© Radouan Zeghidour
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Montrouge sur l’horizon

Depuis 1955, le Salon de Montrouge s’est affirmé de cycle en cycle comme une des plus importantes manifestations de soutien à la jeune création artistique. La 64e édition se tient au Beffroi jusqu’au 22 mai. 

Imaginait-on le Salon survivre aux révolutions artistiques de l’après-guerre, à celles de la fin du siècle, aux transformations du monde d’aujourd’hui ? Au XXIe siècle, le Salon de Montrouge est bien vivant, espace reconnu « pour la promotion des jeunes artistes contemporains », placé depuis 2016 sous la direction artistique d’Ami Barak et de Marie Gautier, deux générations réunies pour en prendre soin – c’est en gros le sens de l’appellation de « curateur » qui a remplacé le sévère commissaire d’exposition d’hier.

Depuis plus de soixante ans, le monde a tellement changé que les artistes ne posent plus sur lui le même regard. On les disait naguère engagés, ils semblent désormais se débattre dans l’inextricable qui les entoure. Ceux de Montrouge viennent de loin, regardent parfois ailleurs, ou bien mettent les mains dans le cambouis et dans une peinture qui n’a pas disparu après les années conceptuelles. Ils sont jeunes forcément, même si certains, déjà sur leur trentaine, ne sont plus des inconnus pour les collectionneurs. « L’exposition révèle à côté des artistes récemment diplômés, venant de l’ensemble du pays, des personnalités d’horizons culturels divers, comme en témoigne la présence de créateurs venus du reste de l’Europe, d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique, détaillent les deux directeurs artistiques. Témoin de son temps, le Salon de Montrouge rend compte de l’état de l’art d’aujourd’hui : un monde aux horizons pluriels mais aussi une communauté plus paritaire, où les artistes femmes sont davantage présentes et mieux valorisées. »

Et en effet, si les chiffres n’ont jamais rien prouvé quant à la qualité de quoi que ce soit, ils indiquent néanmoins des directions. 52 artistes exposés cette année, venus de douze pays dont la France : Algérie, Brésil, Chine, Chypre, Colombie, États-Unis, Grèce, Iran, Roumanie, Sénégal, Taïwan. Peut-être plus significatif encore d’une époque, 60 % d’entre eux sont des femmes, témoignage de l’évolution sociologique du métier artistique. Et qui dit métier dit réalité économique, ce ne sont pas les fantômes des artistes maudits dans leurs soupentes qui diront le contraire. Le Salon de Montrouge n’est pas qu’une vitrine pour curieux, c’est un véritable espace de rencontre entre les artistes, les collectionneurs et les professionnels du marché de l’art. Le comité qui les a sélectionnés parmi 267 dossiers sur 2 000 candidatures, et le jury qui décernera les prix tiennent un rôle essentiel dans la mise en avant d’une pratique et le développement d’une carrière. D’autant que parmi les quelque 25 000 visiteurs, beaucoup d’amateurs circuleront à l’affût du coup de cœur, pour certains le premier achat d’une série à suivre. 

María Alcaide : Blogger affaire, 2018, installation textile.©

Jeux de piste

La mise en valeur des artistes est d’abord lisible dans le soin accordé à la présentation des œuvres dans le catalogue et sur le site internet. Grâce à la qualité des photos, qui ne sont pas forcément celles des œuvres exposées mais qui représentent bien, comme on le dit d’un avocat, le travail de chaque plasticien. Grâce aux notices rédigées par des professionnels qui servent de porte d’accès et posent un regard expérimenté – encore que parfois un peu trop pointu – sur un travail émergent. Le parcours dans les espaces du Salon lui-même, scénographié sur 1 500 m2 par Vincent Le Bourdon, délaisse l’aménagement en stands, qui fait toujours un peu marché de Noël, pour une déambulation où l’on respire l’écho de chacun, où l’on s’inspire des jeux de miroir, et dont il faut rappeler qu’elle est en accès libre et gratuit. Quatre chapitres organisent le propos pour qui aime que les choses soient rangées mais sans excès : « Ce que nous sommes ensemble et ce que les autres ne sont pas », « Le laboratoire des contre-pouvoirs », « La forme contenue ou le contenu impliqué », « La réalité rattrapée par le réel ». Tout un programme dont on peut néanmoins s’affranchir pour musarder au gré des affinités de couleurs, d’humeurs, ou de techniques : photographies, peintures, sculptures, vidéos, installations… À moins de choisir le cliché du journaliste un peu paresseux pour découvrir le Salon de Montrouge de A à Z ? Par chance, ce serait cette année possible – et finalement assez représentatif des diversités en jeu. De l’artiste multimédia espagnole María Alcaide, dont le travail très politique n’interdit pas une ironie bien dans l’air du temps, aux installations de Radouan Zeghidour, comme des morceaux tombés des ruines d’une civilisation – ou du dernier blockbuster apocalyptique – au beau milieu d’un salon d’art contemporain. Avec le privilège du coup de poing.

Didier Lamare
Montrouge, Le Beffroi,
jusqu’au 22 mai.
www.salondemontrouge.com

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