L’extinction de la biodiversité commence en nous-mêmes

Professeur au Muséum national d’Histoire naturelle, le biologiste Marc-André Selosse appelle à reconsidérer le rôle des microbes au sein du vivant.

HDS Qui sont les microbes, auxquels vous accordez une si grande place dans vos travaux ?

MAS Les microbes de micro, petit, et bio, vivant, sont littéralement de petits organismes vivants, catégorie qui comprend en gros des bactéries et des champignons, dont le point commun est de ne pas être visibles à l’œil nu. Les plantes sont colonisées cellule à cellule par les microbes : dans un gramme de feuilles, il y a pratiquement cent millions de bactéries. Les animaux, eux, sont plutôt colonisés au niveau de leur surface, sur la peau, et dans les creux de leur organisme comme le tube digestif et la cavité nasale. Nous contenons tous autant de cellules de microbes que nous avons de cellules humaines. Or ces organismes ne se résument pas à des vecteurs de maladies. Hélas, le mot est né au XIXe siècle sous la plume d’un médecin militaire, Sédillot, et les successeurs de Pasteur vont incarner les microbes dans la mort et la maladie. 

HDS Souvent mal perçus, ils participent pourtant au bon fonctionnement des plantes, des animaux, autrement dit du vivant…

MAS Nous sommes accompagnés aussi bien physiquement, car tous les grands organismes sont des immeubles à microbes, que fonctionnellement. Au cours de leur évolution, nos organismes, et c’est aussi bien vrai pour les plantes que pour les animaux donc les êtres humains, se sont appuyés sur les microbes pour réaliser leurs fonctions ordinaires. En échange de ces bienfaits, les microbes trouvent un gîte et un garde-manger. C’est donc une relation à bénéfice mutuel. Parmi ces partenaires, il y a les passagers permanents, hérités de nos parents, et les passagers qui montent dans le train en route, à la naissance pour les animaux, ou à la germination pour les plantes. 

HDS Il faut distinguer les microbes qui aident un organisme à accomplir une fonction de ceux qui l’assurent de façon autonome …

MAS La digestion est l’exemple d’une fonction construite à deux puisque les bactéries présentes dans notre intestin déversent des enzymes dont notre organisme n’est pas pourvu : on digère ainsi un spectre plus large de molécules. Chez certains animaux, comme la vache, incapable d’assimiler les végétaux, c’est en revanche une propriété entièrement apportée par les microbes, au prix du sacrifice de quelques-uns d’entre eux. La vache se nourrit en quelque sorte de steaks de bactéries ! On s’est aussi rendu compte que les mitochondries qui font réagir l’oxygène et le sucre pour libérer de l’énergie dans nos cellules et du CO2, c’est-à-dire qui apportent la respiration, étaient en fait des bactéries. De la même façon chez les plantes, la photosynthèse est assurée par des bactéries photosynthétiques embarquées dans les cellules.

HDS Peut-on s’arrêter un instant sur le rôle des bactéries dans le système immunitaire ?

MAS Ce qui protège le milieu où vivent les bactéries et les champignons les protège eux-mêmes, ce sont donc de très bons gardiens pour leurs hôtes. Le problème, c’est que souvent les traitements employés pour traiter une maladie tuent tous les microbes. En traitant la vigne au sulfate de cuivre, la bouillie bordelaise, on empêche les champignons du mildiou de s’installer mais on tue les bactéries et les levures qui constituaient, à la surface de la feuille, une première ligne de défense. L’ homme n’échappe pas à cette règle. Vingt pour cent d’entre nous sommes porteurs du staphylocoque doré mais très peu développeront de maladie car le staphylocoque est pris parmi d’autres microbes. Ils se font concurrence mutuellement. En terme d’hygiène on voit émerger un motif majeur : ce qui compte n’est pas tellement pas d’avoir un staphylocoque doré, c’est plutôt que d’autres microbes l’empêchent de nuire. 

