CD92/Julia Brechler
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La passion selon Zwobada

Les Anciennes Écuries du Domaine départemental de Sceaux exposent jusqu’au 20 mars 150 œuvres du sculpteur et dessinateur Jacques Zwobada.

Sur le territoire départemental, à la liste des grands noms de la sculpture – et donc du dessin car le sculpteur est d’abord un dessinateur qui se propage dans l’espace – où figurent, après l’ancêtre Rodin, Paul Landowski, Jean Arp ou Paul Belmondo, il faudra désormais ajouter Jacques Zwobada, né à Neuilly-sur-Seine en 1900 et qui passa l’essentiel de sa vie dans son atelier de Fontenay-aux-Roses jusqu’à sa mort en 1967.

Sous le titre Jacques Zwobada. Résonances, cette rétrospective puise dans le fonds d’atelier maintenu par la fille de l’artiste, enrichie d’œuvres majeures conservées dans les musées – dont le Musée national d’art moderne à Paris et le MA 30, à Boulogne. Elle fait entrer en résonance l’art du fusain et celui du bronze, complémentaires. Ainsi que la part figurative et la part abstraite de l’artiste – si tant est qu’on puisse aussi aisément tracer une frontière entre les deux : il y a toujours eu dans ses premières sculptures des échappées intérieures vers un monde imaginaire ; et dans les dernières, même les moins réalistes, des lignes et des courbes qui parlent du corps.

La passion selon Zwobada n’est pas qu’une formule. Celle pour son art, animé par un sens proliférant du vivant, l’entraîne en Amérique latine : en Équateur dès 1929 où il travaille, avec son ami René Letourneur, à un Monument Simón Bolívar ; puis au Venezuela, de 1948 à 1950, comme conseiller artistique et professeur aux Beaux-Arts de Caracas. La passion est aussi, au cœur de l’œuvre et de sa vie, une histoire d’amour tour à tour interdite puis déchirée soudain par la mort brutale, en 1956 à 42 ans, d’Antonia Fiermonte qui était devenue son épouse. Le journal Le Monde, à l’occasion d’une exposition en 1969, écrivait à la manière allusive de ces années-là : « On sent qu’un autre intérêt, qui fut, on le sait, une grande passion, a porté sur cette sculpture une ombre acceptée comme telle. Bref, ces élans, cette émotion, cette sensualité, partout présents, ont des références secrètes à un autre langage, plus personnel, et Zwobada est de ceux qui ont mis leur génie dans leur vie. »

© CD92/Julia Brechler

De l’étreinte à l’élévation

On ne saurait mieux décrire les vibrations intenses qui traversent l’œuvre sculptée d’un artiste qui avait commencé dans le sillage de Rodin avant de s’en affranchir. Quand il modèle une silhouette d’évidence féminine, généreuse et convulsive, il la titre Orogénie, soit le processus de formation des reliefs de l’écorce terrestre. C’est dans une Élévation qu’il cherche la forme du Couple qu’il destine à orner le monument funéraire d’Antonia, dans les environs de Rome, sorte de Taj Mahal où il finira par la rejoindre une décennie plus tard, et dont l’épitaphe est signée Louise de Vilmorin. C’est dire s’il place la barre très haut.

Parfois impressionné, le visiteur trouvera, dans ses fusains de grand format, une autre résonance, une intimité accessible : hommages à la musique, scènes d’intérieur où l’on croit entendre le violoncelliste qu’il était. Bernard Vasseur, dans son livre d’art consacré aux dessins de Zwobada, écrit d’eux qu’ils « jaillissent de sa nuit pour constituer un bouquet magnifique et grandiose. » Avant de cerner l’artiste d’un coup de plume : « Loin des regards et des modes de l’air du temps, dans la solitude de son atelier, Jacques Zwobada a construit dans la douleur d’un amour fou une œuvre visionnaire et bouillonnante. » 

Didier Lamare
Jacques Zwobada. Résonances, au Domaine départemental de Sceaux jusqu’au 20 mars.

La Verticale

Motif récurrent des dernières années, élan vital de l’artiste vers l’absolu : La Verticale, dont il existe de nombreuses dérivées, apparaît à l’issue de son œuvre comme un aboutissement, détaché des contraintes de la figuration. Tout entière lancée vers le ciel, elle est, écrivait Jacques Zwobada au crépuscule de sa vie, « une forme puissante, exubérante, par laquelle j’essaye de rendre le sentiment que je ressentais lorsqu’au Venezuela je pénétrais dans la forêt vierge, sentiment fait de la crainte que cette nature me produisait, tant elle semble et elle suggère de forces souterraines impossibles à contenir et à maîtriser. » D’une maquette en terre cuite de 1955, l’artiste travaille inlassablement son thème. Le Département installera à l’horizon 2022 une fonte monumentale de La Verticale dans le parc départemental André-Malraux à Nanterre : dix mètres de haut, douze tonnes, un hommage de titan.

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