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DES RÉUSSITES AU FÉMININ QUI « MONTRENT LE CHEMIN »

À l’initiative du trophée « Elles en Seine », le Département a souhaité distinguer vingt jeunes femmes issues du territoire pour leur parcours remarquable et inspirant et pour leur engagement auprès des autres. 
Rencontre avec trois d’entre elles.

Par Pauline Vinatier

© CD92/Olivier Ravoire

LINA EL HAJJI COLORISTE INTRACELLULAIRE

Doctorante au sein du laboratoire des biomolécules de Sorbonne Université, la chimiste Lina El Hajji travaille à améliorer l’imagerie des cellules. À la clé, une meilleure appréhension du développement des maladies.

Les protéines, à son contact, se parent de rouge, de bleu ou de jaune. Rien de gratuit là-dedans. La fluorescence pour éclairer le fonctionnement de notre corps, découverte dans les années 1960, ne cesse d’être perfectionnée depuis pour le compte de l’imagerie biologique. L’enjeu n’est rien de moins que la détection précoce des maladies, ce qui n’empêche pas Lina El Hajji d’en exploiter l’aspect ludique lors des Fêtes de la science. « Je pense que pour mettre les gens dans de bonnes dispositions, il faut présenter des choses qui nous plaisent. » 

Désireuse de comprendre le vivant, elle goûte l’écart « entre ce qu’on voit et ce qui se passe à l’intérieur de nous. » Ses recherches impliquent de descendre jusqu’à la maille de l’ADN et d’optimiser, parmi les biomarqueurs dits chimiogénétiques, ceux destinés aux tissus profonds. Alliage d’une protéine et d’une molécule colorée, ces « mouchards » doivent se faire le moins « perturbatifs » possible pour la cible à laquelle ils seront pour ainsi dire accrochés. « Imaginez que vous transportiez quelqu’un de la même taille que vous, vous n’allez plus pouvoir bouger normalement ! » 

Derrière la comparaison bien trouvée transparaît la vulgarisatrice hors pair. Du tutorat pour des collégiens aux ateliers avec l’association L’École à l’hôpital, en passant par les rencontres avec des lycéens, elle n’est pas avare de son savoir et ce, depuis le lycée au Maroc où son premier atelier fut consacré à la planète Mars – son cœur, confie-t-elle, a toujours balancé entre l’infiniment grand et l’infiniment petit. Ce faisant, elle promeut l’égalité des chances dans l’accès aux carrières scientifiques. « Je tiens à partager mes connaissances mais aussi mon parcours pour, pourquoi pas, éveiller des vocations. » Loin de se résumer à des formules, la science est selon elle « autour de nous, partout, tout le temps ». 

La Boulonnaise, outre le trophée « Elles en Seine », a figuré en 2023 parmi les lauréates du prix de la Fondation L’Oréal-Unesco « Femmes pour la science ». Une reconnaissance qui a contribué à réduire un « syndrome de l’imposteur » tenace : « Je ne suis pas rentrée à l’ENS (École normale supérieure, Ndlr) sur concours mais sur dossier et, en thèse, je suis entourée de gens brillants. Je me demande parfois si je suis à ma place. » S’il elle estime ne pas avoir rencontré de difficultés en tant que femme scientifique, Lina croit aux modèles pour « oser se lancer ». Elle cite sa mère et ses sœurs puis ses enseignantes de prépa ou cette doctorante, qui lorsqu’elle-même était encore étudiante à l’ENS, lui a fait part de ses doutes. « Elle se posait les mêmes questions et cela ne l’a pas empêché de réussir. Cinq ans après j’espère pouvoir être pour d’autres ce qu’elle a été pour moi. » 

© CD92/Olivier Ravoire

TAYEBA CHAUDHARY ORACLE DES ASSIETTES

L’ingénieur a fondé en famille Fullsoon, une solution digitale qui propose aux restaurateurs et métiers de bouche de réduire le gaspillage grâce à l’intelligence artificielle. 

En 2017, Tayeba, jeune ingénieur en mécanique, est envoyée à New-York pour créer une filiale. Le début de son rêve américain et une expérience inspirante en phase avec son héritage familial. « Mon père nous disait :  »Fais ce que tu veux mais sois ton propre patron. » » Le concept « à impact positif » arriva par son frère Hassan, alors data scientist dans l’hôtellerie, qui lui parla de ses déplacements professionnels. « Il avait pu constater qu’énormément de nourriture était jetée après le petit-déjeuner, explique-t-elle. En s’y intéressant de plus près, on a pris la mesure du gaspillage alimentaire (10 millions de tonnes jetées par an en France, Ndlr). L’évidence s’impose à eux : « À partir du moment où l’on peut prévoir l’occupation des hôtels, pourquoi pas celle des restaurants ? » 

Avec Hassan et leur sœur Misba, elle fonde en février 2022 Fullsoon, prenant les rênes du développement commercial. L’algorithme issu de leur R & D s’appuie sur l’historique des ventes en un an ainsi que sur la météo et les événements sportifs, culturels ou calendaires. Il peut prévoir quinze jours à l’avance le taux d’occupation ainsi que les plats commandés et jusqu’aux quantités en cuisine. Nouveau convive de la FoodTech, en plein essor depuis la Covid entre les QR-codes et les plateformes de réservation en ligne, Fullsoon a dû convaincre qu’il n’était pas un « énième gadget ». À ce jour, la start-up, hébergée à L’Escalator, incubateur levalloisien, a séduit une trentaine de grandes enseignes, dont les pertes seraient réduites d’un tiers. Elle fait parler d’elle avec les prix UNICLEN et Made in 92 et éveille, en répondant à un enjeu planétaire, l’appétit des hauts dirigeants. Fullsoon était en janvier au sommet Destination France, après avoir été reçue à la Maison Blanche avec d’autres start-ups françaises.

