Dans ses chansons, la nouvelle pépite belge de la pop pose un regard sans artifice sur ses difficultés au quotidien. Le festival Chorus, samedi 23 mars, sera l’une des premières étapes de sa « conquête » de la France. 

Dans la tour d’ivoire de RORI, la confusion et le sentiment d’impuissance côtoient la volonté d’aller de l’avant et de croquer l’existence. En 2022 avec Docteur, variation sur le mal-être adolescent streamée plus de 3 millions de fois, elle a visé en plein dans le mille tandis que dans l’EP Une Saison en Enfer, en 2023, elle continue de vider allègrement le sac de ses jeunes années. Son mal de vivre a pris racine dès l’enfance, se transformant en dépression à l’adolescence. « L’école n’a jamais été faite pour moi, je l’ai compris dès le début et cela a été très compliqué psychologiquement d’aller jusqu’au bout », indique-t-elle. Non moins scolaire lui paraît l’académie musicale avec laquelle, après s’être s’essayée à la flûte et au violon « sans conviction », cette grande timide est contrainte de se produire lors des Fêtes de la musique. La découverte de la guitare et du plaisir de chanter – elle est dotée d’une voix rauque et puissante – égaieront heureusement ce sombre tableau. 

Rock et manga

Née en 1998, cette longue fille brune, plus dark que sa compatriote Angèle à qui on la compare parfois, a déjà écumé les scènes du plat pays. Camille Gemoets, à l’état civil, s’est fait connaître d’abord en tant que chanteuse du groupe électro-pop Beffroi, fondé en 2015 avec son ami Valentin. En dehors d’être une aventure formatrice, ce projet lui offre « des moments où décompresser ». Sa voix et les compositions planantes de son complice leur valent d’être invités un peu partout, mais l’ascension s’interrompt avec le décès de son alter ego en 2017. De ce choc et le deuil passé, elle s’est fait une raison : « C’est quand on décide d’affronter les événements horribles qu’on réalise que ça n’est pas si mal d’être en vie, dit-elle. C’est ce qui m’a décidée à continuer la musique sérieusement. » Au sortir de trois ans de « laboratoire musical », en 2020, l’ex-ado bercée par le rock indé (Blur, Artic Monkeys, Gorillaz…) et les mangas resurgit avec un nom de scène tiré de la série US Gilmore Girls et un son bien à elle, pop-rock et dansant. « Il n’y avait pas d’artistes français dans la bibliothèque musicale de mes parents, j’ai surtout été inspirée par la culture musicale anglo-saxonne et par l’Asie. » Puis, entre ce retour et les chansons de 2022, elle saute le pas du français. « Auparavant, j’avais plus de mal à faire face à ce que je racontais et l’anglais me permettait de mettre une distance. » 

La scène est une mise en danger qui réveille mon instinct en mode “ je sais que je vais tout défoncer. ” Puis je retourne dans ma coquille, je reprends de l’énergie et je ressors quand il le faut. 

Fille fragile

Les démons que laissaient pressentir le titre de l’EP sont bien au rendez-vous d’Une Saison en Enfer et se nomment anxiété, doute, fragilité, dépression. Non, les sujets de santé mentale « ne sont pas un tabou » pour [sa] génération » et RORI continue à disséquer sans jamais en faire un drame Camille Gemoets. « C’est une thérapie en différé. Il m’arrive d’être dure avec moi-même ; ces chansons me rappellent que je ne m’en sors pas si mal et que j’ai avancé. »  RORI s’y assume comme une « fille fragile », entendant se battre « pour trouver sa place », non tant en société qu’avec elle-même – comme dans le clip de Ma place, où ses émotions contradictoires disputent une partie de tennis. Cette même sincérité la pousse, dans Soleil, à se décrire astronomiquement comme le centre de son propre système. « J’adore la solitude, je n’ai pas beaucoup d’amis. Je n’ai pas envie de m’inventer une personnalité, j’ai décidé de montrer qui je suis », sourit-elle.

À l’assaut 

Dans le travail, RORI sait s’entourer. Elle a passé l’automne et l’hiver en studio avec Hadrien Lavogez, producteur et complice de sa carrière solo qui « l’aide à aller au bout de [sa] vision ». Dix nouveaux titres en sont issus, qui parlent du passé mais aussi « du fait de grandir ». Certains ont déjà été dévoilés en live où, accompagnée d’un guitariste et d’un batteur, elle fait preuve d’une assurance qui ne la surprend pas. « C’est comme les gens qui font du théâtre et se disent hypertimides, explique-t-elle. La scène est une mise en danger qui réveille mon instinct en mode “ je sais que je vais tout défoncer. ” Puis je retourne dans ma coquille, je reprends de l’énergie et je ressors quand il le faut. »  En coulisses comme en public, l’ancienne chanteuse de Beffroi n’est pas non plus une novice, cela aide, et une seule chose manque désormais à son bonheur : la France.  « Il y a cinq millions de francophones en Belgique et j’ai déjà fait le tour des scènes possibles. La France est la prochaine étape, j’ai hâte d’y défendre mon projet. »  Chorus sera l’une des premières dates de cette nouvelle épopée.

Pauline Vinatier
chorus.hauts-de-seine.fr

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