Le danseur et chorégraphe, l’une des premières figures du hip-hop en France, est de retour à Suresnes Cités Danse pour présenter une nouvelle version de sa Symfonia.

Avec Kader Attou, la danse est avant tout une histoire de rencontres. Le gamin Kader a 10 ans quand il découvre, en 1984, la boxe française et les arts martiaux dans un gymnase de Saint-Priest dans la banlieue de Lyon. Le compère Mourad Merzouki est déjà là, Éric Mézino et Chaouki Saïd aussi, ils monteront bientôt ensemble l’association Accrorap pour des petits shows dans les fêtes du quartier. Une discipline d’athlète, des chorégraphies de combat, « donc de la musique, une entrée, un développement et une sortie : la notion de chorégraphie est apparue à ce moment-là. Ma spécialité, c’était le burlesque du corps avec des objets, une table, une chaise, des petits numéros qu’on appelait charivari. »

H.I.P. H.O.P.

Au même moment, la télévision diffuse l’émission H.I.P. H.O.P. présentée par Sidney. « On s’est retrouvé à la fois dans l’univers du cirque et sur le bitume avec cette danse qu’on découvrait. Les deux ont fini par “matcher” ». Parmi les spectacles fondateurs, Kader Attou évoque Contrepied, hommage au football de la compagnie Black Blanc Beur. « Je découvre que le hip-hop pouvait être autre chose qu’une démonstration : une écriture, une histoire, une mise en scène. » L’autre histoire décisive, c’est en 1992 le voyage d’Accrorap vers les réfugiés de l’ex-Yougoslavie. « Une claque monumentale ! Lyon-Zagreb, c’est moins de deux heures en avion : la guerre qui me semblait loin à la télé, est en réalité à côté de chez moi. Dans les camps de réfugiés, on découvre les familles déplacées qui ont tout perdu et se retrouvent dans des baraquements en attendant des jours meilleurs. On les oublie souvent dans les guerres, on ne compte que les bombes et les morts. Nous sommes arrivés avec notre danse, sans langue commune, il y a eu tout de suite le feeling avec les familles, les enfants. On parlait avec notre corps, notre sourire, avec nos silences aussi. Les familles nous invitaient à boire le café et manger le pain pita, elles racontaient leurs histoires… Si la danse peut exister malgré les frontières, alors elle est un moyen d’une puissance incroyable pour dire et faire passer les choses. C’est à ce moment que ce projet de vie s’est inscrit définitivement en moi. »

L’art m’a donné cette chance de pouvoir m’inventer des mondes. Et maintenant, je rends la politesse en partageant mes mondes à travers mes spectacles.

Une humanité dansante

Kader Attou est un fidèle de Suresnes Cités Danse depuis la deuxième édition. Il revient pour l’anniversaire des 30 ans avec Symfonia Pieśni żałosnych, chorégraphie renouvelée sur la symphonie dite des « Chants plaintifs » du compositeur polonais Henryk Górecki. Un « tube » de la musique contemporaine – qui n’en compte pas beaucoup – que le jeune Kader Attou découvre à la radio à 19 ans et qu’il sert aujourd’hui avec dix danseurs riches de leurs singularités de corps et de culture, de la formation classique à la danse kathak indienne. « J’aime penser à une humanité dansante, travailler à partir de ce que sont les danseurs, de leur identité, de leur histoire. » En 2010, le chorégraphe rencontrait le compositeur chez lui à Katowice, quelques mois avant sa mort. « Górecki était d’une grande humanité, il ressentait la souffrance et avait voulu apporter au monde quelque chose de lumineux. Sa symphonie est universelle, c’est une sorte de lutte entre les ténèbres et le ciel, où la lumière gagne à la fin dans une délivrance incroyable. Quand je lui ai demandé pourquoi il l’avait écrite, il s’est retourné vers sa femme, il y a eu un moment suspendu assez extraordinaire, il m’a regardé et répondu : “C’est pour elle”. Sa symphonie est un hommage à la femme. »

De nouvelles histoires

Kader Attou a été le premier danseur hip-hop appelé à diriger un centre chorégraphique national. Après treize ans passés à La Rochelle, il emmène sa compagnie Accrorap raconter de nouvelles histoires sur un pôle méditerranéen à l’embouchure du Rhône qui l’a vu naître. « Je suis un enfant de l’école de la République, je suis toujours en contact avec mon institutrice qui m’a fait aimer les lettres, les mots, la poésie. Je regardais Jacques Martin à la télévision avec l’odeur du couscous dans la maison… C’est ma vie, c’est chez moi, je suis un tout. En grandissant, c’est l’autre qui vous désigne comme différent. » Les Autres, c’est justement le titre de sa nouvelle création, où le danseur Kader Attou fait une discrète apparition à la façon d’Hitchcock dans ses films. « Un spectacle comme un rêve éveillé dans un univers assez fantasmagorique », impression renforcée par l’utilisation de deux instruments de musique totalement hors norme : le thérémine et le Cristal Baschet. « J’aime imaginer des spectacles où vous embarquez comme dans une pièce au théâtre ou un film au cinéma. On ne voit pas des “danseurs” mais des personnes, ou des personnages qui sortent de l’imaginaire. J’aime qu’on me raconte des histoires, et si mes propres spectacles vous racontent une histoire, j’en suis heureux. » 

Didier Lamare
Symfonia Pieśni żałosnych à Suresnes Cités Danse le 25 janvier à 20 h 30.

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