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Intelligence de l’artifice

Deuxième artiste en résidence de création au musée départemental Albert-Kahn, Fabien Ducrot travaille les Archives de la Planète avec les outils du XXIe siècle.

Pour son projet des Archives de la Planète, Albert Kahn envoyait photographes et cinéastes, aux techniques encore balbutiantes dans ce premier tiers de XXe siècle, fixer un état du monde avant sa disparition. Le temps a passé, il a effacé ce monde d’avant dont il ne demeure que des images. Pour l’exposition Matière et mémoire, jusqu’au 24 mars dans la salle des Plaques du musée à Boulogne, le plasticien Fabien Ducrot s’est servi des 72 000 autochromes numérisées pour « nourrir » des outils d’intelligence artificielle générative, avant de les guider dans un double processus : soit la création d’une image nouvelle aux teintes de la nostalgie, soit une image de l’époque augmentée par l’intervention, parfois visionnaire, parfois trompeuse, de la machine. Au-delà de la beauté spectaculaire du résultat, le plus passionnant est peut-être le parallèle qui peut se faire entre le début du XXe siècle et le début du nôtre quant à la métamorphose du rôle des artistes. Lorsque la photographie couleur a su documenter le monde, les peintres se sont, plus ou moins consciemment, libérés de cette tâche, de nouvelles visions artistiques ont alors pu apparaître, inimaginables auparavant. Malgré la peur qu’ils engendrent, souvent irrationnelle, les outils d’intelligence artificielle, en s’attachant à des techniques de fabrication toujours dirigées par l’homme, ne sont-ils aussi parfois pas en train de libérer l’artiste des tâches et de le conduire ailleurs ?

Photo : © DR

Sous le soleil exactement

À Meudon, le Hangar Y nous invite à Prendre le soleil jusqu’au 21 avril à travers les filtres polarisants d’artistes contemporains.

Le Hangar Y, devenu « destination culturelle et événementielle à la croisée de l’art, des sciences et techniques, de l’histoire et de la nature », accueille une exposition montée en partenariat avec l’Observatoire de Paris-PSL, auquel est rattaché l’Observatoire de Meudon. Les œuvres de la quarantaine d’artistes français et internationaux réunis, plasticiens, photographes, musiciens et vidéastes, visent à une « irradiation » par la matière poétique solaire. La beauté plastique, intense jusqu’à l’éblouissement, de l’image que nous nous faisons de l’astre inaccessible, emprunte autant à l’imaginaire qu’à la recherche scientifique, à la séduction immédiate qu’à l’humour potache. Les « paysages » de lumière tirés sur papier photographique périmé par Laure Tiberghien apaisent la violente tempête solaire en briques de Lego de Dagoberto Rodriguez. L’Anglaise Tacita Dean filme l’absence du mythique « rayon vert » comme elle ferait l’éloge de la lenteur. Au patchwork numérique de milliers de sunsets anonymes collectés sur internet par Penelope Umbrico répond la tentative de Guillaume Aubry pour simuler le coucher de soleil avec un œuf cru sur une carte postale ! Trois œuvres ont été spécialement commandées pour l’exposition à Abdelkader Benchamma, Rachel Duckhouse et Gwenola Wagon. Il y a de l’imagerie scientifique et des écrans solaires, de la science-fiction et même du jazz – celui de Sun Ra, évidemment !

Photo : © Penelope Umbrico

Décor napoléonien

déalement inaugurée au moment où le Napoléon de Ridley Scott déboulait comme une charge de cavalerie sur les écrans de cinéma, l’exposition Un panoramique napoléonien se prolonge jusqu’au 26 février au château de Bois-Préau, à Rueil-Malmaison, avec une tout autre rigueur historique ! Le panoramique en question n’est pas un mouvement de caméra, mais un décor de papier peint, une spectaculaire « tenture en camaïeu » de seize mètres de long éditée vers 1829. Elle présente les campagnes des Français en Italie entre 1796 et 1799, on y voit – au loin – les armées du jeune Bonaparte tandis que la population italienne fraternise paisiblement… Jamais montré au public français depuis plus d’un siècle, restauré, le panoramique témoigne quasi cinématographiquement de la légende napoléonienne. Il est accompagné dans le parcours d’exposition par des tableaux et des objets d’art relatifs aux mêmes années – dont un rare portrait en bas-relief du général Bonaparte daté de 1800, attribué à Bonzanigo et récemment acquis par le musée national.

Photo : © Musées de Senlis

Joindre le textile au durable

Le Jardin des métiers d’art et du design (JAD), à Sèvres, s’intéresse au monde en mutation du design de mode et de la conception textile. Tisser l’avenir, habiller le corps, du 17 janvier au 21 avril, déroule le fil amorcé par Sempervirens, l’exposition hivernale de l’an passé. En mettant en avant les savoir-faire d’exception du textile et de la mode durable, le commissaire d’exposition Pascal Gautrand – qui fut le premier résident de la section « design de mode » à la Villa Médicis – nous parle d’objets désirables dans un écosystème du vêtement qui a beaucoup appris des contraintes environnementales. Fondateur de la plateforme Made in Town, il articule l’exposition en un prologue autour des matières, des acteurs et des métiers du domaine, avant d’en détailler les perspectives durables en trois chapitres : la sobriété par la simplicité et la durabilité, le cercle vertueux du réemploi, la réhabilitation des matières naturelles et des pratiques ancestrales.

Photo : © Loann Djian

Nature intérieure

Dans ses monologues bruts de cri publiés sur son site, Daniela Quilici ne cherche pas la séduction. Elle y parle de petits jardins secrets avec des mensonges, de la poubelle de ses faux pas : « Ça fait un moment que je fuis ma réalité, je divague dans les rues de Paris et je ne me concentre pas sur mon but primordial : atteindre le sommet de la montagne […], je me dirige sur un chemin sombre […] mais je vois au loin la montagne illuminée par la lune, la lune qui m’appelle sans cesse depuis des éternités… » On peut bien sûr regarder ses sculptures et dessins, exposés du 12 janvier au 24 mars à la Maison des Arts de Châtillon, sans rien entendre de cette vie intérieure. On verra alors l’argile et le bois tombés comme des plumes des forêts vénézuéliennes, des espaces aux couleurs transparentes et liquides comme une plongée dans un lagon caraïbe. Mais si l’on se souvient de la montagne inaccessible sous la lune, on comprendra sans doute mieux la relation hybride entre la nature universelle et la part d’humanité de l’artiste. 

Photo : © Daniela Quilici

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