Une trajectoire naguère inconcevable pour la native d’Arnouville, dans le Val-d’Oise. « Mes parents nous ont motivés à faire des études mais c’est tout notre environnement qui nous conditionne à ne pas rêver trop grand, en particulier pour une femme, estime-t-elle. L’entreprenariat m’a révélée. » Pour couronner le tout, elle figure dans le classement Forbes France des « quarante femmes remarquables qui ont marqué l’année 2023 ». Une distinction qui lui a valu de recevoir des centaines de messages de femmes et lui donne conscience de son rôle. « Elles avaient l’impression d’être représentées. Je n’ai jamais voulu être une porte-parole, mais si mon parcours peut donner envie à d’autres femmes issues de la diversité d’y croire et de se lancer, j’aurai gagné. »

fullsoon.co

DIANE LETOURNEUR LES TOXINES DANS LE VISEUR

La biologiste, en thèse à l’Institut Pasteur, tente d’élucider les liens entre bactéries et cancer du côlon et défend une « recherche impliquée » dans les enjeux de société. 

Sa mère est artiste peintre et son père sculpteur, lui-même fils de René Letourneur, un maître du marbre. La scientifique sait discerner l’héritage dans cette ascendance. « Mes parents ont un intérêt pour la mécanique du vivant, ils se basent sur leurs observations pour produire des œuvres d’art, tandis que c’est cette partie scientifique qui m’attire avant tout. » Elle a choisi la biologie pour « contribuer à limiter les maladies et améliorer les conditions de vie des patients » et ne pouvait rêver meilleur lieu de thèse que l’Institut Pasteur, temple de la recherche sur les maladies infectieuses.

Son unité, celle des Toxines Bactériennes, est l’une des rares en France à explorer les liens entre bactéries et cancer. « Quand on parle de pathogènes et de cancer, on pense généralement aux virus, beaucoup moins aux bactéries ». Elle scrute pour sa part les accointances d’Escherichia coli, hôte du tube digestif, avec le cancer du côlon, « l’un des plus létaux au monde ». « Les symptômes sont peu spécifiques, ce qui fait qu’il est détecté tardivement, explique-t-elle. Je cherche à savoir si les toxines bactériennes sont capables d’induire des marqueurs du cancer par une modification du fonctionnement des cellules. » L’espoir est de parvenir à des biomarqueurs, voire d’identifier des cibles thérapeutiques. « Si l’on montre que ces bactéries par leurs toxines contribuent à la tumeur, on pourrait essayer de les éliminer. » 

À ses yeux, l’impact n’est pas un vain mot. Avec d’autres étudiants de l’ENS, elle a appelé en mai 2022 dans Le Monde à une « recherche impliquée », davantage en phase avec les enjeux de société. Le coup d’envoi de l’association EffiSciences dans laquelle elle s’investit en tant que responsable du pôle Biorisques, sans crainte de bousculer l’ordre établi. « Peut-être qu’on n’a pas encore toute la légitimité mais on ne peut pas attendre d’avoir trente ans de carrière pour agir. » L’association propose notamment des outils pour aider les futurs chercheurs à « prioriser » leur choix. « Lorsque seulement dix personnes au monde travaillent sur un sujet, une personne de plus peut faire la différence ! »

Si elle-même doit préciser le tour qu’elle souhaite donner à sa carrière et ne se « ferme aucune porte », elle n’entend pas renoncer à ces activités « annexes ». Ancienne championne d’athlétisme avec Athlé 92 et élève du conservatoire de Fontenay-aux-Roses, elle n’a pas non plus fait une croix sur ses loisirs. Bon sang ne sachant mentir, sa sœur, passée par la même institution artistique, a fait de la musique son métier.

www.effisciences.org

Vingt lauréates distinguées  en mars dernier 

Leur brillant parcours, souvent doublé d’un engagement bénévole, montre aux autres jeunes filles que tout est possible. Le prix départemental « Elles en Seine » est une nouvelle déclinaison du programme « Femmes des Hauts-de-Seine » regroupant les actions du Département en faveur de l’égalité des chances. « Nous ne devons pas seulement lutter contre les manifestations des inégalités, nous devons aussi agir sur les racines de cette problématique, rappelle Georges Siffredi, Nous voulons faire reculer les plafonds de verre tout en luttant contre cette forme d’autocensure qui empêche certaines jeunes filles de tenter leur chance alors qu’elles ont toutes les capacités. » Les champs d’activité couvrent des secteurs variés : entreprenariat, recherche, barreau, sport… Les lauréates, dont le profil avait été proposé par les villes du département, ont reçu leur trophée en mars dernier à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes.

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