CHRISTIAN PRUDHOMME SIEGE A.S.O BOULOGNE
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 » Le Tour est une locomotive pour la bicyclette du quotidien »

Directeur du Tour de France, Christian Prudhomme évoque le partenariat avec les Hauts-de-Seine, le rôle des collectivités locales et nous explique pourquoi le plus beau des parcours sera toujours celui qui passe devant chez nous…

Pourquoi s’associer à un événement comme le Tour de France est-il important pour un territoire ? Quels sont les enjeux ?

Le Tour de France est la plus grande course cycliste ; c’est une épreuve qui est diffusée partout dans le monde, précisément dans 190 pays, parfois sur des chaînes de télévision spécialisées mais le plus souvent sur des chaînes généralistes. Notre volonté a toujours été de toucher le plus large public possible – jeunes et anciens, femmes et hommes, Français ou étrangers…, ce qui fait dans la durée la force et la richesse du Tour de France. Pour un territoire, pour une collectivité, il y a donc d’abord l’impact en termes d’image mais aussi le fait que de grands événements comme celui-ci sont fédérateurs, ce qui est absolument essentiel dans la vie actuelle. Et puis le Tour, c’est aujourd’hui une locomotive pour la pratique de la bicyclette au quotidien. Quand nous sommes partis de Londres il y a quinze ans, le maire de Londres avait accueilli l’épreuve moins pour l’aspect purement sportif que parce qu’il voulait en faire une vitrine mondiale de sa politique pour développer la pratique du vélo.

Inversement, est-ce qu’une course comme le Tour serait encore possible sans les collectivités locales ?

Les collectivités territoriales ont toujours été indispensables. D’abord parce que nous avons la particularité d’être des locataires de l’espace public. Nous ne sommes pas propriétaire de notre « stade » : il nous faudra toujours l’accord d’une ou d’un élu local et nous roulons à 90 % sur des routes départementales… Nous sommes ainsi partenaires de l’Association des départements de France pour l’entretien des routes et l’on peut dire que le Tour est souvent un accélérateur de travaux… Ces liens avec les collectivités sont indispensables. Dans le cas du Département des Hauts-de-Seine, nous allons au-delà de ces questions d’aménagement ou de logistique puisqu’en plus du départ de la dernière étape de Paris La Défense Arena, il s’agit aussi d’un partenariat qui porte sur l’aspect sportif avec le prix de la meilleure équipe ou le maillot blanc du meilleur jeune lors de Paris-Nice. Pendant la totalité du Tour de France, les Hauts-de-Seine auront une visibilité partout dans le monde… Ce qu’apportent les collectivités, c’est ainsi une aide à nos épreuves, à l’attractivité de nos épreuves dont l’impact bénéficie ensuite à leur territoire.

C’est la plus grande course cycliste du monde, mais c’est d’abord 3 500 kilomètres de sourires…

Comme vous l’avez évoqué précédemment, la pratique du vélo est en plein essor et ce mouvement est accompagné par les collectivités locales. Est-ce que cet engouement pour la pratique de la bicyclette au quotidien suscite en retour un intérêt pour le cyclisme  dans le grand public ?

Ce qui est très frappant, c’est que les pays en dehors de la France où les gens regardent le plus le Tour de France, sont le Danemark – c’est tout sauf un hasard si nous partons cette année de Copenhague -, la Belgique et les Pays-Bas, le pays de la « petite reine »…Or, dans ces pays, tout le monde se déplace à vélo, pour aller au travail, pour aller étudier, pour faire ses courses, pour les loisirs du week-end en famille…Pour eux, peut-être davantage qu’en France, le lien entre l’usage quotidien de la bicyclette et le sport cycliste est une évidence. Nous sommes partis d’Utrecht en 2015, une ville qui est sur le podium des villes les plus cyclables au monde et le maire de l’époque voulait le Tour pour renforcer encore la pratique de la bicyclette dans sa ville. Ça marche dans les deux sens d’ailleurs car l’âge d’or du cyclisme français, c’était quand les gamins allaient tous en vélo à l’école…

On associe souvent le Tour de France aux grands massifs, mais l’épreuve a aussi une longue histoire avec l’Ouest parisien. Est-ce que vous êtes aussi sensible, en tant qu’organisateur, à l’histoire de la course et aux liens qui se sont tissés avec les territoires ?

