CD92/ Stéphanie Gutierrez-Ortega
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L’histoire au révélateur de l’archéologie préventive

À Poissy, sur le site du futur centre d’entraînement et de formation du Paris Saint-Germain, le service archéologique interdépartemental explore des vestiges allant du Paléolithique à l’Antiquité.

 

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Trente archéologues se côtoient sur ce chantier qui mobilise de nombreux renforts en plus des effectifs habituels.©CD92/ Stéphanie Gutierrez-Ortega

Sur le plateau écrasé de chaleur, des silhouettes sont penchées sur le sol. D’autres l’attaquent à coup de pioche dans un voile de poussière. Des packs d’eau entiers ont été amenés depuis la base-vie, installée à quelques centaines de mètres en contrebas dans des modules de chantier. Utilisant comme banquette le sondage qu’ils ont eux-mêmes creusé, deux équipiers reportent leurs observations du jour sur papier millimétré. Demain, ils creuseront plus profond et plus loin dans le passé. Aux terrasses de Poncy,  lieu hors du temps à deux pas de l’A 14, un bâtiment antique et ses dépendances – cour intérieure, bassins, thermes – se précise après des semaines de décapage mécanique, puis de fouilles à la main par le service archéologique interdépartemental (SAI 78-92). Des patriciens vivaient-ils dans cette « villa » ?  « Il est encore trop tôt pour utiliser ce terme, rectifie Guillaume Encelot qui dirige les fouilles pour la période gallo-romaine (-52 à 476 après J.-C.) et protohistorique (- 2200 à – 52 avant J.-C.). Ce qui est sûr, c’est que ce n’était pas un établissement modeste. » Placé en hauteur, non loin d’un ruisseau, c’était un parfait endroit de villégiature. À deux millénaires d’intervalle, il a séduit le Paris Saint-Germain qui prévoit, d’ici 2022, d’y installer son nouveau centre d’entraînement et de formation. Sur près de 74 hectares, à moins d’une demi-heure du parc des Princes, doivent sortir de terre dix-sept terrains de sport, des hébergements pour les joueurs et le centre de formation, un stade de 5 000 places… L’ampleur des fouilles archéologiques répond à celle de ce centre ambitieux : « On est sur près de neuf hectares, ce qui, même à l’échelle de la région, est remarquable, avec trois grandes périodes chronologiques, l’Antiquité, le Néolithique et le Paléolithique, et six secteurs de fouilles, explique Grégory Debout, responsable du SAI 78-92, Ce chantier est une aventure en soi. »

La fouille est physique. Pour préserver les vestiges, les archéologues doivent pratiquer certains sondages à la force du poignet.©CD92/ Stéphanie Gutierrez-Ortega

Archives du sol

Le sol est sec, décharné et griffé tous les trente mètres par les tranchées du diagnostic effectué deux ans plus tôt. Lors de cette première étape, sur une surface de 55 hectares,  les archéologues ont ouvert 10 % du terrain, mettant au jour les premiers vestiges. « On sait très bien qu’en Île-de-France, dès qu’on fouille à côté des cours d’eau, il y a de la vie. À proximité, il y avait déjà une maladrerie du XIIe siècle. On s’attendait donc à des découvertes », réagit Jamal Riffi, directeur immobilier du Paris-Saint-Germain. Dès le dépôt du permis de construire, le club avait saisi le préfet de région pour savoir si un diagnostic devait être réalisé. « La meilleure façon de s’intégrer sur un territoire, c’est de respecter ce qui était présent sur place », poursuit Jamal Riffi. Les résultats du diagnostic appelaient des fouilles dans le secteur le plus dense en vestiges. Sur neuf hectares, le sol est cette fois ouvert intégralement. Habilité sur une large période allant du Paléolithique à l’époque moderne, le SAI 78-92 s’est vu confier cette nouvelle phase dans la continuité du diagnostic.  C’est la deuxième fouille qu’il opère à Poissy après celle menée dans le centre-ville en 2017 sur des vestiges du Moyen-Âge. « Nous sommes là pour sauvegarder par l’étude un patrimoine autrement voué à disparaître. On constitue en quelque sorte les archives du sol, explique Grégory Debout Cette étape zéro du chantier est bien intégrée par les aménageurs. » « Le calendrier prend en compte la fouille. On opère en co-activité, dès qu’ils ont fini une zone, on fait en sorte de la récupérer », assure de son côté le PSG.

