CD92/Willy Labre
Posté dans À la une

À LA VALLÉE-AUX-LOUPS OUBLIER LE MONDE

Le Domaine départemental de la Vallée-aux-Loups/Maison de Chateaubriand offre soixante hectares de nature aux portes de la ville. Un site façonné par une histoire à la fois littéraire et horticole qui est sans doute le secret le mieux gardé des Hauts-de-Seine.

 

C’est une bulle de nature et d’éternité. À deux pas de la ville, un vallon dit « secret, tranquille, romantique », idéal pour oublier le monde, pas à pas. De tout temps, il a attiré les amoureux de la nature et inspiré les artistes. « Rien n’a troublé le repos de ces lieux », pas même la chute d’un Empire, écrivait déjà Chateaubriand qui s’était écarté, à Châtenay-Malabry, de l’ombre de Napoléon. Les qualités de ce terrain bien irrigué en firent aussi un haut lieu de l’horticulture. Dans ce petit Éden, des entrepreneurs de la terre ont cultivé plantes d’ornement et arbres fruitiers, jusqu’au milieu du vingtième siècle, pour toute la région parisienne et au-delà. Désormais paradis du promeneur, le Domaine départemental de La Vallée-aux-Loups/Maison de Chateaubriand épouse le relief du vallon, entre crêtes, coteaux boisés et bas-fonds plantés d’arbres de toute beauté. Chacune des sept entités, de l’Arboretum à la Maison de Chateaubriand en passant par le Parc boisé ou l’Île Verte, est un pan à part entière de ce remaquable ensemble végétal.

Ce parc, planté d’essences qui rappelaient à Chateaubriand ses voyages, est une création personnelle de l’écrivain qui dialogue avec l’œuvre littéraire.©CD92/Willy Labre

Ermitage littéraire

Si la demeure blanche est antérieure à l’installation de Chateaubriand, en 1807, c’est à son goût de l’Antiquité que l’on doit les colonnes et les cariatides de la façade. À l’époque, l’auteur est déjà célèbre. Désireux de fuir Paris et ses mondanités, il est attiré par l’aspect sauvage des lieux où il passera dix années prolifiques. Outre la rédaction de plusieurs œuvres de fiction, il y commencera ses Mémoires d’Outre-Tombe, dans lequel il évoque son « ermitage » et sa « maison de jardinier ». Et de fait, plus que d’architecte, il fera œuvre de paysagiste : son premier geste est d’aplanir le terrain pour créer une vaste pelouse ovale inspirée des jardins anglais, autour de laquelle il dessine les allées ; les arbres exotiques qu’il plante ensuite de ses mains, isolés tels des individus, composent un carnet de voyage végétal. Les cèdres sont un souvenir du Liban, les pins, de Jérusalem et les platanes, de la Grèce ; de son incursion en Amérique témoignent cyprès chauve aux racines aériennes, magnolia ou catalpa – lequel, foudroyé, a survécu sous une forme rampante. Tout autant que ses livres, ce jardin est donc une œuvre personnelle. Et il est intimement lié à eux : « Les arbres ont aidé Chateaubriand dans son exploration de lui-même. Il écrit dans ses Mémoires qu’il les a plantés “comme dans ses souvenirs” et qu’il s’enfermait dans son parc comme dans une bibliothèque” », explique Bernard Degout, directeur de la Maison de Chateaubriand, le musée départemental qui perpétue la mémoire de l’écrivain et accueille des manifestations comme la Nuit européenne des musées, en ce mois de mai. De nos jours, disséminées dans les allées sur de grands panneaux, les pensées de Chateaubriand viennent se mêler à celles du promeneur. « Le jardin et ses arbres, porte d’entrée vers l’ensemble de l’œuvre » s’explore en solitaire, à l’occasion de visites guidées et, depuis peu, grâce à une balade numérique qui met l’accent sur le rapport de l’écrivain à ses arbres. Son nom : « Chateaubriand pas à pas ». « Il y a chez lui une forme de chamanisme littéraire, souligne Bernard Degout. Il dit que les personnages de ses fictions sont les “hamadryades” de ses arbres, c’est-à-dire des dryades spécifiquement attachées à un arbre qui grandissent et meurent avec lui. » Ces nymphes sont-elles encore là, tapies au creux des troncs ? Lorsqu’ils enserrent ces arbres de leurs bras, les visiteurs entretiennent à leur tour cet imaginaire.

