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DE L’AQUIFÈRE À LA VILLE, LE « MIRACLE » DE LA GÉOTHERMIE

Au Plessis-Robinson, 3 500 logements de Hauts-de-Seine Habitat bénéficient d’un système de chauffage utilisant la chaleur stockée dans le sous-sol il y a des millions d’années. Une énergie renouvelable et avantageuse pour les locataires.

Les tuyaux de la centrale s’entrelacent, partant à l’assaut de la ville ou revenant au bercail chargés d’eau froide.© CD92/Stéphanie Gutierrez-Ortéga

L’échelle de fer mène à un unique tuyau surgissant de la terre, où une pompe immergée lui tient compagnie à 970 mètres de fond. Il transporte 130 mètres cubes d’eau par heure (130 000 litres) et sa température est celle d’un corps un peu fébrile : 38°C. Après avoir cédé sa chaleur en surface, l’eau souterraine est réinjectée par un puits jumeau dans sa nappe d’origine. « La température d’extraction est toujours la même ; par contre, la température de réinjection varie de 14°C, les jours les plus froids, à 20°C le reste du temps », indique Gwen-Aël Siau, responsable d’unité opérationnelle chez Dalkia, l’entreprise en charge de l’exploitation du réseau robinsonnais. La distance de 600 mètres entre les deux puits vise, quant à elle, à ne pas refroidir le secteur le plus chaud de la nappe en créant une pollution thermique. La réalisation de ce doublet par le délégataire en 2012 a nécessité d’employer les grands moyens car « les techniques de forage et le matériel utilisées en géothermie sont les mêmes que dans le secteur pétrolier ». C’est ainsi qu’une banale « plaque d’égout », entre un immeuble et une école, ouvre sur un univers digne de Jules Verne. Ces travaux, associés au maillage de trois chaufferies existantes, ont permis de desservir par l’intermédiaire d’un seul et même réseau 3 500 logements sociaux concentrés sur 3 km2 dans les quartiers du Moulin Fidel, du Carreau et du Loup Pendu ainsi que deux écoles, un centre culturel et une résidence pour personnes âgées… La densité du patrimoine de Hauts-de-Seine Habitat au Plessis-Robinson, où le bailleur est « historiquement implanté », précise son directeur général, Damien Vanoverschelde, faisait de cette commune le terrain idéal pour un tel projet.

Six cents mètres séparent les puits du doublet. Une précaution qui vise à ne pas refroidir la nappe en y réinjectant de l’eau froide.© CD92/Stéphanie Gutierrez-Ortéga

Terra incognita 

Si le terme géothermie, du grec « gè » (terre) et « thermos » (chaud) renvoie aux techniques modernes d’exploitation de la chaleur souterraine, l’intérêt pour cette ressource providentielle ne date pas d’hier. Que l’on pense aux thermes de l’Antiquité ou aux sources chaudes islandaises. Dans le bassin parisien, formé d’un empilement de roches sédimentaires riches en aquifères, le potentiel d’exploitation de chaleur est élevé. Dans le sous-sol alto-séquanais s’étagent entre 1700 et 700 mètres quatre formations profondes : les grès du Trias, les calcaires du Dogger et du Lusitanien puis les sables du Néocomien et de l’Albien. « Plus on se rapproche du noyau terrestre, plus la température va augmenter, c’est ce que l’on appelle le gradient géothermique », explique Gwen-Aël Siau (3,3°C sont gagnés en moyenne tous les 100 mètres, Ndlr). Si le Dogger est l’aquifère le plus exploité et le mieux connu, ce n’est pas le cas du Néocomien mis à contribution au Plessis-Robinson, ce qui donne un côté expérimental au projet, dont l’Ademe a subventionné l’investissement initial à hauteur de 40 %. Contrairement au Dogger qui offre des températures entre 55°C et 70° C, les eaux du Néocomien se situent plutôt entre 30°C et 40°C. Le recours aux pompes à chaleur et aux chaudières gaz en appoint permet d’obtenir une température comprise entre 60°C et 65°C nécessaire aux usages domestiques, le taux d’énergie renouvelable et de récupération (EnR&R) atteignant en définitive plus de 50 %. Dans un département où aucun des doublets créés à partir du milieu des années 70 n’avait perduré, le bailleur, appuyé par la ville, s’est engagé dans un projet précurseur et vertueux sous bien des aspects. « On a la chance d’avoir des ressources géothermales profondes encore inexploitées. Il serait dommage de se priver d’une telle énergie décarbonée et renouvelable », souligne d’abord Damien Vanoverschelde. Cette ressource disponible 365 jours par an à un coût stable, inaccessible aux caprices des énergies fossiles, permet d’autre part « d’assurer un chauffage de meilleure qualité et d’abaisser les coûts pour les locataires ». L’obtention par les porteurs de projet d’une TVA réduite (5,5 % au lieu des 20 % classiques, dû aux 50 % d’EnR&R) s’est en effet traduite pour les habitants par une baisse des charges significative. 

