« Génétiquement, nous sommes tous cousins »

CD92/Stéphanie Gutierrez-Ortéga

Professeur en anthropologie génétique au Musée de l’Homme, Évelyne Heyer analyse et compare notre ADN pour retracer les origines et les migrations de l’homo sapiens. Son ouvrage, L’Odyssée des gènes, a reçu le prix départemental La Science se livre.

Chaque être humain hérite d’une moitié d’ADN de son père et d’une autre moitié de sa mère avec à chaque fois des mutations génétiques. Comment ces mutations permettent-elles de remonter le temps ?

EH L’ADN est une grande molécule formée d’une suite de quatre lettres appelées nucléotides. Pour chaque humain, il est composé de trois milliards de lettres organisées dans un ordre bien précis, un peu comme un livre avec des chapitres et des sous-chapitres. Votre ADN est composé de plein de bouts reçus de vos ancêtres et chaque être humain naît avec 70 nouvelles mutations génétiques par rapport à ses parents. Toutes ces différences nous permettent de remonter dans le passé car elles s’accumulent de manière proportionnelle au temps : c’est ce que l’on appelle l’horloge moléculaire. L’ADN n’a été entièrement décodé qu’en 2001 et nous a appris par exemple que l’on a 1,2 % de différence génétique avec le chimpanzé. Cela nous permet de dire que la séparation entre l’homme et le chimpanzé s’est faite il y a 7 millions d’années.

Premier enseignement de votre livre : la confirmation d’une origine géographique commune à tous les humains…

EH Effectivement le sapiens est apparu sur le continent africain il y a 200 à 300 000 ans pour ensuite migrer il y a seulement 70 000 ans. Nous possédons tous des ancêtres communs et sommes donc tous cousins au sens large du terme ! Jusqu’à il y a quelques années, on a cru que le sapiens avait émergé en Afrique de l’Est. En réalité, il n’y aurait pas un seul mais plusieurs lieux où les populations ont développé chacune leurs spécificités avant de se mélanger pour donner notre espèce actuelle.

Deuxième enseignement : le sapiens s’est mélangé avec d’autres espèces…

EH Le sapiens a bougé à un rythme plutôt lent, moins de dix kilomètres par génération en moyenne. Sur son chemin, il y a toujours eu des rencontres et des métissages avec d’autres espèces qui ont ensuite disparu comme le Neandertal ou le Denisova. Cela se retrouve dans notre génome car chacune de ces espèces en possède un qui lui est propre. Par exemple, si vous prenez quelqu’un qui vit en Europe et que vous regardez son génome par bout de 10 000 lettres, vous constaterez que 2 % de ces bouts proviennent du Neandertal.

Chaque être humain naît avec 70 nouvelles mutations génétiques par rapport à ses parents.

Nos différences physiques sont visibles et pourtant, vous expliquez que notre diversité génétique est très faible. Pourquoi ?

EH Ça a été l’une des grandes surprises de la biologie dans les années 60. Jusque-là, on voyait notre diversité génétique uniquement par le prisme de notre apparence physique mais en fait, avec les données de séquençage, on a pu constater qu’il y avait seulement un pour mille de différence génétique entre deux êtres humains et cette différence ne varie que de 5 % selon que l’on compare deux humains à l’autre bout de la planète ou deux humains du même village. Mais ces différences sont impliquées, par exemple, dans notre couleur de peau, ce qui explique cette diversité physique.

Comment la génétique peut-elle expliquer l’adaptation du sapiens aux différents climats ?

EH Une des caractéristiques de notre espèce est d’avoir un cerveau particulièrement développé qui lui permet de faire des adaptations techniques. Mais il y a aussi des adaptations génétiques. Par exemple les Inuits vivent dans le grand Nord en faisant des manteaux et du feu mais ils ont aussi des spécificités génétiques qui leur permettent de bien digérer l’omega 3, présent en grande quantité dans les mammifères marins qu’ils consomment. La couleur de la peau joue également : dans les zones à fort ensoleillement, la sélection naturelle va favoriser les peaux foncées qui protègent de certains rayons UV tandis que les zones à faible ensoleillement sont plus favorables aux peaux plus claires. Les premiers Européens étaient de couleur de peau foncée et ils le sont restés pendant assez longtemps, jusqu’à il y a environ 10 000 ans, date à laquelle se sont répandues par sélection naturelle les premières mutations génétiques pour la peau claire. Celles-ci sont arrivées à la suite d’un changement d’alimentation avec moins de vitamine D et donc un « besoin » d’avoir une couleur de  peau plus claire qui l’assimile mieux.

Quelles conséquences les brassages de populations, plus fréquents aujourd’hui, ont-ils sur notre diversité génétique ?

EH Si des personnes de populations différentes se reproduisent, cela augmente notre richesse génétique. Cette richesse est positive en termes de réponse à des maladies et à des changements, même s’il est vrai qu’avec les progrès de la médecine, cette part génétique est moins importante qu’au cours de notre histoire et qu’il est aujourd’hui moins nécessaire d’avoir « les bons gènes » pour survivre.

L’homme est-il encore amené à évoluer et dans le futur, changera-t-il encore d’apparence ?

EH La réponse d’un point de vue scientifique est oui, car l’ADN implique des mutations et donc de l’évolution. Mais savoir que l’on a chacun 70 mutations génétiques dans les 3 milliards de lettres de notre ADN par rapport à ses parents, n’est pas forcément très parlant et quand on pense « évolution » dans la vie de tous les jours, on pense à quelque chose qui se voit. Sur des échelles de temps longues, l’humanité va continuer à se modifier mais de quelle manière ? Disons qu’on ne va pas perdre nos jambes parce que l’on marche moins tout comme on ne va pas développer de sixième doigt à la main pour utiliser notre téléphone ! En revanche, à court terme, on peut imaginer que certains phénotypes, des apparences aujourd’hui rares, vont se diffuser. On peut imaginer, avec davantage de croisements génétiques, voir plus fréquemment des humains à la peau foncée et aux cheveux roux par exemple.

Promouvoir la culture scientifique

Le Département décerne chaque année les prix La Science se livre qui récompensent des ouvrages de science pour leur originalité et les qualités de transmission des connaissances auprès du grand public. Outre le prix du jury, Évelyne Heyer remporte également celui du public décerné par une cinquantaine de lecteurs alto-séquanais. Le prix adolescents a quant à lui été attribué à Mathieu Burniat et Marc-André Sélosse pour leur ouvrage Sous Terre. lascienceselivre.hauts-de-seine.fr

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