Le 16 février, les dix équipes de LFL et des milliers de fans ont pu communier à l’occasion du LFL CIC Day, première grande rencontre physique de la saison à La Seine Musicale. Trois cents jeunes ont été invités à l’occasion par le Département. CD92/Stephanie Gutierrez-Ortega
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DANS L’ARÈNE DE L’ESPORT

GameWard évolue depuis quatre ans dans le prestigieux championnat de League of Legends, l’élite de la discipline. Les joueurs bénéficient d’un encadrement qui s’inspire des pratiques du monde du sport traditionnel.

Quelques clics sûrs et définitifs assénés d’une main experte font valser ses ennemis dans l’autre monde et triompher son « champion ». À vingt ans seulement, Lucas Piochaud, alias Badlulu, est déjà un joueur aguerri du célèbre League of Legends (LoL). « Lulu pour Lucas et bad parce que quand je jouais avec mes frères, j’étais toujours dernier, si bien que je n’ai jamais rien lâché », raconte-t-il. Après un parcours de pilote sur TrackMania, il s’est hissé en quelques années au plus haut niveau en ligue française de League of Legends (LFL), championnat réservé aux dix meilleures équipes francophones. Dans un univers de fantasy médiévale, le topliner s’ingénie à défendre son couloir, celui du haut, sur la « faille de l’invocateur », en lien avec ses équipiers. « C’est un jeu qui implique énormément de réactivité et de stratégie, insiste Benjamin Stoffel, le coach assistant de l’équipe. Sur cent soixante-dix champions aux caractéristiques différentes, seuls dix sont sélectionnés au début d’une partie. C’est comme si aux échecs les possibilités de déplacement des pièces changeaient à chaque fois ! »

Les journées à la GameWard House sont rythmées par la pratique de LoL, sous le regard des coaches.©CD92/Olivier Ravoire

Ancrage local

Le club, qui entraîne aussi cette année des divisions Apex Legends et Fortnite, aborde sa quatrième saison de LFL, une belle régularité. « Ce championnat est l’un des mieux structurés de la scène esport. On en connaît le déroulement précis à l’avance, on sait ce qu’on peut proposer aux sponsors et s’organiser en tant qu’équipe », souligne David Laniel, cofondateur en 2016 de la société mère, Sigma Esports puis du club esport deux ans plus tard. « L’intérêt des marques, qui cherchaient à toucher de nouvelles audiences avec l’esport, explosait. Notre profil, des passionnés de jeux vidéo issus du business traditionnel, puisque je travaillais dans un cabinet de conseil, était rassurant. » Le club, dont le sigle reprend la lettre grecque sigma, ne manque pas de caractère et cultive ses spécificités. À commencer par un accompagnement des joueurs qui s’inspire des bonnes pratiques sportives. Son directeur sportif n’est autre que l’ex-tennisman Julien Benneteau. Mieux vaut, selon son président, « partir avec des joueurs moins connus, et les faire grandir. » Autre particularité, le club a été parmi les premiers à se donner un ancrage local, nouant un partenariat avec la municipalité. La GameWard House installée dans des locaux loués à la ville en décembre 2019, regroupe ainsi les activités de Sigma Esports et du club sur 600 m2 : bureaux, studio de production, salles d’entraînement et salle de sport. Une pièce de vie lumineuse, avec son jeu d’échecs et son piano, exercice délassant pour doigts nerveux, vient compléter le tout et accueille les fans lors de « viewing parties ».

Dans la salle LFL trône une figurine du gladiateur GWARDIAN, mascotte portant les valeurs du club : « confiance, intensité, responsabilité, audace », associées au slogan « Face Everything ». Les joueurs, un Français, un Polonais, un Lituanien, un Allemand et un Bulgare, recrutés lors du mercato annuel, ont signé pour un an. « Un bon joueur est d’abord un joueur suffisamment passionné et prêt à passer du temps à s’entraîner. Il doit aussi s’intéresser au fonctionnement du jeu pour prendre ensuite les meilleures décisions à partir de nombreuses variables », explique Benjamin Stoffel. « Dès les tests, j’ai senti de bonnes vibes », raconte Oskar Bazydlo, alias Raxxo, qui, à 26 ans, a déjà écumé le continent et ses différentes ligues régionales. Ce fils d’enseignants, depuis toujours animé par « l’esprit de compétition, qu’il s’agisse de jeux vidéo, de sport ou de maths à l’école », gagnait déjà sa vie grâce à ses prouesses sur LoL au sortir du lycée et poursuit en parallèle des études de programmation. Ses parents n’ont pas contrarié sa vocation. Les carrières, très courtes, s’échelonnent entre 18 et 25 ans et à 25 ans révolus, Oskar est donc un vétéran. De son côté, Lucas, qui s’avoue « fonceur », a mis entre parenthèses sa licence de maths. « En première division, vous arrivez à vivre du jeu et cela devenait compliqué de combiner les deux. » Comme dans le sport, il n’est pas rare que les « retraités » deviennent à leur tour coach ou manager.

