De la commande à la livraison, Dring cible les habitudes de consommation citadines et a déjà permis d’embaucher deux coursiers. © CD92/Olivier Ravoire
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DRING, UNE LIVRAISON DE PROXIMITÉ SOLIDAIRE

Des salariés en insertion qui livrent aux internautes des repas et des produits issus de commerces locaux, le tout à vélo : le modèle développé par Initiative Emploi à Châtillon défie celui des plateformes de commerce en ligne.

Les colis s’empilent au fond de son caisson et son moteur peut triompher des côtes les plus abruptes. Ce vélo-cargo était la solide monture requise pour un coursier professionnel, surtout à Châtillon. « Les environs sont très vallonnés et je roule beaucoup », sourit Osmane, silhouette de jockey, chaudement vêtu et ganté. D’un coup d’œil sur le smartphone fixé à son guidon, le coursier consulte son plan de route sans mettre pied à terre. Premier arrêt ce jour-là dans une pizzeria du centre-ville. Sur le comptoir, une pile de prospectus met en avant auprès de la clientèle un nouveau service de livraison à domicile : Dring ! Votre livraison solidaire. Jusqu’ici le patron, Mario, préférait laisser à d’autres le soin de satisfaire les nouvelles habitudes de consommation. « J’aime aller au contact, voir du monde, et je ne veux pas encourager les habitudes casanières », explique-t-il. Sans parler du « bruit et des nuisances » autour des commerces. Un inconvénient que ne présentait pas Dring !, solution « solidaire », mais aussi locale et sobre en carbone, imaginée par Initiative Emploi.

Lavage de voiture écologique, conciergerie et mise à disposition de personnel sont les trois activités historiques de ce groupe d’insertion par l’activité économique, soutenu par le Département par l’intermédiaire de l’agence interdépartementale d’insertion ActivitY’. L’idée d’un nouveau service est née des répercussions sociales de la crise sanitaire, raconte la directrice de l’association, Anne Peterschmitt : « Il y avait d’un côté des personnes clouées chez elles à cause du couvre-feu, de l’autre des salariés au chômage partiel. De là est née l’idée d’un service de livraison, qui nous permettrait en plus de capitaliser sur notre expérience en matière de logistique. » Pour transporter ces petits colis dans un rayon de deux kilomètres, le vélo a été préféré au scooter ou à la voiture. « D’ailleurs les clients des plateformes sont souvent les premiers à s’offusquer des nuisances générées par les livraisons en voiture ou en scooter. » Aucune offre comparable n’existait sur le territoire alors que, comme partout ailleurs, la commande en ligne y a le vent en poupe. « Beaucoup de clients des grandes plateformes ne se sentent pas en phase avec leurs propres valeurs mais cèdent au côté pratique. Nous leur proposons une alternative qui n’est ni plus chère ni plus contraignante, explique Morgane Landel, responsable cyclo-logistique au sein de l’association. Nous répondons aussi à un besoin des commerçants qui ressentent beaucoup de pression et de concurrence de la part des grands sites de vente en ligne. » L’association des commerçants et artisans de Châtillon ainsi que la municipalité sont d’ailleurs étroitement associés au projet.

Outil collaboratif

Quatre restaurants, deux épiceries fines et un fleuriste sont déjà référencés sur le site Coopcycle, où l’on peut passer commande comme sur n’importe quelle plateforme. Mutualisé et collaboratif, cet outil développé par une fédération de coopératives de livraison à vélo bénéficie à une soixantaine d’initiatives similaires dans le monde. « Au-delà de l’outil technique, c’est un moyen de créer un réseau, souligne Morgane Landel. En Île-de-France, le secteur doit encore se structurer. » La commission reversée à Coopcycle est également moindre que d’ordinaire. « C’est un de mes premiers arguments auprès des commerçants avec la dimension vertueuse et le côté local. » À cette commission s’ajoute un forfait de livraison de quatre euros.

Comme les autres salariés d’Initiative Emploi, Osmane a signé un contrat à durée déterminée d’insertion (CDDI), réservé aux personnes rencontrant des freins importants d’accès à l’emploi, qui lui garantit un salaire et des horaires fixes, une mutuelle, la prise en charge d’une partie du Pass Navigo, l’accès à des formations… Ce que n’offre pas l’auto-entreprenariat qui touche de nombreux livreurs. « Plus je travaillais plus je gagnais mais sans horaires fixes. Parfois je passais la journée à tourner dans Paris… », raconte Osmane, après une courte expérience pour une grande plateforme. « Ici ce n’est pas un algorithme mais un être humain derrière l’ordinateur, souligne Morgane Landel qui coordonne la petite équipe de deux coursiers. Je connais précisément leurs horaires et je sais combien de kilomètres ils ont dans les jambes ; je peux adapter la charge de travail ». « Il est important de leur offrir dès à présent de bonnes conditions de travail. C’est ce qui va leur permettre de développer de nouvelles compétences et de reprendre confiance en eux », insiste Anne Peterschmitt. À cette remise en mouvement s’ajoute un suivi socioprofessionnel régulier. Objectif : mesurer les apprentissages et préparer l’avenir… Pour sa part, Osmane se verrait bien « préparateur de commandes » ou « maraîcher ». Il aura un an, voire deux, si nécessaire, pour mûrir son projet.

Pour l’heure, le coursier poursuit sa mission sans perdre une seconde car la faim n’attend pas. Le voici qui toque à la porte de Julie, à Fontenay-aux-Roses, avec sa pizza encore fumante. La cliente, une jeune femme dans la vingtaine, n’est « pas une grande cuisinière » et a coutume de se faire livrer des repas : « Je suis consciente que ces pratiques ont un impact social et environnemental, avoue-t-elle. Je suis bien contente que ce service existe et je n’hésite pas à en parler autour de moi. » « Le bouche à oreille va faire son œuvre, espère Morgane Landel. Nous avons commencé plutôt modestement mais sommes prêts à monter en capacité avec de nouveaux coursiers. C’est tout l’intérêt de pouvoir s’appuyer sur un groupe qui salarie 130 personnes par an  ». Les trois cents et quelques commerçants châtillonnais sont aussi un puissant relais de croissance. Dring ! espère en séduire davantage pour consolider son modèle et jouer les météorites dans le jardin des grandes plateformes : « Concurrencer les mastodontes est un défi mais le marché est énorme, il y a de la place pour tout le monde », veut croire la responsable cyclo-logistique.

Pauline Vinatier
initiative-emploi.coopcycle.org

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