L’humidité du fond de vallon est idéale pour les aulnes, réunis à l’arboretum dans un jardin à thème.©CD92/Willy Labre

Écrin forestier

Au-dessus de la Maison de Chateaubriand, la forêt impose peu à peu son écrin protecteur. Le relief du coteau et son sol sablonneux, sensible à l’érosion, ont découragé toute occupation humaine. Le châtaignier, auquel la commune doit son nom, domine, côtoyé par le chêne, le bouleau ou le hêtre et par des conifères. Ce couvert, hanté par les oiseaux, est la partie la plus sauvage du vallon. « C’est un boisement mais entretenu comme un parc, très prisé des riverains et des sportifs qui s’exercent sur ses pentes », explique Franck Pizzali, chef d’unité du domaine départemental de la Vallée-aux-Loups et du jardin Albert-Kahn. Deux autres espaces prolongent ce Parc boisé. Au sud, au-delà de l’avenue Jean-Jaurès, les Friches alternent forêts et vastes panoramas. Avec l’arrivée prochaine du tramway T10, les visiteurs disposeront d’un accès au domaine depuis ce secteur. Au nord, le jardin de l’Aigle Blanc renvoie à la plus haute distinction remise par la Pologne, l’ordre de l’Aigle Blanc : cette propriété appartenait en effet au comte Walewski, fils naturel de Napoléon Ier. L’existence de ce jardin « est d’autant plus importante que les contraintes y sont moindres qu’ailleurs. On peut y détacher son chien, y pique-niquer, y pratiquer des jeux de ballon…  ». Il vient de subir une cure de jouvence : outre la régénération du patrimoine végétal, sa vocation de proximité se trouve renforcée par l’implantation de grandes tables de pique-nique, d’une aire de jeux en bois et de transats offrant une vue sur l’Arboretum. De larges ouvertures ont aussi été ménagées sur l’Île Verte et la rue de Chateaubriand voisines pour mieux relier entre elles les différentes entités.

Le premier patrimoine du domaine, c’est son sol, qui n’a jamais été travaillé ni modifié. Sans ce sol, il n’y aurait eu ni patrimoine arboricole, ni même de patrimoine culturel.

Puzzle foncier

En 1982, le Parc boisé fut la première de toutes à ouvrir au public, près de trente ans avant l’Île Verte, au riche passé artistique elle aussi : vécurent cachés dans ce nid de verdure le peintre Jean Fautrier ou encore Jules Barbier, dramaturge à succès sous le Second Empire. Depuis les années soixante, la politique d’acquisition du Département a permis de constituer pas à pas le joyau actuel, préservé de l’emprise de l’urbanisation. À l’image de Sceaux, tout proche, il s’agit d’un « domaine patrimonial, tant du point de vue de l’art des jardins que des bâtiments, avec par exemple la maison du XVIIIe siècle à l’Arboretum ». Plusieurs classements « reconnaissance et garde-fou » assurent son intégrité : l’ensemble est ainsi classé au titre des sites et monuments naturels tandis que la Maison de Chateaubriand et son parc sont Monuments historiques. Sans compter de nombreux labels, parmi lesquels celui de « Jardin remarquable » pour le parc de la Maison de Chateaubriand, l’Île Verte et l’Arboretum, où s’épanouissent quarante arbres eux-mêmes classés « remarquables » à l’inventaire départemental et un cèdre bleu pleureur de l’Atlas, élu « arbre de l’année » en 2015 par un jury national. « Un arbre magnétique », né d’une mutation, ancêtre de tous les spécimens actuels, aux branches ployées vert saphir. Leur servent d’étai des « stalagmites végétales », installées en 2011 par le sculpteur Francis Ballu, que complétera bientôt un banc du même artiste.

Dans un fouillis savamment ordonné, la végétation a pris possession de chaque recoin de l’Île Verte. La collection de convolvulacées, est, des trois du domaine, celle dont l’intérêt scientifique est le plus grand.©CD92/Willy Labre

L’ile Verte de la Vallee-aux-Loups mai 2021. La maison fut la demeure du dramaturge Jules Barbier puis du peintre Jean Fautrier au milieu du XXeme siecle.