L’hygiène de vie est considérée comme un facteur de performance à part entière et une salle de sport est à la disposition des joueurs.©CD92/Olivier Ravoire
L’anglais est de rigueur au sein de l’équipe dont les membres, joueurs et coaches, sont en provenance de différentes ligues régionales européennes.©CD92/Olivier Ravoire
 

Culture de la performance

L’emploi du temps d’un joueur de première division ne laisse aucune place à l’improvisation. Dès 10 heures, calés dans leur fauteuil de gamer, ces pros tentent d’améliorer leur classement individuel. L’après-midi et parfois jusqu’au soir, ils affrontent d’autres formations européennes sous le regard du coach Emmanuel Ursachi et de Benjamin Stoffel. « J’essaie d’isoler des aspects du jeu, par exemple les patterns de communication. Une fois la partie terminée, on analyse ensemble et on cherche des pistes d’amélioration », explique ce dernier. Un grand écran accueille ces décryptages collectifs. Les horaires doivent être respectés sous peine de pénalité et le manager Julien Gadois se montre soucieux des règles. « Ce sont des jeunes qui étaient performants dans leur chambre et à qui, du jour au lendemain, on demande de se comporter en pros, précise cet ancien basketteur et entraîneur à Levallois. Ce n’est pas évident pour eux ». La préparation mentale et l’hygiène de vie – bien dormir, surtout « pas de tartiflette avant un match ! » – entrent aussi dans ses prérogatives et il a concocté une routine d’entretien physique pour chacun d’entre eux. « L’objectif est avant tout d’éviter les blessures. Les blessures nerveuses au coude ou au poignet sont les pires et peuvent conduire à une retraite anticipée. » Des sorties, au restaurant, au Laser Game, sont proposées pour la cohésion d’équipe. « C’est la donnée la plus sous-cotée. Sans cela, le groupe peut exploser en vol ». D’autant que le planning alterne cette année bootcamp d’une dizaine de jours à Boulogne et entraînement à distance depuis leur pays respectif. « Nous avons jugé que le groupe était en mesure d’appliquer les consignes à distance, et pour leur équilibre personnel ce n’est pas plus mal », estime David Laniel. En face du club, le centre municipal esport, un service public inédit en France, doté de postes en libre-service et d’un riche catalogue de jeux, forme avec le club esport un seul et unique pôle alliant volet pro et volet amateur. « L’esport en France est déjà un fait de société. Il est reconnu qu’il apporte beaucoup en termes de vivacité intellectuelle et de relations sociales, mais il y a parfois des pratiques à risque, explique Fabien Dolbeau, directeur de BB Sport Développement, la société publique à l’origine du projet, dont la ville est actionnaire. Le maire, Pierre-Christophe Baguet souhaitait « apporter un cadre à cette pratique ». Des activités croisées sont organisées entre les deux structures : portes ouvertes, tournois, stages pour les 12-17 ans animés par le joueur Fortnite de la maison, Marcote. « L’objectif n’est pas tant de les faire jouer que de leur faire comprendre ce qu’implique être joueur pro, à commencer par le fait qu’on ne peut pas tous le devenir, explique David Laniel. Dès le départ, on a voulu communiquer des valeurs et être moteurs dans la structuration de l’esport ». Le Département, ce n’est pas un hasard, s’est d’ailleurs associé à GameWard afin de réaliser une vidéo éducative destinée aux collégiens. Autre projet du club, la création d’un sport-études pour « accompagner vers la professionnalisation et rassurer les parents. » À en croire Lucas, le regard sur l’esport est en passe de changer dans toutes les générations : « Les gens de mon âge savent tous de quoi il s’agit ; par contre, ma mère doit expliquer à ses copines ce que je fais ». Ses grands-parents, certes « un peu dépassés », ont bien compris « que l’esport donne les mêmes émotions que le sport ».

Ambiance survoltée

En janvier, GameWard visait le top 6 de LFL, condition sine qua non pour accéder aux play-off, eux-mêmes incontournables pour espérer être couronné champion de printemps. Les trois meilleurs iront ensuite en Coupe d’Europe. « Il est plus difficile d’aller en Coupe d’Europe depuis la LFL, qui est le meilleur championnat régional européen, que de disputer la Coupe en soi. Si on arrive jusque là, on peut avoir un beau parcours ensuite », affirme Oskar. Deux grands-messes physiques, les LFL Days, sont aussi prévues cette année pour permettre aux dix équipes et à leurs fans de se retrouver. La première, le LFL CIC Day, a eu lieu le 16 février à La Seine Musicale en partenariat avec le Département, et la seconde se tiendra en juillet à Nice. Selon Oskar, « ces rencontres sont plus stressantes qu’en ligne mais aussi plus excitantes. On entend le public encourager les belles actions et on se sent porté ». En ce début de saison, « l’excès de zèle est le piège à éviter », prévient de son côté Julian Gadois. « La saison est très longue et les résultats peuvent se décider lors de la dernière journée. J’ai un adage : ce n’est pas un sprint, c’est un marathon. » Avec un tel encadrement, qui n’a rien à envier au monde du sport professionnel, l’équipe est déjà en mesure de produire son meilleur jeu. La preuve : en septembre 2022, les gladiateurs atteignaient les demi-finales européennes, une performance inédite.

Pauline Vinatier
gameward.team

 
 

Hauts-de-Seine Digital Games les 21 et 22 avril

Prisé des jeunes, le jeu vidéo est une pratique culturelle dont le Département veut exploiter les potentialités éducatives (voir reportage en pages départementales) avec la création d’un festival dédié. C’est aussi un secteur riche en opportunités d’emploi. Au Parc des Expositions, Porte de Versailles, la première journée du festival sera consacrée aux scolaires et à leur sensibilisation tandis que la seconde sera tout public (sur inscription préalable). Au programme : plus de 50 exposants et 100 stands, des ateliers éducatifs, des tournois, des conférences et un job dating. Engagé dans la promotion d’une pratique responsable du jeu vidéo, le Département avec la ville de Boulogne-Billancourt a aussi été partenaire à deux reprises du LFL Day, la plus grande compétition esport francophone organisée par Webedia. La société a par ailleurs animé à sa demande en 2022 une conférence sur la découverte des métiers de l’esport pour les collégiens, initiative qui sera reconduite en 2023.

Plus d’infos sur digital-games.hauts-de-seine.fr

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