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Posté dans Reportage

Eole accélère sur toute la ligne

Le prolongement du RER E va faciliter les déplacements de centaines de milliers de voyageurs de l’Ouest francilien. Entre Nanterre et Haussmann-Saint-Lazare, l’avancée du chantier est spectaculaire.

Sur l’ancienne friche ferroviaire de Nanterre-la Folie, dix voies serviront au garage des trains tandis que les halles Boussiron, vestiges des ateliers du début du XXe siècle, abriteront un centre de petite maintenance.©CD92/Olivier Ravoire

Un porche de huit mètres de haut sur seize de large, creusé dans le siège de Vinci en sera la principale entrée. Sans bâtiment voyageurs, la gare de Nanterre-La Folie, aménagée sur une ancienne friche, l’Île ferroviaire, restera ouverte à tous les vents. Entre les Terrasses de Nanterre et le futur quartier des Groues sur soixante-dix hectares de l’autre côté des voies, sa grande passerelle piétonne jouera les traits d’union. « Nanterre-La Folie n’est pas un monstre souterrain comme La Défense ou la Porte Maillot. Des trois gares que nous construisons, c’est la plus simple à réaliser. Les principaux ouvrages sont la passerelle et le passage vers la ligne 15 ouest », souligne Xavier Gruz, directeur du projet Eole au sein de la SNCF, maître d’ouvrage du projet. C’est donc aussi la plus avancée : s’il manque encore les escalators, les structures sont à présent achevées et, sous les quais, le tunnel de correspondance avec le Grand Paris Express attend son heure. Quant au RER A, il sera à cinq minutes à pied.

Cinquante-cinq kilomètres de prolongement au-delà d’Haussmann-Saint-Lazare pour le RER E, dont huit kilomètres de voies nouvelles en tunnel ; deux gares créées dans les Hauts-de-Seine : l’acte II du projet Eole, un acronyme pour « est ouest liaison express » bat son plein. L’ambition d’une liaison RER est-ouest, traversant la région parisienne sur plus de cent kilomètres est née en 1989. Paris en est le point de bascule. Deux gares souterraines, Haussmann-Saint-Lazare et Magenta-Gare du Nord ont d’abord connecté Chelles et Villiers-sur-Marne à la capitale. En 2003, la ligne atteint, à l’est, Tournan-en-Brie tandis qu’en 2015, un arrêt Rosa-Parks est inauguré dans Paris. Restait le grand bond vers l’ouest. Le projet de raccordement à la ligne L à Pont-Cardinet a été abandonné au profit d’une jonction avec la ligne J vers Mantes-La Jolie. Avec une mise en service en deux temps. Entre Haussmann-Saint-Lazare et Nanterre, le premier tronçon franchit en ce moment même de nouvelles étapes. « Cet été nous avons lancé la pose des voies dans les tunnels et le second œuvre des gares va commencer. Cette activité va venir en surplus du génie civil, détaille Xavier Gruz. Dans l’année à venir, on va réaliser une fois et demi le volume des précédentes. » Ces huit nouveaux kilomètres ouvriront dès la mi-2023. Pour les quarante-sept restants, il faudra attendre la fin 2024 et la modernisation des dix gares du réseau existant et des quais. Sept cent mille voyageurs quotidiens et deux millions d’actifs devraient bénéficier de cette nouvelle desserte qui reliera, notamment, les bassins d’emploi et d’habitation de Paris La Défense et de Mantes-Poissy-Les Mureaux. Les moyens déployés sont à la mesure des enjeux : quatre mille personnes mobilisées au plus fort des travaux, huit financeurs pour un coût de près de quatre milliards d’euros dont 161 millions d’euros apportés par le Département des Hauts-de-Seine.

