Le groupe scolaire LaVallée incorporera des terres de chantiers voisins et des gravats issus de l’École centrale. © Ville de Châtenay-Malabry
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Le cercle vertueux de l’écoquartier LaVallée

À Châtenay-Malabry, les premières constructions du nouvel écoquartier sont réalisées avec les gravats de l’École centrale recyclés sur place. L’aboutissement d’une démarche circulaire initiée par la ville.

Les premiers logements seront réalisés avec un béton 30% recyclé.© Ville de Châtenay-Malabry
 

Des ouvriers s’activent dans les fondations derrière des palissades de chantier. Une opération comme tant d’autres en région parisienne ? Pas vraiment, car LaVallée,  qui doit son nom à Alphonse Lavallée, fondateur de l’école d’ingénieurs installée à Châtenay-Malabry pendant près de cinquante ans, sort en bien des points de l’ordinaire. Pour reconvertir cette friche de pas moins de vingt hectares après le départ des étudiants pour Saclay, la ville a créé une société d’économie mixte à opération unique – une première en France pour une opération d’aménagement urbain – à laquelle prennent part la Caisse des dépôts et consignations et la société Eiffage Aménagement, choisie après appel d’offres en tant qu’aménageur. Outre ses 2 200 logements, LaVallée, ouverte sur le reste de la ville et connectée aux transports – A 86, tramway T 10 – sera un quartier à part entière avec une trentaine de commerces, le siège social de Lidl France, ainsi que de nombreux équipements publics – groupe scolaire, crèche, collège… « À l’image de notre ville-parc, la nature aura une place privilégiée à LaVallée avec sept hectares d’espaces paysagers, une ferme urbaine d’un hectare, une promenade plantée qui reliera le parc de Sceaux à La Coulée verte, des cœurs d’îlots verts  sources de fraîcheur… Tous les Châtenaisiens auront accès à ces nouveaux espaces publics », explique le maire Carl Segaud. La volonté de la ville a été de mettre l’accent dès la phase de construction sur l’économie circulaire. Aux alentours de la centrale à béton qui vient d’entrer en fonctionnement, de hautes dunes de granulats grises ou beiges, selon leur composition, témoignent de cette démarche commencée il y a deux ans. Elles sont issues de la démolition des trente-cinq bâtiments de l’École Centrale et serviront à élaborer un béton partiellement recyclé pour les sept cent quinze premiers logements. « On retrouve presque le caillou d’origine, apprécie Julien Sarthe, directeur du programme pour Eiffage Aménagement, en faisant rouler un échantillon entre ses doigts, C’est du travail d’orfèvre, un matériau final normé, testé, et validé ! » Un cycle vertueux qui « contribue à réduire les émissions de gaz à effet de serre et les déchets », explique de son côté la municipalité.

Du déchet à la ressource

Avec sa superficie, LaVallée offre la bonne échelle pour une telle démonstration. « Aujourd’hui, quand on démarre un chantier, il est rare d’avoir un terrain complétement vierge. Quand on déconstruit de gros bâtiments, plutôt que de penser que c’est un déchet, on pourrait les voir comme une ressource », estime Franck Faucheux, du groupe Eiffage. Au temps des « bilans environnementaux », à l’heure où les carrières se raréfient en Île-de-France et où les coûts de transports augmentent, penser « circulaire » prend tout son sens pour les aménageurs. Mais le process pour sortir un minimum de matériaux du site, en évitant la mise à la décharge pour les autres, restait à inventer. Lors d’une première phase, le bâtiment a ainsi été débarrassé de ses éléments les plus superficiels, les entreprises étant incitées par un système de primes à trouver des filières de valorisation. Un « changement de mentalité » pour celles qui d’ordinaire « démolissent, bennent et partent ». Parallèlement, une jeune association, RéaVie, investissait les lieux. « RéaVie a été créé en 2017 par deux amis conducteurs de travaux qui ont voulu mettre fin au gaspillage. Lors des mises aux normes, ils restaient souvent avec des équipements sur les bras comme des lavabos ou des luminaires », raconte Émilie Boutounet, qui a passé de longs week-ends sur le site avec d’autres bénévoles à déposer des matériaux hétéroclites : poignées de portes, robinets, prises, radiateurs, et même les sièges et pupitres de sept amphithéâtres, envoyés par la suite dans une université au Sénégal ! Au total cent vingt tonnes de matériaux auront été déposées, reconditionnées et revendues à très bon marché à des associations et sur place dans une plateforme-boutique employant des Châtenaisiens en insertion. La base-vie du chantier, dans un ancien gymnase, en est aussi équipée. « Cette première plateforme à Châtenay nous a permis de rôder notre modèle », estime aujourd’hui Émilie Boutounet. Ce n’est qu’une fois ce déshabillage des bâtiments opéré que le recyclage des gravats de la démolition a pu commencer. Les morceaux de béton ont été successivement déferraillés, broyés, et enfin concassés en trois « coupures » prêtes à l’emploi. « Si on voulait un béton conforme à la fin, il fallait que cette phase soit très qualitative. Et en même temps il fallait ne pas gêner les riverains, qui avaient déjà eu à proximité plusieurs gros chantiers », raconte Julien Sarthe. Pour « concilier démarche de développement durable et réduction des nuisances », des capteurs de bruits et brumisateurs, limitant les émanations de poussière, ont été installés. « Recycler sur place les bétons a permis d’éviter 6 000 camions pour l’évacuation et l’approvisionnement : un avantage pour les riverains et un gain pour l’environnement puisque 600 tonnes de CO2 ont été économisées », souligne Carl Segaud.

