CD92/Olivier Ravoire

 

Avec Sergeï, cette touche-à-tout, de formation classique, livre un spectacle total à la frontière des disciplines artistiques, entre concert électro-acoustique et ballet robotique. À découvrir le 8 avril prochain au festival Chorus.

De combien d’instruments sait-elle jouer ? Aujourd’hui moins que demain, sans doute. Après la flûte, le piano, la batterie et une armée de percussions, elle apprend en ce moment le saxophone. De même qu’elle a apprivoisé le synthé sur un Prophet 6 acquis sur un coup de tête. « Je fonctionne à la curiosité. Je n’arrête jamais d’aller plus loin, juste pour savoir », confie Lucie Antunes. Déjà l’éclectisme règne du temps du conservatoire, où l’ont inscrite ses parents dès son plus jeune âge. « Avec moi la musique a tout de suite pris. Au collège, où j’étais un peu cancre, je crois que c’était la seule chose qui me transportait vraiment. » Après avoir fait ses gammes en classe de piano, elle découvre, à seize ans, les percussions et leur univers contemporain. « On avait déménagé à Marseille. Comme je venais d’essayer la batterie, je me suis dit  » pourquoi pas les percussions ? « . Ç’a été une évidence, une obsession même. Je jouais jusqu’à huit heures par jour. »

Touche à tout

Marimba, vibraphone, cloches… la foisonnante famille des percussions est à la mesure de cette touche-à-tout qui fait son chemin baguettes aux poings. Parmi les seules filles de sa classe, au conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon, où se poursuit son cursus, elle se forge un « caractère béton », et vit bientôt l’austère quotidien d’une bête à concours, collectionnant les prix : « J’ai cru que le sens de ma vie, c’était de devenir la meilleure percussionniste du monde », dit-elle de cette époque. Là s’arrête le parcours académique. Résidente à deux reprises de la Cité internationale des Arts de Paris, tour de Babel pluridisciplinaire, elle s’y imprègne d’une grande liberté qui l’attirera vers d’autres territoires : « Quand je jouais des œuvres de musique écrite devant des performers, mon état d’esprit n’était pas du tout le même qu’au conservatoire. Je savais que ce n’était pas permis, mais j’interprétais Stockhausen comme j’en avais envie ! » En 2013, au sortir de ses études, elle fonde la compagnie de spectacle vivant Joao. Dans ses trois premières créations, de 2015 à 2018, elle joint les percussions aux arts visuels et à la danse pour aborder des questions qui la touchent : femmes et féminité dans Mémoires de femmes et Moi comme une autre, états borderline dans Bascules. À cette ligne de spectacle vivant, elle superpose, insatiable, celle des musiques actuelles, devenant batteuse pour les groupes pop-rock Moodoïd et Aquaserge, le musicien électro Yuksek ou la chanteuse Susheela Raman : « Moi qui étais dans une démarche en solo, j’ai appris à jouer avec des interprètes merveilleux, en me détachant de la partition. » Des rencontres qui sauront aussi la convaincre de présenter, à son tour, ses compositions.

Ce que j’aime dans cette musique électronique interprétée sur scène par des humains, c’est que ça la rend vraiment plus vivante.

Ballet digital

Dans l’album Sergeï, sorti en 2019, synthétiseur, ondes Martenot, marimba, vibraphone, métaux résonnants, batterie et percussions variées forment un instrumentarium insolite, à la frontière des genres. Au voisinage des machines, la composante acoustique s’enrichit en outre de micros piézoélectriques et de pédales d’effets. Aidée de ses complices geeks, elle a fait émerger une créature mutante : « Je trouve intéressant d’utiliser les moyens les plus récents que nous donne la musique. Avec mes ingénieurs du son, on a cherché à rendre les instruments acoustiques plus larges, à les étendre grâce aux nouvelles technologies. » Cette musique dansante s’appuie sur une écriture savante, avec des strates de son qui s’entrelacent le long d’une structure répétitive et des rythmes complexes cachés sous des accords « borderkitsch ». En live elle se démène d’un instrument à l’autre et donne de la voix avec deux autres interprètes, dont l’un traite les sons en direct. « Ce que j’aime dans cette musique électronique interprétée sur scène par des humains, c’est que ça la rend vraiment plus vivante. » À ce monstre à six bras et trois têtes, posé sur un plateau circulaire, répondent les bras robotisés lumineux commandés par le collectif Scale, faisant de Sergeï un spectacle total : « Ils ont réussi à humaniser des robots tandis que je fais jouer des humains comme des machines ! » Par ce ballet digital protéiforme, Lucie Antunes s’est enfin rassemblée.

Pauline Vinatier
chorus.hauts-de-seine.fr

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