Face à leur salle de classe, les élémentaires pourront bientôt cultiver leur potager, sur ce balcon jardiné.
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LA NATURE, UNE ÉCOLE DE PROXIMITÉ

L’École des sciences et de la biodiversité de Boulogne-Billancourt accueille maternelles et élémentaires dans un écrin de verdure. Un mariage de raison, entre nature et éducation.

Après avoir batifolé dans le petit bois, Yunes et Mila s’approchent d’une touffe d’arbustes, plantée à l’angle d’un sentier étroit. Les deux élèves de CP, vite entourés de leurs petits camarades, pincent trois ou quatre aiguilles de romarin, qu’ils écrabouillent du bout des doigts pour les faire suer, en extraire les senteurs renfermées. « Savez-vous ce que c’est ? », interroge Cécile Montosse-Espinasse, la directrice de leur école, qui guide la petite troupe dans cette découverte des goûts et des odeurs du potager. Concentré, Yunes étrécit ses paupières et flaire la maigre bouillie d’aromates, aux effluves camphrés : « Mais cela sent drôlement fort ! », clame-t-il, médusé. Une fois la plante identifiée, c’est au tour de la  lavande, puis de la sauge des prés, de nourrir ce loto des odeurs improvisé. Cet atelier aux faux airs d’école buissonnière se déroule dans un écrin un peu particulier : le toit de l’École des sciences et de la biodiversité. De l’extérieur, ce trésor caché dans « les hauteurs » de Boulogne-Billancourt, ne laisse rien paraître à la vue des passants, qui remarquent seulement sur son flanc sa « façade habitée ». Son mur d’enceinte est un enchevêtrement de mégalithes de béton, laissés brut de décoffrage, dont les arases creusées de rigoles font les affaires des sédums et des campanules qui s’agrippent à ces corniches aux recoins compliqués. Mésanges bleues et charbonnières y donnent volontiers des coups de bec, à la recherche d’un insecte. Avec le rougequeue noir, ces passereaux bigarrés aiment y nicher, blottis dans les anfractuosités.

Assistée d’une artiste peintre, chaque classe a réalisé un tableau, à l’effigie de la faune ou de la flore de son école.©CD92/Julia Brechler

Un écosystème sans équivalent

Confondu dans la densité urbaine, le bâtiment de 6 700 mètres carrés, qui accueille quinze classes maternelles et élémentaires, renferme surtout, au sommet de ces murs, un sanctuaire de la nature : un petit bois haut perché, entouré d’opulentes pelouses et prairies, que les écoliers peuvent arpenter accompagnés, sur les temps de vacances et de récré. « C’est un véritable laboratoire du vivant, raconte Aurélien Huguet, l’écologue chargé de préserver et développer cet écosystème complet. La biodiversité y est étonnante, je ne lui connais d’ailleurs pas d’équivalent ». Il faut dire, ce projet du génie écologique, appliqué à l’architecture, est presque unique en France. Imaginée par la ville de Boulogne-Billancourt et la SPL Val de Seine, une société d’aménagement soutenue par le Département, cette école urbaine d’un nouveau genre est dotée de tous les équipements que l’on peut attendre d’un établissement scolaire, sorti de terre il y a un peu moins de dix ans. Afin de créer un relai au biotope environnant, le choix avait été fait, lors de sa conception, de végétaliser sa toiture, la transformant en un parc étagé reliant ses différents espaces au moyen de pentes herbacées. Le poids supplémentaire exercé sur la structure résume à lui seul ce défi architectural, qui devait métamorphoser cette ancienne friche des usines Renault, de Billancourt. « C’était aussi un pari écologique, se souvient Aurélien Huguet. Pour plus d’authenticité, seules des espèces indigènes au bassin parisien ont été transplantées. Tout a dû être pensé pour faciliter la colonisation spontanée du site, qui ne bénéficie évidemment pas du même potentiel qu’un espace de pleine terre ».

Seules des espèces indigènes au bassin parisien ont été transplantées

Choux et carottes

La toiture offre des profondeurs de substrat variant de 30 à 150 centimètres. Suffisant, pour développer une diversité d’habitats et ériger une petite forêt d’érables champêtres, de charmes, de merisiers et de tilleuls à petites feuilles. Le bosquet borde une ligne d’aubépines, qui protège son sous-bois des bourrasques, à quatorze mètres d’altitude ! Étalée sur cinq années, une campagne de suivi de la biodiversité a permis de répertorier 345 espèces de la faune et de la flore, fréquentant régulièrement le site. « Personne ne s’attendait à un tel chiffre, souligne l’écologue, appuyé d’experts pour réaliser l’inventaire. Mais certaines de ces espèces ne sont que de passage, il faut donc pousser un peu plus loin ce travail de renaturation, pour espérer accroître la colonisation ». Porté par cette volonté d’accompagner la dynamique des habitats, une refonte générale des espaces extérieurs est donc en cours de réalisation. Relié par des portes-fenêtres aux classes d’élémentaires, les balcons en coursive, déjà partiellement labourés, s’apprêtent à accueillir des carrés potagers, où les poupons pourront cultiver leurs choux et carottes. Sur le toit, un  alignement de lilas assurera la liaison avec une succession de chemins de clairière, remontant jusqu’au petit bois, bientôt arrosé au goutte-à-goutte, et où les espaces d’observation seront délimités par des ganivelles, pour décourager toute intrusion. « Ici, c’est un peu mon jardin, confie Mila, élue éco-déléguée de sa classe. Moi, j’y prête attention, malheureusement, ce n’est pas forcément le cas de tout le monde… ».

Percée de trous d’envol, la façade abrite de nombreux oiseaux cavicoles.©CD92/Julia Brechler

La nature pour tous

Dans son esprit, le souvenir est encore frais de cette veille de la fête des Mères, où dans l’espoir de composer un joli bouquet, quelques fripons venus de l’extérieur avaient, au fil de leur cueillette sauvage, presque ratiboisé toutes les fleurs. Bien que le parc n’ait pas vocation à se faire musée, apprendre dès le plus jeune âge à protéger le vivant est un peu la vocation de cette école à missions. « Ce parc est le socle de notre projet pédagogique, qui oriente l’apprentissage des sciences autour du développement durable et des économies d’énergie. Partout cette nature infuse : même des brindilles récoltées sur le toit remplacent les traditionnels bouliers en bois !, sourit sa directrice. Un bagage scientifique est d’ailleurs requis pour enseigner dans cette École, qui recrute sur entretien et lettre de motivation, afin de garantir la meilleure transmission ». Confection de nichoirs, fabrication d’hôtels à insectes, visites d’expositions à la Maison de la Planète… En parallèle des cours, c’est tout un florilège de sorties scolaires et d’ateliers participatifs qui éveillent les jeunes consciences aux trésors de l’environnement et de leur toit. « L’idée est que cette sensibilisation à la nature se diffuse au-delà des frontières de l’école, jusque dans les familles », précise la directrice, qui invente des animations où associer les parents, et pourquoi pas bientôt « une visite nocturne du parc », avec les beaux jours devant soi… Cet établissement public de secteur n’accorde que 5 % à 10 % de dérogations par an. « Nous restons une école de proximité, qui accueille des élèves de tous horizons sociaux, souligne Cécile Montosse-Espinasse. Et notre rôle est d’y garantir un éveil à la nature pour tous, en semant ça et là des petites graines. » En espérant qu’elles germent… 

Nicolas Gomont

 
 

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