Chaque découverte est méticuleusement étiquetée. En phase d’étude, il s’agit de pouvoir la replacer dans son contexte.©CD92/ Stéphanie Gutierrez-Ortega

Expédition de chasse

L’homme de Néandertal, seul à vivre dans ces contrées au Paléolithique moyen (– 300 000 à – 40 000), y a laissé sa signature en milliers d’exemplaires sous une épaisse couche de poussière jaune, le lœss, déposée par l’avancée des glaciers : quatre mille silex taillés par ses soins. « C’est conforme aux prescriptions du diagnostic, au cours duquel nous avions retrouvé des vestiges lithiques mais très peu d’éléments bâtis car ces hommes étaient des chasseurs cueilleurs et menaient une vie itinérante », explique Mathieu Leroyer, responsable d’opérations pour le Paléolithique. « La matière n’était pas disponible sur place, ce qui exclut la possibilité d’un atelier de taille de pierre. Il s’agit vraisemblablement d’un lieu de découpe bouchère en lien avec une expédition de chasse. » Des circuits courts de l’époque préhistorique en quelque sorte ! De part et d’autre du ruisseau doivent encore être explorés des vestiges du belloisien et du magdalénien, deux cultures du Paléolithique supérieur (- 40 000 à – 10 000). Sédentaire, l’époque gallo-romaine a laissé davantage de traces. Sur le sol décapé, tels des « négatifs », affleurent d’anciennes structures comblées au fil du temps, trahies par des teintes plus claires ou plus sombres : trous de poteaux, fossés ou encore cette « banale » fosse circulaire. « Dès que nous rencontrons ce genre d’anomalie, nous la testons, en creusant manuellement ou à la pelleteuse. La coupe permet d’observer le profil, les différentes étapes de remplissage », explique Caroline Bustos, spécialiste de la période antique. Piégées dans ces dépotoirs, les céramiques, dont la décoration variait avec la mode, sont un bon outil de datation. Repéré grâce à des traces noirâtres traversées de poches de chaux, un four, qui devait servir « à fabriquer du mortier pour la construction des bâtiments » doit faire l’objet d’analyses plus approfondies. De la grande maison et des thermes ne subsistent que d’épaisses fondations, les blocs de calcaire des murs ayant été pillés. « Cette récupération peut intervenir tôt dans l’histoire d’un site », explique l’archéologue pour qui ces murs fantômes dont les orientations restent lisibles par les traces de maçonnerie, sont une information en soi. « Nous essayons de comprendre à quel moment le mur a disparu mais aussi s’il a été construit avant ou après tel autre. Les premières analyses montrent déjà deux grandes phases d’occupation ». Rivalisant avec les chardons, d’innombrables étiquettes marquent chacun de ces « faits archéologiques », ensuite photographiés et topographiés. Ils ne peuvent pas être transportés en laboratoire et ces relevés sont donc essentiels.

