L’emploi du temps millimétré des résidents répond à leur besoin impérieux de repères. CD92/Stephanie Gutierrez-Ortega
Posté dans Reportage

À LA COLLOC’, UN QUOTIDIEN PRESQUE ORDINAIRE

À Chaville, depuis deux ans, le foyer d’accueil médicalisé Le Cèdre Bleu expérimente avec le soutien du Département des « habitats accompagnés » en ville pour mieux inclure dans la société les adultes autistes.

ntre les trois appartements, le ballet des résidents est permanent. À l’heure des repas, ils se retrouvent chez Virginie et Yassine tandis qu’en fin d’après-midi, le salon de Nicolas fait office de salle télé. Alexandre et Pierre, eux, se déplacent chez les autres. Au-delà de ces rituels somme toute banals, l’expression « avoir ses petites habitudes » prend ici un sens particulier. Le décor parle de lui-même. Sur une petite table, un sablier attend d’être retourné tandis que des plannings en tout genre tapissent les murs, garnis de photos ou de pictogrammes associés à une activité ou un lieu. « Ils ont de grandes difficultés à percevoir l’écoulement du temps et à anticiper ce qui va se produire. Il faut les rassurer, leur donner un cadre. On ne peut pas improviser avec eux au risque de provoquer un trouble », explique Ingrid Châtel, qui participe à leur suivi éducatif au quotidien. Cette routine extrême, avec toutes ces béquilles visuelles, répond à un besoin éperdu de repères.

La préparation des repas fait partie des apprentissages du quotidien.©CD92/Stephanie Gutierrez-Ortega

Hors les murs

La Coloc’ est une extension hors les murs du foyer d’accueil médicalisé (Fam) Le Cèdre Bleu de Chaville, géré par l’association Les Papillons Blancs de la Colline. L’établissement, spécialisé dans les troubles du spectre autistique (TSA), accueille quarante-deux adultes en accueil de jour ou en internat. Les degrés et les manifestations de ce handicap, caractérisé par des troubles de la sociabilité, une hypersensibilité sensorielle ou des intérêts restreints, sont multiples. « On dit souvent qu’il y a autant d’autismes que d’autistes », souligne la directrice du Cèdre Bleu, Sylvie Debril. Ce qui appelle donc des réponses diversifiées. Dès 2014, la palette de l’établissement s’est élargie avec l’ouverture d’une Maison Bleue destinée aux adultes « ayant besoin d’aller plus loin dans leurs apprentissages tout en bénéficiant d’un cadre ». Elle accueille six pensionnaires dans un bâtiment jouxtant le foyer. Puis est venue l’ouverture, en septembre 2020, de la Coloc’, dans un immeuble du centre-ville, réservée, là encore, à des profils exempts de troubles du comportement ou de santé trop importants. Un dispositif inédit sur le territoire pour ce type de handicap qui entend favoriser l’inclusion des résidents en les rapprochant des habitants. Malgré l’éloignement géographique, La Coloc’ se veut « une unité de vie à part entière du Fam », celui-ci jouant vis-à-vis de son extension un rôle de plateforme grâce à son équipe pluridisciplinaire – médicale, paramédicale, éducative, administrative… Six visages, toujours les mêmes, se relaient jour et nuit auprès des cinq résidents : éducateurs, maîtresse de maison, veilleurs… soit un taux d’encadrement élevé.

Tâches quotidiennes

Sitôt poussée la porte de son refuge, Alexandre abandonne son casque antibruit. « L’appartement offre à ces résidents un espace calme et apaisant alors qu’au Cèdre, les cris des autres peuvent parfois les stresser », constate Émilie Lafon, coordinatrice chargée de faire le lien avec la maison-mère. Une fois dans son canapé, le jeune homme a tendance à basculer dans des mondes virtuels « qui l’agitent et le perturbent » si bien que l’accès à sa tablette tactile a dû été encadré. Pour l’heure notre geek s’attelle à la préparation du repas en compagnie de Virginie. D’inévitables pictogrammes leur détaillent le déroulement de l’atelier : se laver les mains, cuisiner, faire la vaisselle… Tandis qu’elle épluche les légumes, il les découpe mais tous deux rechignent à façonner des boulettes de viande. « La sensation leur déplaît ». Dernier exercice, disposer en spirale les quartiers de pomme sur le fond de tarte, ce qui développe leur minutie. « On ne fait pas à leur place, on est là pour les guider, précise Ingrid Châtel. Certes ils seront entourés toute leur vie mais les acquis qu’ils développent ici les aident à être en lien avec le reste du monde. » Cuisine, ménage, rangement, machine à laver… Les tâches ménagères ne manquent pas à La Coloc’, propices aux apprentissages et aux interactions sociales, encouragées constamment par l’équipe. Autrement, « ils ont tendance à rester dans leur bulle. On profite par exemple des repas pour les inciter à se faire des demandes mutuelles. »

Les acquis qu’ils développent ici les aident à être en lien avec le reste du monde.