Terminus est

Au bout des trois voies centrales de la gare de Nanterre-La Folie, des heurtoirs massifs en béton marquent l’emplacement où les trains feront demi-tour : la gare sera en effet le terminus de la branche est d’Eole, Rosa-Parks jouant le même rôle pour la future branche ouest. « Les deux branches seront indépendantes mais juxtaposées dans leur tronçon central. Cette exploitation croisée limitera les perturbations en cas de panne sur l’un ou l’autre tronçon, explique Yohan Devautour, directeur d’opérations pour le ferroviaire. Les voyageurs (pas plus de 1 %, Ndlr) qui feront l’ensemble du trajet pourront changer de train dans l’une des cinq gares communes. » Plus loin, les voies mènent au garage où stationneront chaque nuit jusqu’à dix double trains. En cours de réhabilitation, les halles Boussiron, derniers ateliers de l’Île ferroviaire restés debout, édifiés en 1912, abriteront sous leurs voûtes élégantes un centre de petite maintenance. Le matériel roulant dit « nouvelle génération » déployé sur la ligne viendra s’y refaire une santé. Dans ces trains, les voyageurs auront le choix entre plusieurs espaces en fonction de leur temps de trajet : sièges, plateforme pour voyager debout, zone mixte… Supervisé depuis Pantin, le système de pilotage automatique NExTEO régira le tronçon central avec à la clé, une circulation accrue en heure de pointe, une vitesse record sous Paris de 120 km/h, un espacement moindre entre les trains (108 secondes contre 180 actuellement), et donc des temps de parcours réduits… L’enjeu majeur du projet est en effet le gain de temps. Fin 2024, il ne faudra ainsi pas plus de 40 minutes aux voyageurs contre 52 minutes actuellement entre Paris La Défense et Mantes-la-Jolie et dès la mi-2023, plus que 18 minutes contre 51 minutes entre Nanterre-La Folie et Rosa-Parks. La ligne la plus interconnectée d’Île-de-France sera en lien avec tous les RER, 10 lignes de métro sur 14 et les lignes 15, 16 et 18 du futur Grand Paris Express. Le reste du réseau, en particulier le RER A, délesté de 15 % de ses voyageurs entre Paris La Défense et Auber, sera soulagé.

L’enjeu majeur du projet est le gain de temps.

Bout du tunnel

D’ouest en est, le bout du tunnel se profile déjà. Depuis 2019, près de six kilomètres sur huit ont été creusés à une trentaine de mètres sous terre, sans répercussions en surface. « On n’a eu aucun tassement et aucun impact n’a été mesuré sur les bâtiments, à La Défense par exemple. Toutes nos précautions ont bien fonctionné », se félicite Xavier Gruz. Le sous-sol du quartier d’affaires, interdisait le recours au tunnelier. Depuis Nanterre, les deux premiers kilomètres ont donc été creusés à la pelle mécanique. La galerie, par endroits, se sépare en deux tubes, un par sens de circulation pour mieux se faufiler entre les réseaux et les fondations des tours. À partir du puits Gambetta à Courbevoie, le terrain appartient en revanche à Virginie. Quatre-vingts mètres de long, une roue de coupe de onze mètres de diamètre : il s’agit là du plus gros tunnelier d’Île-de-France en activité, capable « d’avaler » dix à quinze mètres par jour tout en assurant le soutènement du tunnel. Il progresse sans que le sol, sous le vide créé, ne s’écroule autour de lui grâce à un système de « pression de boues ».  Pour faire venir celles-ci et évacuer les déblais, pas de camions mais une « conduite de marinage » reliée la « base Seine » de Courbevoie, une usine installée sur les quais. La tranquillité des riverains est ainsi préservée. Après un arrêt à la Porte Maillot pour une révision complète, en juin dernier, Virginie a repris sa course en direction d’Haussmann-Saint-Lazare. Arrivée prévue début 2022. Le tunnelier reviendra alors sur ses pas pour ressortir, morceau par morceau, Porte Maillot.

Sous le Cnit, à plus de trente mètres de profondeur, prend forme une « gare cathédrale » où devraient se croiser chaque jour plus de 100 000 voyageurs. Entre les piliers monumentaux, son unique quai central fera vingt-cinq mètres de large.©CD92/Olivier Ravoire

