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LE BLOB EST UNE SORTE DE TRANSFORMERS

Lauréate, avec le dessinateur Simon Bailly, du prix départemental La Science se livre avec le dessinateur Simon Bailly, Audrey Dussutour est éthologue et directrice de recherche au CNRS. Moi, le blob lève le mystère sur cette étrange créature.

© © David Villa Scienceimage CBI CNRS

HDS Pouvez-vous dresser un portrait-robot du Physarum polycephalum, alias « le blob » ?

AD Cet organisme, semblable à des œufs brouillés, n’est ni un champignon, ni un animal, ni une plante ! Apparue il y a 800 millions d’années, cette créature primitive n’a même pas de forme prédéfinie : elle s’adapte à son environnement. Autant dire que le blob est une sorte de « Transformers ». Il a fallu attendre les années 2000 pour le classer correctement parmi les amœbozoaires, des organismes unicellulaires habituellement invisibles à l’œil nu. Côté nourriture, le blob déteste le sel mais affectionne les champignons de Paris, les flocons d’avoine et plus étonnant encore, des substances chimiques comme les anti-dépresseurs…

HDS Il tire son surnom du film Le Blob, qui raconte la conquête de la Terre par une substance invasive. Est-il appelé à dominer la planète ?

AD Physarum polycephalum est un unicellulaire géant qui, il est vrai, n’a pas de taille limite théorique. Il appartient à la classe des myxomycètes, des organismes que l’on trouve partout sur la planète, à l’exception notable des pôles. Rassurons-nous toutefois, aucune des mille espèces de myxomycètes connues n’est classée comme envahissante ! À l’abri des prédateurs, le blob pullule surtout dans les laboratoires – d’où son surnom. Les limaces le maintiennent sous contrôle dans la nature, où on le retrouve le plus souvent à l’état de « dormance », dans l’attente des conditions favorables pour sa croissance.

HDS Vous travaillez en laboratoire sur des spécimens vieux de 70 ans. Le blob est-il immortel ?

AD Oui et non. Au fil du temps, le blob accumule du stress oxydatif – autrement dit, il rouille – et devient sujet aux infections. Mais pendant une phase de « dormance », il peut se régénérer ! À son réveil, les stigmates de son vieillissement ont, pour ainsi dire, disparu. Fusionné avec un individu de même ADN, un blob âgé est même capable de lui « voler sa jeunesse » pour prolonger sa durée de vie. Ces deux facultés, assez uniques, focalisent l’attention des scientifiques.

HDS On imagine quel profit l’humanité tirerait de la découverte de la fontaine de jouvence… Peut-elle exploiter ses autres particularités ?

AD Toujours dans le domaine médical, il existe des pistes un peu plus réalistes : le blob sécrète par exemple des composés bioactifs contre des cellules cancéreuses ou responsables d’infections bactériennes et fongiques. Intelligent, il a démontré des capacités de résolution de problèmes défiant certaines intelligences artificielles. Il peut aussi détecter des perturbateurs endocriniens dans les cours d’eau et ce, dans des concentrations infimes.

HDS Vous affirmez que le blob peut « apprendre » et « enseigner » son savoir à ses congénères. N’y voyez-vous pas un anthropomorphisme ?

AD Au contraire ! Notre vision anthropocentrée nous laisse imaginer que l’apprentissage repose sur un système nerveux. Or les plantes aussi peuvent apprendre, au même titre que les organismes unicellulaires. Pour le prouver, on a fait remplir au blob les neuf critères qui définissent scientifiquement l’apprentissage, ouvrant ce faisant une boîte de Pandore : des chercheurs s’y intéressent maintenant aux États-Unis, à Harvard notamment. De quoi nous apprendre l’humilité… 

HDS Thomas Pesquet l’a emporté dans ses bagages à bord de la station spatiale internationale. Pour quels résultats ?

AD Pour son sixième voyage dans l’espace, le blob a prouvé qu’en moyenne, il se réveillait plus tôt d’une phase de « dormance » et s’y déplaçait plus vite que sur Terre, confirmant les conclusions de précédents voyages en microgravité. Attention, s’il se montre très à l’aise dans l’espace, cela ne veut pas dire qu’il vient d’ailleurs ! 

HDS Le comportement de deux individus d’une même espèce diffère nettement. Ont-ils une personnalité propre ?

AD Disons qu’ils présentent des caractéristiques d’ordre comportemental différentes et constantes dans le temps. Par exemple, le blob australien sera toujours le plus lent. Mis en présence de son cousin japonais, le blob américain, peu sociable, s’emploiera activement… à le dévorer. Par ailleurs, tous développent des préférences alimentaires à mettre en lien avec leur milieu de naissance.

HDS Aujourd’hui personnage de BD, le blob est devenu comme un emblème de la pop culture…

AD C’est vrai qu’il se répand un peu partout, conformément à sa nature ! Des vidéos YouTube franchissent le million de vues, récemment encore, l’artiste Loris Gréaud le faisait entrer dans le jardin du Petit Palais à Paris grâce à une installation éphémère étonnante… Pour l’expliquer, je dirais qu’il attire les plus jeunes par son côté « alien » et par toutes les expériences amusantes que l’on peut réaliser avec lui chez soi.

HDS Comment acquérir un blob et s’en occuper ?

AD Dans la nature, c’est très facile ! Il suffit de récupérer un vieux bout de bois pourri en forêt et de le placer dans un environnement humide. Nourri aux champignons, le blob apparaîtra au bout de trois à quatre semaines. De cette manière, il est possible de découvrir des espèces rares, comme des spécimens rouges, gris ou noirs, d’en apprendre plus sur des forums et même d’échanger son blob avec un collectionneur.

Propos recueillis par Nicolas Gomont
Moi le Blob, par Simon Bailly et Audrey Dussutour, humenSciences, 
248 p., 18 .

Ici l’univers, lauréat du « Prix adolescents »

Ici l’univers : voyage en astrophysique s’est vu décerner le « Prix adolescents » de la 23e édition de La Science se livre. Dans cet ouvrage de vulgarisation, le dessinateur touche-à-tout Herji et le professeur de physique Jérémie Francfort s’allient pour décrypter les grands principes qui gouvernent l’univers, avec la participation du Prix Nobel de physique Michel Mayor. 

Ici l’univers, Herji, Jérémie Francfort, Hervetiq, 24,9
(à partir de 13 ans)

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