Deuxième invitée des Seine Libre, la danseuse traverse la saison de La Seine Musicale avec l’énergie incandescente propre à une étoile.

Qui attend de Marie-Agnès Gillot une leçon de glamour artificiel en sera pour ses frais. Hors de la lumière des projecteurs, celle de la danseuse étoile – jeune retraitée de l’Opéra de Paris – brille par une simplicité fort rafraîchissante. En veste et pantalon de jean, elle sort de deux heures de répétition de The Dress, la chorégraphie de la Libanaise Nada Kano, qu’elle dansera le 22 novembre, jour anniversaire de l’indépendance du Liban, lors du deuxième épisode de sa Seine Libre : De Paris à Beyrouth. Elle aura inauguré auparavant la série de cartes blanches artistiques en compagnie de ses copains et copines chanteurs au profit des Restos du cœur. « Je pense qu’il faut savoir redonner quand on a été gâté dans la vie… », sourit-elle. En terrasse du café parisien où tout le monde la connaît, elle reconnaît, en plus, chaque chien qui passe. « À l’école de danse de l’Opéra, on se moquait de moi. Nous avions le droit d’afficher des posters dans nos petits boxes à Nanterre : les autres avaient des danseuses, moi des chiens… » 

L’impatience et la volonté

Née à Caen dans une famille qui n’est pas du milieu, la petite Marie-Agnès est envoyée à l’école de danse pour canaliser cette énergie qui la fait courir partout. La musique faisait déjà partie de son quotidien – « Mes premiers souvenirs, ce sont Les Quatre Saisons, Michèle Torr et Ottawan… » –, la danse sera son avenir. Aussitôt repérée, elle passe le concours de l’École de danse de l’Opéra national de Paris, est admise à 9 ans dans le prestigieux établissement, alors dirigé par Claude Bessy, dont elle vit la transition entre le Palais Garnier et Nanterre. Tout ira très vite : à 14 ans, elle entre avec une dispense d’âge dans le corps de ballet, reçoit son premier salaire sur dérogation à 15 ans, aborde à 17 ans la danse contemporaine avec le chorégraphe Mats Ek. « J’ai toujours été quelqu’un de très impatient… Je n’aime pas perdre mon temps parce que je n’en ai pas à perdre. Une danseuse, c’est vivant, physique, une course contre le temps qui passe et les progrès qui restent à faire. » Tout pourtant aurait pu finir aussi vite : sa croissance osseuse est elle-même impatiente, à 12 ans, une sévère scoliose lui promet l’opération et la fin des pointes. Pendant plus de cinq ans, la future danseuse étoile portera en secret un corset qu’elle n’enlève que pour danser. Se forgeant dans la douleur une volonté comme une seconde nature, et une musculature exceptionnelle.

Danser, c’est ne pas penser : juste vivre l’instant présent avec une émotion intense en soi. Dès que je me mets à danser, mon visage change, je suis sur une autre planète.

La boxe et le flamenco

Maurice Béjart disait qu’une danseuse était moitié nonne, moitié boxeuse. « J’adore la boxe ! Il faut un mental de fou pour être boxeur, comme pour être danseuse étoile. J’encaisse peut-être mieux que les autres, mais j’ai surtout une capacité de récupération hors norme. » La boxe justement est au programme de printemps de ses Seine Libre : elle dansera La Boxeuse amoureuse d’Arthur H sur un ring avec le champion de France Souleymane Cissokho. Auparavant, elle aura révisé ses classiques sous la baguette de Laurence Equilbey. Une autre aventure l’attend, en compagnie du danseur de flamenco Andrés Marín : Magma, première incursion de chacun dans le domaine de l’autre, sur une scénographie de Christian Rizzo, que l’on pourra découvrir au théâtre Jean-Vilar de Suresnes. Rien ne l’effraie, ni le mélange des genres ni les danses de son temps, hip-hop compris. Elle est d’ailleurs, à ce jour, la seule danseuse de l’Opéra national de Paris à avoir été nommée étoile sur une pièce contemporaine, signée Carolyn Carlson. Et elle a fait ses adieux à la grande maison la saison dernière, à 42 ans selon la règle en usage qui lui fait lever les yeux au ciel, sur une chorégraphie de Pina Bausch. 

La contrainte et la liberté

Elle conserve du pays natal un léger accent qui passe aisément, à l’oreille de qui n’entend pas le parler normand, pour de la gouaille parisienne. Dont elle use, hors micro, avec un franc-parler réjouissant qui va bien avec son goût pour le hors-piste : « Ici, il faut vivre dans une part de camembert… Moi, en Normande élevée au camembert, j’ai besoin de toutes les parts ! Je serais plutôt Trivial Pursuit… »

À Houlgate, son grand-père tenait un salon de coiffeur-parfumeur, miroirs de loge et fauteuils en cuir rouge dans le goût du cinéma des années cinquante. « C’est mon énergie que les gens voient en premier. Donc je me paye des qualificatifs comme rock, punk… Alors que je rêve en moi-même et que j’aime m’évader dans la poésie du corps, des mots, de la nature. » Dans le jardin normand, il y avait une grande volière ouverte où son grand-père accueillait des rouges-gorges libres d’aller et venir. C’est peut-être là, entre contrainte et liberté, que se tient le secret de l’art de Marie-Agnès Gillot. n

Didier Lamare
Photo : © Julien Benhamou
Auditorium de La Seine Musicale, le 22 novembre à 20 h 30. Seine Libre De Paris à Beyrouth : The Dress et concert dansé avec Simon Ghraichy.

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