Gare cathédrale

Comme celle de la Porte Maillot, la future gare de Paris La Défense, où se croiseront chaque jour plus de 100 000 voyageurs, sera souterraine. À l’exception de deux petites grues, rien ne transparaît en surface du chantier mené sous le Cnit, dont l’activité commerciale n’a jamais été interrompue. « J’ai l’habitude des chantiers d’infrastructures mais dans cet environnement, avec un enjeu de maintien de l’exploitation, c’est particulièrement complexe », explique Aurélie Carnel, directrice d’opérations  pour La Défense. Avec ses piliers de plus de vingt mètres de haut, la gare cathédrale se dévoile sous le dernier niveau de parking du Cnit. Dans un vacarme incessant, tous les corps de métiers s’y côtoient jour et nuit. Au centre, l’unique quai, de vingt-cinq mètres de large, est en cours d’installation « légèrement surdimensionné pour absorber les passagers du RER A en cas de perturbations ». De part et d’autre de la gare, ce quai est prolongé en tunnel sur une cinquantaine de mètres, soit un linéaire pietons total de 225 mètres en capacité d’accueillir les rames doubles. Encore couverte d’échafaudages, se dessine aussi la mezzanine qui distribuera les circulations. En contrebas, la pose de rails a été lancée en août. « Il ne s’agit plus à présent de dix chantiers côte à côte mais de chantiers dans le chantier, dans un même volume, décrit la directrice d’opérations. Les travaux ont commencé en 2016 mais on a seulement touché du doigt l’ouvrage en début d’année. Il y a un effet d’accélération assez exaltant. » Il aura fallu pas moins de quatre ans pour reprendre les 75 000 tonnes du bâtiment abrité sous le Cnit, sans venir toucher aux fondations de la célèbre voûte. Dans un premier temps, 120 piliers porteurs ont été consolidés par une jupe de béton et d’acier et des micropieux : leur partie inférieure a alors pu être retirée. Puis dans l’espace ainsi libéré soixante puits ont été creusés dans lesquels les piliers de la nouvelle gare ont été construits. Enfin une dalle de plus de deux mètres d’épaisseur a été coulée, à la fois toit de la gare et nouveau point d’appui du bâtiment au-dessus. Restait un énorme défi logistique : excaver entre ces piliers 120 000 mètres cubes de terre, soit l’équivalent de cinquante piscines olympiques ! Une étape qui aura pris un an seulement « malgré une interruption pendant le premier confinement ». L’évacuation des déblais s’est faite en partie par une faille de vingt mètres de haut, entaillant le Cnit.

Ce décaissement, né des besoins du chantier, sera partie intégrante de la future gare. Depuis la mezzanine, il mènera à une grande salle d’échange reliée à celle de Cœur Transport, offrant comme sa voisine un centre commercial. Au-delà du Cnit, la gare ramifie ses tentacules dans le sous-sol. « Elle est plus diffuse que la Porte Maillot, ce qui nécessitera deux fois plus d’escalators », indique Xavier Gruz. Deux émergences, au niveau de la Grande Arche et près de l’avenue Gambetta à Courbevoie et deux correspondances, avec le T2 et les Transiliens L et U, ainsi qu’avec le RER A, sont prévues.

Au sortir du nouveau tunnel, les trains atteindront dès la mi-2023 Nanterre-la Folie. Cette gare ouverte sur la ville joue les traits d’union entre les Terrasses de Nanterre et le futur quartier des Groues, de l’autre côté des voies.©CD92/Olivier Ravoire

Sur les rails

En 2022, la gare prendra peu à peu son aspect définitif. Si des puits le long du tracé continuent d’être utilisés, c’est par le rail qu’arrivera la plus grande partie du matériel qui va l’habiller. « Emmener de gros colis sous le Cnit pose une réelle difficulté. Jusqu’ici nous utilisions des camions, désormais ce seront des trains chargés à Nanterre. L’arrivée du ferroviaire est une étape majeure pour le projet mais aussi pour la logistique du chantier », souligne Xavier Gruz. Lancé il y a un an depuis cette même base arrière de Nanterre, la pose des rails, terminée en surface, se poursuit depuis cet été dans un environnement plus contraint, sous tunnel. « On a moins de marge de manœuvre qu’à l’air libre et il y a beaucoup d’activité dans un espace exigu : les rails, qui doivent être tirés à l’avant du chantier, les caténaires, la signalisation, la métallerie… », détaille Yohan Devautour. Quant aux « voies béton », sans ballast, ce ne sont pas les mêmes non plus qu’en surface. À proximité de la base-vie de Nanterre, les équipes se forment à ces conditions sur un gabarit école. D’ici au printemps prochain devront avoir été posés pas moins de 56 kilomètres de rails, 50 000 traverses, 240 kilomètres de câbles… ouvrant la voie aux premiers essais du RER NG. Victorieux d’innombrables défis techniques et logistiques, le chantier titanesque du premier tronçon vers l’Ouest entrera alors dans sa dernière ligne droite. 

Pauline Vinatier
www.rer-eole.fr

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