J’aime les gens qui ont de la mémoire et les épreuves qui ont des racines. Quand on est directeur du Tour, on ne peut pas être insensible, par exemple, au fait que Ville-d’Avray a accueilli l’arrivée du premier Tour de France, en 1903. Ce partenariat avec les Hauts-de-Seine est encore plus fort grâce à cette histoire commune. Le Grand Départ de Boulogne-Billancourt en 1986, les départs de la dernière étape de ces dernières années à Antony-Parc de Sceaux ou Sèvres, l’ACBB, club immense dont sont issus plusieurs vainqueurs du Tour… Cette dimension historique est pour moi très importante, encore plus aujourd’hui dans un monde qui perd la mémoire. J’ai envie de paraphraser Churchill : « Si vous voulez essayer de percevoir ce qui se passera demain, regardez ce qui s’est passé avant vous ! »

Le Tour va faire encore l’histoire cette année dans les Hauts-de-Seine en partant d’une salle couverte. Est-ce que les territoires urbains ne sont pas aussi l’occasion de proposer autre chose que la course habituelle ?

Avec le public dans la salle, l’écran géant, nous allons disposer de quelque chose de très différent du spectacle habituel. Évidemment, le Tour de France, c’est d’abord une course de plein air qui se déroule en été avec les paysages naturels, le littoral, les montagnes, la prise de vue dominante de l’hélicoptère…mais ce départ de la dernière étape va être effectivement l’occasion de proposer quelque chose d’unique aux spectateurs et téléspectateurs, d’autant que dans cette étape-là, il y a beaucoup de la France avec les tours de La Défense, le Louvre, l’Arc de Triomphe, les Champs-Élysées… Rien qu’avec ces derniers kilomètres de l’épreuve, on comprend que le Tour est bien plus qu’une course cycliste : c’est aussi une plongée dans l’histoire, la géographie, la culture…

Cet exemple illustre bien la capacité qu’a le Tour de France à muter en fonction des époques. L’engouement du public, lui, reste constant : comment l’expliquez-vous ?

Il y a un élément vraiment très important selon moi qui est que le Tour de France de nos rêves est toujours celui qui passe devant chez nous… Comme je le disais, ça dépasse largement le cadre purement sportif. Nous faisons d’ailleurs en sorte d’aller tous les 5/7 ans dans chacune des régions de France. Le prochain Tour de France partira de Copenhague et se terminera de Paris La Défense Arena aux Champs-Élysées. Mais dans l’intervalle, il va s’arrêter dans des villes moyennes et traverser des petits villages. Le Tour de France s’adresse ainsi à tout le monde même à ceux qui ne s’intéressent pas au sport. Grâce à la vue dominante de l’hélicoptère, on peut découvrir ou redécouvrir son territoire, il y a de ce côté-là une vraie fierté à montrer son chez-soi au reste du monde, à accueillir le Tour, fierté qui est beaucoup plus importante aujourd’hui que ce que je ressentais il y a quelques années. Dans les territoires ruraux qui se sont dépeuplés, des écoles ont fermé, il y a parfois des services qui ont disparu mais le Tour y passe encore et la fierté qu’on apporte est absolument essentielle. Lorsque j’étais journaliste, j’étais un jour en train de griffonner mon intervention dans la voiture d’Europe 1 avant le flash de 14 h ou 15 h quand j’ai entendu une dame qui disait : « Qu’est-ce qu’il fait là celui-là, il ne sourit même pas ! ». C’est la plus grande course cycliste du monde, mais c’est d’abord 3 500 kilomètres de sourires… n

Propos recueillis par Pascal Leroy et Rafaël Mathieu

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