Ces robinets, déposés lors de la déconstruction, connaîtront une seconde vie.© CD92/Olivier Ravoire

Laboratoire à ciel ouvert

Sans attendre, la moitié de cette récolte de granulats a été déjà incorporée dans les voiries du nouveau quartier. Si cette pratique commence à se répandre dans le monde de la construction, LaVallée est par contre l’un des rares projets immobilier de grande ampleur ayant recours au béton recyclé pour la construction d’immeubles d’habitation. « Alors qu’il y a déjà une norme à 30 %, le béton recyclé est encore perçu comme un béton d’occasion, il y a un frein culturel », constate Franck Faucheux. Pour pousser plus loin encore la démonstration, Eiffage s’est donné pour objectif la réalisation d’un élément de bâti en 100 % recyclé et s’est pour cela entouré de scientifiques qui bénéficient de leur côté d’un terrain d’expérimentation à grande échelle. Jean-Michel Torrenti, responsable du département matériaux et structures à l’université Gustave-Eiffel de Marne-la-Vallée coordonne ces travaux : « Le béton recyclé et la minimisation des impacts CO2 sont des sujets majeurs au sein de la communauté scientifique et la gestion des émissions de CO2 la préoccupation n°1 des industriels du béton qui anticipent une évolution des quotas européens sur les émissions de carbone ». Utilisant par ailleurs ces granulats comme puits de carbone, les chercheurs tentent d’accélérer un phénomène naturel, mais très lent : la recarbonatation du béton. Lors de la fabrication du ciment, « le calcaire qu’il contient est chauffé, ce qui provoque une émission de CO2. Si on laisse le béton (constitué en partie de ciment, NDLR) au contact de l’air, il va réintégrer ce carbone ». Cinq tonnes de cailloux châtenaisiens, encore enrobés d’une poussière de ciment, ont ainsi pris le chemin du site de recyclage de Clamens, en Seine-et-Marne, pour des tests à grande échelle tandis que d’autres sont scrutés à Marne-la-Vallée. Combinés à d’autres recherches, comme les programmes nationaux Recybéton ou Fastcarb, ces expérimentations qui s’accompagnent d’une étude sur la modélisation des flux du chantier pourraient ouvrir la voie à une évolution de la norme et des pratiques dans le bâtiment. LaVallée ne limitant pas son horizon au monde du BTP, ces recherches lancées avec le démarrage du chantier s’insèrent elles-mêmes dans un vaste partenariat sur trois ans baptisé E3S, entre Eiffage et le pôle de recherche universitaire « I-site future », regroupant Gustave-Eiffel et l’École des Ponts Paris Tech. Aucun champ n’est laissé de côté et une soixantaine de chercheurs mobilisés dans des domaines aussi variés que la gestion de l’eau, la voirie, la santé et bien-être, la data et même l’histoire et la littérature pour mettre en mots la reconversion du site. « Cette transdisciplinarité est hors norme », conclut Jean-Michel Torrenti.

Concassés, ces résidus de béton sont devenus une ressource.© CD92/Julia Brechler
Un partenariat scientifique vise à doter LaVallée d’un élément en béton 100 % recyclé.© Université Gustave Eiffel

Des constructions bas carbone

Autre exigence de la ville pour tous les bâtiments de LaVallée : le bas carbone. Côté logements, la seconde tranche devrait ainsi faire la part belle aux matériaux biosourcés et la troisième aux constructions mixtes bois et béton. Le siège de Lidl France ou encore le collège dont les travaux démarreront en 2023, respecteront aussi ce cahier des charges. Ce dernier visera un objectif dit « E3C1 », 40 % plus sobre en énergie que la norme actuelle et bas carbone grâce au recours au biosourcé, au bois et à un béton décarboné. Pour l’ensemble de cette démarche, le projet a déjà reçu le prix de l’innovation interdépartemental Hauts-de-Seine/Yvelines et a été distingué dans le cadre du dispositif de la Région « 100 quartiers innovants et écologiques ». Prochaine étape début 2021 avec le lancement de la construction d’un groupe scolaire particulièrement innovant associant matériaux biosourcés et économie circulaire : structure porteuse en bois, façades en béton de chaux, cloisons terre-chanvre. Des procédés réalisés avec des terres, gravats et sables issus, là encore, majoritairement du site.

Pauline Vinatier

 
 
 

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