À l’extérieur, les résidents bénéficient d’un large panel d’activités : thérapeutiques de bien-être, sportives, culturelles ou scolaires… Outre l’atelier cuisine des mercredis matins, l’emploi du temps d’Alexandre se partage ainsi entre équithérapie, jeux de ballon, circo-motricité ou judo. Le programme dépend du projet de vie du résident et doit répondre à ses besoins de sociabilité et d’apprentissage, à ses particularités sensorielles et à ses préférences. L’autre intérêt de La Coloc’, c’est sa situation : l’immeuble, proche de tous commerces et commodités, donne sur l’artère principale de Chaville. De nouvelles expériences deviennent dès lors possibles : faire les courses, aller à la salle de sport, à la bibliothèque, prendre les transports en commun seul, pour certains. Avec de prévisibles ajustements. Vis-à-vis du voisinage, par exemple, il aura fallu « beaucoup d’échanges » tandis que pour Pierre, l’un des plus autonomes, le supermarché est un lieu de tentations. « Pour éviter qu’il ne se serve dans les rayons, il ne s’y rend plus qu’accompagné avec une liste de courses, explique Émilie Lafon. C’est une mesure qui a pu être douloureuse, à la fois pour le résident et pour l’équipe, mais il faut être patient. L’objectif est qu’il revienne par étapes à ses acquis. » L’accompagnement s’adapte ainsi en permanence. La crise sanitaire passée, l’équipe entend aussi relancer les partenariats : des coups de main des résidents à la bibliothèque ou au supermarché sont autant d’actions envisagées et qui sensibiliseront en retour le public à ce handicap « peu visible ». La brocante municipale, à laquelle La Coloc’ a participé en avril, est un premier pas dans cette direction.

Vie « ordinaire »

Virginie, une « petite femme, très coquette », les ongles toujours bien vernis, semble s’épanouir à La Coloc’. Bien qu’elle ait longtemps travaillé – dans un établissement adapté – tout en logeant dans un foyer d’hébergement ordinaire, le retour en foyer médicalisé s’est imposé car « la pression était trop forte ». À l’inverse, Nicolas, le benjamin de vingt-six ans, a vocation, un jour, à avoir son propre studio. Depuis sa sortie de l’Institut médico-éducatif, il peaufine ses apprentissages. S’il s’exprime avec aisance, travaille, cuisine lui-même ses repas du soir, il a encore du mal à planifier ses tâches et à faire des choix. « Le but est qu’ils avancent à leur rythme. Le développement d’une palette de prises en charge, au sein de nos établissements et entre nos établissements, permet ces parcours de vie », souligne Sylvie Debril. À défaut de mener une vie en tous points ordinaire, l’ambition, est qu’ils se sentent bien. « Le jour où vous vous cassez le bras, vous vivrez comme tout le monde mais avec un plâtre. C’est pareil pour eux : on souhaite qu’ils vivent “comme les autres” avec leur trouble. » Deux ans après son ouverture, « La Coloc’ est à présent bien connue et répertoriée ». « On a observé une diminution des angoisses et les parents nous disent qu’ils s’expriment davantage, raconte Ingrid Châtel. On est contents que ça fonctionne car on veut le meilleur pour eux. »

©CD92/Stephanie Gutierrez-Ortega

Nouvelles places

Courant 2023, La Coloc’ aura une petite sœur. À Sèvres, le Cèdre Bleu prévoit l’ouverture de dix nouvelles places « hors les murs », un projet qui répond aux orientations du plan national de prévention des départs non souhaités en Belgique, porté par l’Agence régionale de santé, avec le soutien du Département. En région parisienne, le déficit de places provoque en effet départs contraints, ruptures de parcours et situations critiques à domicile du fait de l’épuisement des aidants. Le Département n’a d’ailleurs pas attendu ce plan pour agir. « Depuis 2018, nous sommes dans une logique de rattrapage, en particulier pour les personnes porteuses de troubles du spectre autistique ou de troubles psychiques », rappelle Charlotte Galland, directrice du pilotage des établissements et services. Un effort qui se traduit par la création de nouveaux services ou foyers – le Fam de Bécheville des Mureaux inauguré fin 2021 étant un exemple emblématique – mais aussi par l’évolution des modalités d’accueil. À Clamart est ainsi expérimenté l’accueil des personnes handicapées vieillissantes en Ehpad tandis qu’à Chaville, et bientôt à Sèvres, sont proposés ces « habitats accompagnés ». « Être en établissement n’est pas synonyme de relégation, reprend Charlotte Galland. Le format hors les murs de La Coloc’ restera minoritaire mais il est important qu’il existe car il répond à des besoins précis et facilite les parcours. » De nos jours le territoire dispose de 3 000 places tous handicaps et solutions confondus. D’ici 2025, trois cent soixante-deux places supplémentaires doivent être créées. 

Pauline Vinatier

 
 

 

Les commentaires sont fermés.