça devient « réel » et plus proche de nous », s’émeut Margaux. « On a marché là où ils ont marché, on a vu la même chose qu’eux, on s’est arrêté à l’endroit où ils ont été fusillés ! », s’exclame Luis.

À chaque visite, l’excitation de la sortie scolaire le dispute ainsi à la gravité. « Quand nous avons expérimenté ce parcours l’année dernière, j’ai accompagné le collège Hubert-Germain de Suresnes (rebaptisé en hommage au dernier compagnon de la Libération, Ndlr). Les jeunes étaient recueillis dans un silence total », raconte Nathalie Yvon, responsable de l’unité des projets éducatifs territoriaux au Département. Ce nouveau projet éducatif et citoyen met en relation trois entités au cœur de ces questions de mémoire : « Les Archives et le Mont Valérien travaillaient déjà ensemble et nous avions un partenariat avec le Mémorial de la Shoah dans le cadre du plan de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations, poursuit Nathalie Yvon. Nous avons voulu mobiliser toutes les ressources locales pour créer un parcours sur une thématique fédératrice en lien avec le programme d’histoire. » En 2023-2024, le dispositif a été étendu à douze établissements ayant une appétence pour ce type de projets – les Chenevreux travaillaient cette année en interdisciplinarité sur le thème « Faire la guerre/faire la paix », mettant en lien l’histoire, le français, l’allemand et même le sport, avec des chorégraphies inspirées des mots de fusillés !

Les archives départementales dévoilent un original de l’Affiche rouge et des lettres inédites de fusillés.© CD92/Julia Brechler

Lettres originales

Si nul n’a pu s’évader du fort, les carnets de l’abbé Stock et les lettres transmises par ce dernier aux familles ont facilité après-guerre l’identification des fusillés. D’autres ont été écrites en prison. Des documents qui arrivent depuis peu au compte-goutte aux Archives départementales, à Nanterre. « Les familles vieillissent et souhaitent mettre les originaux en lieu sûr. Elles ont souvent le réflexe de s’adresser au Mont Valérien qui les redirige vers nous, précise la médiatrice des Archives, Cécile Paquette. La plupart de ces lettres nous sont parvenues il y a un ou deux ans à peine. » Cette deuxième étape du parcours mémoriel met l’accent sur la portée décisive de ces témoignages. Les élèves ont le privilège de consulter cinq lettres originales, conservées à l’abri dans les magasins de Nanterre, puis de travailler sur les fac-similés de ces ultimes messages d’amour et d’espoir. « Ils ont voulu dire au revoir à leur famille mais il est intéressant aussi de voir que l’on peut en dégager des faits historiques et qu’elles ont été écrites pour faire mémoire », observe Caroline Berger. Celle de Georges Ruet, si difficile à déchiffrer à cause des plis, « a dû être conservée longtemps dans une poche ou un portefeuille, indique Cécile Paquette. Cela fait partie de son histoire et montre l’importance qu’elle a eue pour ses parents ». Chez Claude Waroquier dominent le patriotisme et l’absence de regrets, explique Yacine, et chez André Cholet les maladresses du tracé trahissent l’émotion. « C’est comme si j’entendais sa voix, dit Margaux. Il parle à sa femme de leur fils, ça me fait penser à mon père… » « C’est un père de famille qui a choisi d’entrer en résistance, malgré les répercussions, admire Lora. J’ai du mal à savoir comment j’aurais agi à sa place car j’ai grandi à une autre époque. » Malgré les différences d’âge, d’origines, d’opinions, tous semblent unis par leurs valeurs. « On retrouve la même force de caractère, conclut Cécile Paquette. Il n’y a pas de haine pour l’ennemi dans ces lettres mais de l’amour et le souhait d’un avenir meilleur. » 

La visite les conduit pour finir devant les cénotaphes de dix-sept combattants du second conflit mondial, représentant différentes formes d’engagement.© CD92/Julia Brechler

« Armée du crime » 

À défaut de lettres du groupe Manouchian, les Archives possèdent l’un des 15 000 exemplaires originaux de l’Affiche rouge, en parfait état. Et pour cause : « Elle n’a pas été arrachée d’un mur mais achetée aux enchères. » Intitulée « Des libérateurs ? La libération par l’armée du crime », elle jette l’opprobre sur dix des vingt-trois combattants du groupe Manouchian. Autour du « chef de bande », on cherchera en vain les trois Français et le footballeur du Red Star, Rino Della Negra, trop populaire ; en revanche, Spartaco Fontanot, inhumé avec ses deux cousins à Nanterre où une rue leur rend hommage, figure sous l’intitulé « communiste italien ». La plupart avaient la vingtaine et certains étaient lycéens, mais leur jeune âge est omis. Les portraits, que des flèches accusatrices relient aux images présumées de leurs crimes – déraillement, torse criblé de balles -, et le fond rouge de l’affiche « couleur du sang et du communisme » : tout les accable. « Ils étaient polonais, arméniens, hongrois, italiens, espagnols ; beaucoup avaient fui des régimes totalitaires et défendaient leur pays d’accueil, rappelle Cécile Paquette. Après leur exécution, la propagande a mis en avant le fait qu’ils étaient communistes, étrangers et pour certains d’entre eux, Juifs. » Ces derniers étaient alors doublement victimes des persécutions nazies, contre lesquelles se dressèrent, là encore et au péril de leur vie, des femmes et des hommes armés de leur seule humanité. 

Pauline Vinatier
Nos remerciements au Mémorial du Mont Valérien pour avoir ouvert ses portes.

Du Mémorial du Mont Valérien au Mémorial de la Shoah

Jacob Romen, commerçant dans le Marais, assassiné à Auschwitz et Joseph Migneret, ancien directeur de l’école des Hospitalières – Saint-Gervais, sont liés à jamais. La dernière étape du parcours mémoriel entraîne les élèves au Mémorial de la Shoah, à Paris. Ils enquêtent sur ce duo à l’aide de documents d’archives – fiche d’internement à Drancy, correspondance, photographies et articles de presse…- avant de partir dans le Marais à la découverte de l’école et de l’échoppe de Jacob Romen. Par sa bravoure, Joseph Migneret sauva une dizaine d’enfants, en les cachant dans le quartier et dans son appartement d’Antony ou en les aidant à passer en zone libre. Parmi eux, les quatre enfants du poissonnier. « Peu de gens auraient eu son courage », admire Lina. En 1990, cinquante ans après sa mort, Joseph Migneret fut reconnu comme « Juste parmi les Nations », la plus haute distinction civile de l’État d’Israël. Il existe à ce jour 4 000 Justes français. 

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