Santa Teresa, palais du Catete au fond à gauche, Pain de Sucre à droite. Rio de Janeiro, Brésil, septembre 1909. © Musée départemental Albert-Kahn, Département des Hauts-de-Seine
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ENTRE RIO ET BUENOS AIRES, ENQUÊTE À L’ESCALE

Pour sa deuxième exposition temporaire, le musée départemental Albert-Kahn prolonge l’invitation au voyage après avoir mené l’enquête.

Succédant à l’exposition inaugurale du musée qui voyageait en grand format autour du monde et traversait les époques, celle-ci relève de ce que l’on désigne sous l’appellation d’exposition-dossier : espace et focale plus serrés, il s’agit d’explorer un fonds inédit du musée. Unité de temps : août et septembre 1909 ; de lieu : l’Amérique du Sud ; d’action : le voyage qu’Albert Kahn effectue pour ses affaires. Avec la petite part de mystère qui sied : on ne savait rien ou presque de ce voyage, antérieur à la mise en place des Archives de la Planète, et qui fut fondateur, de la même manière que le grand périple autour du monde qui l’avait précédé. Pas de nom d’opérateur, pas de certitude chronologique ni de localisations exactes : l’exposition Rio – Buenos Aires 1909. Modernités sud-américaines n’aurait pas été possible sans un patient travail collectif d’analyse, initié en 1997, mené au Brésil et en France, et qui trouve son aboutissement aujourd’hui. De cette enquête autour des 683 photographies sur plaques de verre et du film rapportés par Albert Kahn, l’exposition, visible jusqu’au 19 novembre, présente 85 images : agrandissements et tirages au format de vues stéréoscopiques – les fameuses doubles plaques qui permettaient la vision en relief – et d’autochromes – photographies en couleurs au format 9 x 12 cm qui sont les premières dans les collections du musée à avoir été prises hors de France. Exceptionnelles, elles le sont aussi pour être les premières vues en couleurs du Brésil. C’est probablement l’émerveillement – tellement difficile à concevoir de nos jours – devant l’image aux couleurs réelles qui suggère à Albert Kahn l’usage du procédé autochrome pour la constitution des Archives de la Planète.

Dans le quartier de Santa Teresa, le Castelinho Valentim en arrière-plan. Rio de Janeiro, Brésil, septembre 1909.© Musée départemental Albert-Kahn, Département des Hauts-de-Seine

Modernités sud-américaines

En suivant la scénographie, ici inventive et ludique à destination du public familial, là nourrie d’interventions audiovisuelles et numériques pour, si on le souhaite, apprendre et mieux comprendre, le visiteur reconstitue le lent périple maritime à bord du König Friedrich August. Pas seulement un paquebot de luxe : comme en un raccourci qui ferait s’entrechoquer le monde d’hier et celui d’aujourd’hui, il y a les images de l’entrepont où s’agglutinent des familles de migrants – alors venus d’Europe de l’Est et pris dans l’appel d’air d’une Argentine qui s’inventait nouvel Eldorado. On est parti de Porto au Portugal, on arrive à Montevideo en Uruguay, puis à Buenos Aires en Argentine ; on visite ensuite les villes de la façade atlantique brésilienne, Rio de Janeiro, São Paulo, Salvador de Bahia… C’est un continent en mutation, une époque qui peut nous paraître très lointaine compte tenu de l’accélération de l’usage du monde. Tout comme, au contraire, Buenos Aires et Rio de Janeiro nous semblent infiniment plus actuelles que l’image – le cliché exotique ! – que nous nous en faisions. Il y a de l’Europe dans les perspectives impressionnantes des rues, une modernité importée directement du vieux continent, un urbanisme à la manière du baron Haussmann. D’ailleurs, en 1909, La Vie parisienne composée par Offenbach en 1866 n’est pas si loin : « Je suis Brésilien, j’ai de l’or / Et j’arrive de Rio-Janeire / Plus riche aujourd’hui que naguère / Paris, je te reviens encor ! »

Ce fonds est tout à fait exceptionnel : premières captations en couleur du Brésil, premières autochromes de la collection du musée prises hors de France.

Trois passagers au large de l’île de Madère. À bord de l’Avon III, océan Atlantique, septembre 1909.© Musée départemental Albert-Kahn, Département des Hauts-de-Seine
© Musée départemental Albert-Kahn, Département des Hauts-de-Seine

Dernier voyage

Le voyage de retour en Europe, à bord de l’Avon III, revêt des couleurs subtilement différentes. Il s’agirait presque – robes longues, costumes blancs et chapeaux élégants – de se transporter dans un roman de genre façon Mort sur le Nil ! Les premières classes sont à l’honneur, l’escale sur l’île de Madère puis l’arrivée à Belém, le port de Lisbonne, pourraient servir de dépliant touristique. Entre temps, l’exposition cadre serré un moment rare : une visite diplomatique de trois heures à Recife traitée comme un reportage moderne. Il faut alors imaginer Albert Kahn songeur : les images de son dernier grand voyage hors d’Europe tournent déjà comme un souvenir et forment bientôt le projet de constituer, tant qu’il est encore temps, les Archives de la Planète pour en conserver la mémoire universelle. Désormais, et pendant plus de vingt ans, Albert Kahn vivra ses aventures extra-européennes par émissaires interposés.

Didier Lamare
Rio – Buenos Aires 1909. Modernités sud-américaines. Salle d’exposition temporaire du musée départemental Albert-Kahn, Boulogne-Billancourt, jusqu’au 19 novembre. Le parcours permanent demeure accessible.
Catalogue (carnet d’enquête et carnet de voyage) sous la direction de Delphine Allanic et Clément Poché, commissaires de l’exposition (72 + 64 pages, 29 ).

 
 
 
 

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