La modique somme de soixante euros suffit en général pour acquérir un vélo issu du réemploi. SoliCycle contribue ainsi à démocratiser la pratique. © CD92/Olivier Ravoire
Posté dans Reportage

AVEC SOLICYCLE, DES EXISTENCES REMISES EN SELLE

À Clichy, cet atelier mobilise des salariés en parcours d’insertion autour d’une activité de réemploi de vélos, revendus à prix modique, et recrée du lien social.

Clés à cône, pince à attache rapide ou chasse-cuvette au nom imagé, destiné à l’une des pièces de la fourche… De toute taille et de toute forme, les outils tapissent les murs de l’atelier. Maintenu à bonne hauteur par un pied élévateur, ce vélo jaune attend sa seconde roue. Une fois cette opération achevée par Younès et Artur, il aura été entièrement remis en état. « Celui-ci a passé facilement l’étape du tri. Quand c’est un vélo qui ne vaut rien et qui, en plus, est abîmé, on préfère le désosser », explique Younès. À son arrivée à SoliCycle, le néo-mécanicien a pu mettre à profit ses quelques bases : « Je savais démonter une roue, changer une chambre à air… Ici j’ai appris à faire un diagnostic complet et à repérer les pannes. Ça me plaît car je suis très méthodique ». Artur ne peut en dire autant. « J’ai tout appris ici : la mécanique mais aussi à faire du vélo ». « En général, on travaille à deux pour croiser les regards », reprend Younès. En l’absence du chef d’atelier, à cause du virus, chacun vaque à ses occupations en autonomie. « Ils se sont distribués le travail. Les plus anciens aident les autres », observe Éric Joly, le responsable technique SoliCycle, venu en appui cette semaine.

La remise en état des vélos permet de mettre en pratique les connaissances acquises lors de stages de formation.©CD92/Olivier Ravoire

« Vélos dormants »

À l’abri des regards ou livrées aux éléments, toutes ces bicyclettes ont longtemps attendu des jours meilleurs. Ce qui leur vaut le doux nom de « vélos dormants » : deux tiers d’entre elles auront une seconde vie. « Il y a mille pièces en moyenne sur un vélo et on estime que chaque année, un million et demi de vélos sont abandonnés ou jetés, dont une bonne partie sont encore en état de rouler. Le gisement est énorme », explique la directrice de SoliCycle, Marion Georges. Une « matière première » récupérée auprès de particuliers ou grâce à des partenariats locaux : bailleurs, boutiques spécialisées, police municipale, déchetteries… La remise en état est confiée à des personnes éloignées de l’emploi. « Le vélo est un excellent moyen d’insertion car il permet de développer de nombreuses compétences, souligne la directrice. Nos salariés occupent tous les postes : mécanique mais aussi rangement et tri, accueil, vente, saisie informatique, animations auprès des habitants en pied d’immeuble ou en entreprise. » À Clichy, pour un tel achat « responsable », il en coûte une soixantaine d’euros seulement tandis que l’adhésion, pour vingt euros par an, permet de venir réparer son vélo sur place, outils et conseils en prime. SoliCycle concourt ainsi à démocratiser la pratique : « L’absence d’infrastructures est loin d’être le seul obstacle. Les freins sont aussi individuels : encore faut-il savoir faire du vélo, avoir les moyens de s’équiper, et faire face aux pannes qui sont souvent un motif d’abandon. » Ces sessions d’autoréparation fédèrent aussi bien « la personne qui n’a que son vélo pour aller entretenir les tours de La Défense que des salariés de chez L’Oréal » dans une ambiance conviviale. Lien social, économie circulaire, insertion… sont ainsi les piliers du concept « d’atelier vélo solidaire » initié par SoliCycle, « qui répond à de nombreux enjeux d’intérêt général », et a essaimé, après Les Ulis en 2007 et Clichy en 2010, dans huit quartiers relevant de la politique de la ville. Ces ateliers représentent un tiers de l’activité d’insertion d’Études et Chantiers Île-de-France, « maison mère » de SoliCycle, connue pour ses chantiers éducatifs et internationaux.

Le secteur du cycle, en plein essor, suscite des reconversions. C’est celui qu’a choisi Nicolas, à gauche, ici aux côtés d’Éric Joly, responsable technique SoliCycle.©CD92/Olivier Ravoire

Accidentés de la vie

Au sein de l’équipe clichoise, Khadidja s’est taillée une réputation d’experte en vélos hollandais. Avec leurs moyeux à vitesse et frein intégrés, délicats à réparer, ce sont là des mécaniques assez retorses. « Si c’est trop simple, ça ne m’intéresse plus », confirme cette « bricoleuse », désireuse de reprendre une activité professionnelle après la naissance de ses enfants. De tous âges et de toutes origines, hommes ou femmes, les personnes accompagnées ont souvent la fibre manuelle. Le « socle en mécanique » s’acquiert au quotidien, consolidé par une formation « opérateur cycle », nourrie de cas d’école. Sans compter les bénévoles aux doigts d’or qui partagent leurs astuces. « L’apprentissage se fait en situation », résume Éric Joly. Mais le but n’est pas tant « d’en faire des mécaniciens hors pair » que de « remobiliser » ces « accidentés de la vie », pour beaucoup, « aux parcours impressionnants ». « Dans les débuts, ils doivent reprendre un rythme, être à l’heure, acquérir un peu d’autonomie… Certains ont des problématiques de santé, de logement, de communication. » La moitié du temps est consacrée, hors atelier, au suivi par une conseillère socioprofessionnelle et à des formations diverses. « Pour travailler en magasin, il faut un diplôme. Il me manquait encore des bases à l’écrit pour intégrer une formation », explique ainsi Artur, arrivé d’Arménie, qui prend des cours de français.

Utilité sociale 

En cette fin de journée, l’atelier se fait boutique. Un vélo, comme neuf, attend Fathia auquel Khadidja vient d’adjoindre des phares, une béquille, des sacoches… : « Je fais tout à vélo, explique la cliente. Je m’étais déjà équipée ici pour mes enfants. Les prix sont très attractifs et on sent une grande qualité humaine. » Habitant à deux pas, elle a retrouvé sans encombre le local, qui s’était déplacé il y a un an de quelques centaines de mètres. « Nous sommes moins visibles. Entre ce déménagement et la crise, nous avons perdu pas mal d’adhérents. Il a fallu en quelque sorte repartir de zéro », raconte Éric Joly. Activité événementielle, circuits de collecte et autoréparation ont en effet été perturbés dans tous les ateliers. Pour faire face, SoliCyle a mis en place une nouvelle offre de réparation : « Tout le monde n’a pas envie de réparer son vélo soi-même, explique Marion Georges. D’autre part, c’est une activité très professionnalisante : en entreprise nos salariés seront davantage évalués sur leur capacité à remplacer efficacement une chambre à air qu’à remonter un vélo en entier. » Après un an en moyenne à l’atelier, un peu moins de la moitié d’entre eux s’orientera vers le cycle. À titre d’exemple, Khadidja se verrait bien chauffeur VTC et Younès se projette dans le diagnostic automobile. Tous débouchés confondus, le « taux de sorties positives », vers un emploi ou une formation, atteint 70 %. Une réussite qui doit beaucoup, selon Éric Joly, « au travail mené autour de l’estime de soi et au sentiment d’utilité sociale développé par ces personnes ».

Pauline Vinatier
solicycle.org

Les commentaires sont fermés.