HDS Cette « saleté propre », comme vous l’appelez, a tendance à être remplacée par une hygiène excessive favorisant le développement de certaines maladies…

MAS Alors même qu’on s’était débarrassé des maladies contagieuses ces cinquante dernières années, les maladies du métabolisme comme le diabète ou l’obésité, les maladies du système immunitaire comme la maladie de Crohn, la sclérose en plaque ou l’asthme, les maladies du système nerveux comme l’autisme, se développent. Le nombre d’autistes a été multiplié par trois en dix ans, aujourd’hui, un enfant sur cent cinquante-neuf naît autiste en Europe : c’est énorme, on est face à une épidémie. Or les personnes qui présentent ces maladies ont un microbiote (communauté de microbes NDLR) différent de celle des gens sains et moins riche, qui ne joue plus son rôle de régulateur. On parle beaucoup de l’extinction de la biodiversité mais cette extinction commence aussi à l’intérieur de nous-mêmes, à force d’être trop propres, de manger des aliments trop propres, avec des mains trop propres… 

HDS Selon vous les autorités sanitaires devraient mieux prendre en compte l’impact positif des microbes ?

MAS L’influence des microbes commence dès le stade fœtal : on sait aujourd’hui que si la mère est exposée à des animaux et si elle consomme du lait cru, il y a moins de risque de maladies allergiques comme l’asthme ou la dermatite atopique qui fait actuellement des ravages.. Il faut affronter en face le fait qu’on ne peut pas fonctionner sans microbes. Jusqu’ici nous pratiquons l’exclusion totale, des méchants, ce dont tout le monde se félicite, mais aussi des bons. La vaccination est une façon de filtrer les indésirables si on veut exposer davantage les enfants  aux microbes. 

HDS Mêmes nos pratiques culturelles feraient une place à ces micro-organismes, à notre corps défendant…

MAS J’ai longtemps cru qu’on mangeait des aliments fermentés parce qu’ils étaient bons. J’ai lentement pris conscience que ces attitudes étaient héritées d’un passé où il était vital de fermenter, car les microbes remplissaient le même rôle dans les aliments que dans notre organisme : détoxifier les molécules, fabriquer des vitamines, faire écran contre l’installation de bactéries pathogènes. La fermentation a permis aux premiers agriculteurs, au Néolithique, de consommer des légumes et des céréales, remplis de toxines végétales dans les variétés d’alors, et de transformer le lait, dont ils ne digéraient pas encore le lactose. Elle a permis aussi d’avoir des vitamines même quand les aliments étaient stockés longtemps. Autrefois, pour éviter le scorbut (déficit en vitamine C, NDLR), les navigateurs embarquaient de la choucroute. La fermentation a enfin joué un rôle dans la conservation en produisant de l’alcool ou de l’acidité empêchant d’autres bactéries de s’installer. Quand Pasteur dit que « le vin est la plus saine des boissons », cela prête à sourire mais au XIXe siècle, l’eau était souvent souillée ! En coupant l’eau avec du vin, on tuait d’éventuels microbes pathogènes.

 

HDS Que peut changer une meilleure connaissance des microbes à notre quotidien ?

MAS Les leçons que proposent les microbes valent pour les plantes, les animaux, les êtres humains, les gestes civilisationnels. Sous des phénomènes différents se cachent partout les mêmes mécanismes, si efficaces qu’ils finissent par être récupérés à tout moment dans l’évolution. Comprendre les microbes donne du sens au monde qui nous entoure, et nous permet, dans notre quotidien, de consommer, de nous soigner et de vivre mieux. 

La Science se livre 2020

La 24e édition de La Science se livre, le rendez-vous de diffusion de la culture scientifique organisé par le Département, sera placée du 18 janvier au 8 février sous le signe du « monde végétal », Marc-André Selosse animera une conférence sur « Les secrets des plantes contre les agressions » à la médiathèque Louis-Aragon de Bagneux, mardi 21 janvier à 20 h, puis à la médiathèque La Buanderie de Clamart, samedi 1er février à 16 heures. 

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