Artisan jardinier

Plantés à bonne distance les uns des autres, les premiers arbres de l’Arboretum ont pris leur envergure impressionnante au fil des siècles. Le cèdre du Liban, jouxtant la demeure du XVIIIe siècle, son plan d’eau et son île, remonterait aux années 1750. Mais c’est à une dynastie horticole, celle des Croux, que l’on doit la plupart de ces essences d’Amérique et d’Asie : sequoia géant, chêne à feuilles de bambou, hêtre pourpre, tulipier de Virginie, cyprès des étangs ou chauve de Louisiane… En 1890 les Croux rachetaient ce parc de huit hectares pour en faire, avec le concours de paysagistes, une vitrine de leurs florissantes pépinières – à cette occasion furent tracées les allées sinueuses et installées de petites fabriques tout le long. À leur instar, nombreux étaient les exploitants sur ces terrains limoneux, parcourus de sources résurgentes et par le ru d’Aulnay. « Le premier patrimoine du domaine, c’est son sol, qui n’a jamais été travaillé ni modifié. Sans ce sol, il n’y aurait eu ni patrimoine arboricole, ni même de patrimoine culturel ! », précise Franck Pizzali. Tout autour de ce cœur historique, sur les anciennes parcelles des Croux, des jardins à thème multiplient les clins d’œil : les Jardin des aulnes et des châtaigniers célèbrent ainsi des essences endémiques du vallon ; le jardin des floraisons, le jardin de l’automne flamboyant, avec ses bancs mobiles ou le jardin des hortensias, composent des tableaux changeants avec les saisons. Deux vergers, l’un au nord, l’autre dans la plaine sud, dernière touche paysagère en 2018, rappellent l’activité fruitière. Un royaume végétal riche de deux mille sujets, classés en trois cent cinquante taxons. « Comme chez les animaux, on découvre continuellement de nouvelles familles et les contours des familles existantes évoluent. Suivre ces évolutions scientifiques est passionnant », explique Mirja Mechiche, en charge de l’inventaire de ce patrimoine vivant, également guide-conférencière et auteur d’ouvrages sur la botanique, dont un tout récent consacré aux plus beaux arbres de l’arboretum. Son travail, outre l’étiquetage des arbres – « le public est très demandeur » – permet de diversifier les collections, de remplacer les végétaux morts ou malades ou encore d’introduire des essences adaptées au changement climatique. Cette entité clé du domaine mobilise à elle seule sept agents du Département : « Nous sommes la seule unité du territoire à avoir une régie horticole. Le jardinier a conscience de l’importance de son geste, il est encore un artisan ». Si l’Arboretum, ornemental avant tout, ne poursuit pas de projet scientifique particulier, son jardin des aulnes est agréé par le Conservatoire des collections végétales spécialisé tandis que sa collection de convolvulacées, près de quatre cents taxons abrités sous une grande serre, est, elle, de portée « nationale ». Loin d’être de « mauvaises herbes », ces liserons pourraient enrichir la pharmacopée mondiale. Enfin, deux autres serres accueillent une soixantaine de bonsaïs, élégante réduction de l’Arboretum issue de la boutique-musée de Rémi Samson, fermée en 2015. Avec cette acquisition, « le Département a fait un cadeau au public qui avait l’habitude de venir les admirer ».

Les chênes à feuille de bambou se comptent sur les doigts de la main en Europe. Ce spécimen est inscrit à l’inventaire des arbres remarquables des Hauts-de-Seine.©CD92/Julia Brechler

Gestion écologique

Champêtre à la Maison de Chateaubriand, pittoresque à l’Arboretum, à l’Île Verte la veine « romantique » qui court à travers le domaine se fait échevelée. La maison, son étang et sa serre sont noyés dans la végétation, « flou artistique » qui doit beaucoup au jardinier. Sept hectares de zones naturelles protégées sont, en revanche, livrées à elles- mêmes, comme la mouillère des Porchères, dernière des sept entités intégrée au domaine et réservoir de biodiversité. Partout sur le site les pelouses rases ont reculé au profit des herbes hautes, refuge pour la petite faune. Y compris à la Maison de Chateaubriand où paissent des moutons d’Ouessant. L’important « est la lisibilité de ces mesures auprès du public », raison pour laquelle les prairies hautes sont par exemple fauchées en bordure : « Ainsi les gens comprennent que la zone n’est pas abandonnée ». Alternant code jardiné, horticole rustique, naturel, la palette d’entretien s’adapte en permanence aux espaces et aux usages. Cette « gestion différenciée » permet la reconquête de la nature sur les paysages et s’accompagne de pratiques écologiques : abandon des pesticides, arrosage réduit au minimum, véhicules électriques, récupération des déchets verts, traçabilité des matériaux… Une démarche couronnée dès 2012 par le label EVE (espace végétal écologique) délivré par l’organisme indépendant Ecocert, renouvelé en 2021.

Ces hautes prairies offrent au public des scènes pastorales et dépaysantes..©CD92/Julia Brechler

Il y a une capitale, bien que bourgade, dans cette petite principauté sur laquelle le temps n’a pas de prise : le hameau d’Aulnay, toujours habité, auquel on parvient par une paisible « rue-promenade ». Le domaine départemental de la Vallée-aux-Loups-Maison de Chateaubriand propose ainsi soixante hectares d’évasion aux Alto-Séquanais. Et peut-être un jour davantage, le Département ayant approuvé un périmètre de préemption en vue d’englober l’ensemble du vallon, sur quatre-vingts hectares. Trois propriétés privées se fondent encore dans ce paysage : Aulnay, La Cerisaie et Les Glycines, restée dans le giron des Croux, ultime trace des occupants historiques.

Pauline Vinatier
vallee-aux-loups.hauts-de-seine.fr 

 

Les plus beaux arbres de l’Arboretum

Avec modestie et humour, cet ouvrage présente les plus beaux spécimens de l’Arboretum, entremêlant petites leçons de botanique et anecdotes. Trente-trois arbres sont détaillés grâce au savoir scientifique et pédagogique de Mirja Mechiche, conférencière au Département qui assure, depuis plus de vingt ans, des visites auprès d’un public toujours curieux et émerveillé. Ce nouveau guide est en vente dans les boutiques des trois musées départementaux. À noter aussi l’application « Arboretum 92 » à télécharger gratuitement sur son smartphone pour partir à la découverte de ce lieu unique

Les commentaires sont fermés.