À partir d’un 1 kW d’électricité consommée, les pompes à chaleur permettent d’obtenir 4  kW en retour.© CD92/Stéphanie Gutierrez-Ortéga

Réserves stratégiques 

Remarquable par sa taille et par la diversité de ses installations, la chaufferie du Loup Pendu, dont la cheminée pointe au-dessus des immeubles, est le cœur de ce réseau qui déploie ses canalisations sur onze kilomètres. Lors d’une première étape, l’aquifère en provenance du puits d’extraction se déverse et restitue ses calories dans un échangeur divisé en deux parties étanches par des plaques inoxydables ce qui évite tout contact avec les eaux urbaines. « Il faut préserver l’intégrité des eaux souterraines et éviter toute pollution accidentelle. De plus, le Néocomien est considéré comme une réserve stratégique en eau potable », précise Gwen-Aël Siau. En sortie d’échangeur, l’eau du réseau de chaleur, arrivée à 37°C soit « un degré seulement de déperdition par rapport à l’aquifère », est ensuite élevée entre 60°C et 65°C par l’effet du cycle thermodynamique des pompes à chaleur. « Grâce à ce système avec 1 kW (kilowatt, Ndlr) d’électricité consommée on obtient 4 kW en retour. » En cas de forte demande, les six chaudières gaz viennent en renfort. Une dernière étape, dans les sous-stations situées au pied des immeubles, consiste en un nouvel échange thermique entre l’eau venant de la centrale (le réseau primaire) et l’eau destinée au chauffage et à l’eau chaude sanitaire (le réseau secondaire). « Les raisons de cette nouvelle séparation hydraulique sont essentiellement techniques, précise le spécialiste. Il s’agit de prendre en compte les différences de hauteur et donc de pression d’un immeuble à l’autre ainsi que de mode de chauffage ». Après quoi l’eau chaude est prête à irriguer les radiateurs et à jaillir du lavabo ou de la douche. 

En 2013, l’exploitation de cette nappe prenait des allures de pari. « On pouvait avoir quelques inquiétudes sur ce qu’allait donner la ressource », confie Gwen-Aël Siau. Si les sables gorgés d’eau du Néocomien ont effectivement donné du fil à retordre au délégataire, une parade a pu être trouvée. « Le puits de réinjection avait tendance à se colmater. On sait aujourd’hui qu’il est nécessaire de faire de temps à autre un rétrolavage en le faisant fonctionner dans l’autre sens. » La centrale, où des gaines argentées courent des murs au plafond au milieu des pompes vrombissantes, fait l’objet du même entretien sourcilleux. « C’est notre plus gros site dans le sud des Hauts-de-Seine. Une panne ou une fuite peuvent impacter énormément de monde, indique Gwen-Aël Siau. Le chauffage est un poste où les techniciens sont en première ligne face aux usagers. » Couplé avec les opérations de réhabilitation thermique des logements et de renouvellement urbain, ce réseau fortement dosé en EnR&R contribue au confort des locataires et à la lutte contre la précarité énergétique. Les habitants, après avoir vu leur facture allégée, ont ensuite subi dans une moindre mesure les répercussions de la crise énergétique. « Ce projet a amené une économie durable, les coûts sont moins dépendants des énergies primaires sans être toutefois 100 % autonomes car un complément en gaz et en électricité est toujours nécessaire », résume Damien Vanoverschelde.

La densité du patrimoine de Hauts-de-Seine Habitat au Plessis-Robinson en faisait le terrain d’implantation idéal pour un tel projet.© CD92/Stéphanie Gutierrez-Ortéga

Passage de relais

Le plus ancien du territoire en activité, ce réseau a ouvert la voie à une nouvelle vague géothermale avec, entre autres, des projets à Bagneux, en 2015, Rueil-Malmaison en 2022, et bientôt à Villeneuve-la-Garenne. Après 2025, il devrait être raccordé au réseau de chaleur prévu conjointement par les villes de Châtenay-Malabry et du Plessis-Robinson. Destiné notamment aux quartiers de Malabry et de La Vallée, ce dernier prévoit le forage d’un doublet dans le Dogger, à 1,5 kilomètre de profondeur, pour prélever une eau à 70°C en vue de desservir plus de 10 000 équivalents logements à la mise en service complète en 2028. La géothermie conjuguée aux pompes à chaleur et à une chaufferie biomasse porteront le taux d’EnR&R à hauteur de 60 %. « Cela va verdir notre mix tout en garantissant une meilleure continuité de service aux usagers, puisqu’il y aura deux doublets au lieu d’un dans le même réseau, estime Damien Vanoverschelde. Dans un contexte favorable aux énergies vertes, le bailleur peut passer le flambeau à d’autres opérateurs. « Par rapport à il y a quinze ans, il y a une plus grande prise de conscience de la nécessité d’utiliser des moyens alternatifs au charbon et au pétrole. Si l’on veut que tous les habitants, et pas seulement dans le parc social, puissent bénéficier de ces réseaux, c’est aux collectivités d’en être les organisatrices. » Autrement dit, dans le bon mix, entre aussi une dose de mixité sociale… 

Pauline Vinatier

 
 

Le Département veut dynamiser les énergies vertes

Moins de 3 % de l’énergie consommée sur le territoire est produite à partir d’énergies renouvelables et de récupération locale (EnR&R) : géothermie, solaire, méthanisation, éolien, eaux grises, chaleur des serveurs informatiques…  Le projet de société d’économie mixte locale (SEML) de l’énergie, dont le principe a été approuvé fin 2023 par l’assemblée départementale, a pour ambition de favoriser leur émergence et de garantir aux habitants l’accès à des énergies propres, décarbonées et à prix optimal. « Aujourd’hui, la compétence “énergie” est dispersée entre plusieurs échelles territoriales, souligne le président du Département, Georges Siffredi. Force est de constater que nous ne disposons pas d’une vision d’ensemble nécessaire pour déployer une véritable stratégie à même d’accélérer la transition énergétique. » Pour agir, la SEML aura la capacité d’intervenir aussi bien dans le pilotage stratégique et le conseil qu’en tant qu’opérateur et investisseur en lien avec les communes, les syndicats d’énergie et autres partenaires publics et privés. L’extension, l’interconnexion et le verdissement des réseaux de chaleur urbains (dont le mix est encore composé à 51 % d’énergies fossiles) comptent avec le solaire parmi ses priorités. 

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