À partir de relevés de terrain, la photogrammétrie fournit une restitution en 3D des structures pour en conserver une trace pérenne.©CD92/ Stéphanie Gutierrez-Ortega
Des milliers de tessons sont lavés et triés avant d’être étudiés. Destinés à être exposés, certains objets sont entièrement remontés.©CD92/ Stéphanie Gutierrez-Ortega
Cette monnaie où figure l’empereur romain Vespasien donne des indications de datation.©CD92/ Stéphanie Gutierrez-Ortega
La radiographie permet d’examiner sans les abîmer certains objets en métal.©CD92/ Stéphanie Gutierrez-Ortega

Puzzles compliqués

Restauratrice d’objets archéologiques, Silvia Païn travaille à reconstituer les ensembles de tessons et à consolider certaines pièces délicates. Pour les expositions, elle les remonte : « Je fais des puzzles, résume-t-elle, des puzzles compliqués auxquels il manque de nombreuses pièces. » Dans son laboratoire au siège du SAI 78-92 à Montigny-le-Bretonneux, des caisses remplies de tessons de toutes les couleurs côtoient des flacons de solvants, des tuyaux biscornus, aspirateurs de poussière, un microscope et même un appareil de radiographie où patiente une fibule (agrafe qui servait à attacher les vêtements) rendue méconnaissable par la corrosion. L’examen révélera « sa forme réelle et la quantité de métal qu’elle contient ». Dans ces locaux modernes, où le SAI 78-92 côtoie les archives départementales des Yvelines et le service du Patrimoine, nos archéologues passent des journées studieuses. « Pour une journée sur le terrain, ce sont des centaines de tessons, plusieurs journées de lavage, d’inventaire puis de recherche », explique Guillaume Encelot devant les restes d’une vie quotidienne deux fois millénaire : graines, rejets de boucherie, tessons de tuiles, de mortiers culinaires, de cruches et de pots, « casseroles de l’époque ». Ce mobilier doit être replacé dans son contexte, tout comme les structures, dont les logiciels de photogrammétrie, désormais généralisés, facilitent, par leur précision, la remise sur plan : « Savoir qu’il y avait une occupation ne suffit pas. On va chercher à connaître la polarisation, urbaine ou rurale, le statut des occupants, l’évolution dans le temps, les interactions avec l’environnement ainsi qu’avec les réseaux commerciaux… ». Qu’en était-il au Poncy ? Qui prenait l’air dans la cour de cette maison romaine, qui se délassait dans les thermes ? Quelques découvertes comme cette touillette en verre « montrent un certain soin des occupants. Toutefois quelqu’un pourrait tout à fait avoir économisé pour s’offrir un de ces objets ». Quant au fragment d’enduit bleu, obtenu à partir de lapis lazuli d’importation lointaine, qui tranche avec les enduits rouges, « très répandus dans le monde romain », on ignore encore « s’il provient d’un simple panneau ou d’un ensemble de décors ». Moins « jolis », des morceaux d’amphores vinaires remontant à la période gauloise, antérieure, interpellent également. « Pour réduire en morceaux quelque chose d’aussi épais, il a fallu que cela soit volontaire, c’était sans doute lié à une activité funéraire ou cultuelle » explique le protohistorien à propos de « ce phénomène encore peu documenté ». Dans cette enquête au long cours, chaque découverte soulève autant de questions qu’elle amène de réponses. « Tout le monde est capable de creuser le sol mais interpréter les faits est plus difficile. C’est un travail minutieux, chaque spécialiste est à l’affût du moindre indice pour étayer de nouvelles hypothèses », explique Caroline Bustos. Ce n’est que cet hiver, une fois le chantier refermé, que les archéologues pourront vraiment prendre du recul sur leurs trouvailles. Commencera alors une longue phase d’étude  – deux ans en moyenne -, jusqu’à la remise du rapport final, enrichi de photographies, de plans et de dessins, synthèse d’un an de chantier hors norme pour le SAI 78-92. 

Pauline Vinatier

 

Journées du Patrimoine

Poissy a connu de multiples occupations à travers les âges. Deux fouilles préventives y ont déjà eu lieu : en 2017 dans le centre-ville et depuis 2019 aux Terrasses de Poncy. Les 19 et 20 septembre, sous réserve des conditions sanitaires, une exposition autour de ces deux chantiers sera proposé sur le site de Poissy. 
Renseignements sur www.epi78-92.fr/larcheologie

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