© CD92/Olivier Ravoire
Posté dans Société

Le Papotin met l’autisme à la une

Créé il y a trente ans à l’hôpital de jour d’Antony, Le Papotin est un journal fait par – mais pas forcément pour – des personnes atteintes de troubles autistiques.

Chacun peut préparer un texte à l’avance qu’il lit ensuite devant les autres ou bien improviser sur le sujet de son choix.©CD92/Olivier Ravoire

La conférence de rédaction fait salle comble, comme tous les mercredis. Dans la salle atypique de la Mission bretonne, dans le 14e arrondissement de Paris, une soixantaine de personnes attendent, prêtes à venir déclamer leurs textes ou simplement faire une intervention spontanée. Bienvenue au Papotin, un journal pas comme les autres puisque depuis maintenant trente ans, il est réalisé par des personnes atteintes de troubles autistiques.

Sous les affiches des annonces de fest-noz et autres concerts de bagadoù, la majorité de la réunion du jour est consacrée au voyage en République dominicaine réalisé la semaine précédente par huit journalistes et leurs accompagnateurs. Un périple sur les traces de Christophe Colomb qui fera l’objet d’une restitution lors du festival du Futur Composé qui aura lieu en juin sur le thème de la découverte du Nouveau Monde. Au fil des années, le journal a su tisser des liens avec d’autres institutions comme ce festival avec ses projets qui associent artistes, travailleurs sociaux et jeunes gens ou adultes avec autisme accueillis dans des institutions spécialisées, la Maison des Métallos qui leur permet d’aller voir des pièces ou le théâtre du Rond-Point.

Lors de cette semaine de travail au soleil, le groupe a pu contempler les reliques présumées de l’explorateur. Fidèles à leur déontologie journalistique, certains n’hésitent pas à croiser leurs sources. Plein d’assurance, le phrasé chantant, Stan se lance. « C’était un voyage très intéressant car je savais juste de Christophe Colomb qu’il avait découvert l’Amérique. Mais je ne sais pas si l’ancre du Santa Marìa (le bateau de l’explorateur, NDLR) que l’on a vue était la vraie car en faisant mes recherches, j’ai appris qu’il en existait une autre et j’ai trouvé ça bizarre. » Le jeune homme, en IME (Institut médico-éducatif) à Bourg-la-Reine, a intégré la rédaction du Papotin il y a environ cinq ans. « C’est vraiment un endroit de liberté où l’on peut exprimer ce que l’on veut, tous les délires que l’on écrit et tout ce qui nous passe par la tête. »

C’est l’une des premières marques de fabrique de la rédaction : ici, l’art de la digression a pratiquement été érigé en règle. En une heure et demie, on passe des Antilles aux pigeons, de Disneyland aux grèves, de la mythologie grecque au Livre de la jungle. Cathy a préparé un billet sur les gilets jaunes, Maxime, lui, parle d’un voyage en hélicoptère, Sébastien dessine Christophe Colomb sous les traits d’une… colombe qui découvre l’Amérique. On ne se coupe pas la parole mais on s’applaudit, on rit, on échange, on rebondit sur ce que dit l’autre. « On laisse la place à une parole différente et on ne cherche pas à les faire entrer dans un moule, résume Julien Bancilhon, psychologue à l’hôpital de jour d’Antony et rédacteur en chef depuis janvier 2019. L’idée est de s’ouvrir sur l’extérieur, dans un cadre valorisant, tout en conservant sa singularité. » Pendant les conférences de rédaction du mercredi, le groupe peut également accueillir un invité qui accepte de passer sous le feu des questions. La semaine dernière, c’était la comédienne Nicole Genovese, dont la pièce Hélas a été vue par les rédacteurs. « On l’a interviewée pour son spectacle, résume Tristan. On a bien rigolé, c’était trop marrant ! » Le jeune homme part ensuite en fou rire en racontant quelques scènes. « Je ne t’ai jamais entendu aussi bavard qu’aujourd’hui depuis que tu es au Papotin », remarque Julien Bancilhon.

Au programme du jour, le compte rendu du voyage en République dominicaine sur les traces de Christophe Colomb qui fera l’objet d’un article dans le 38e numéro du Papotin.©CD92/Olivier Ravoire
Pas de magazine sans un rédacteur en chef. Psychologue de formation, Julien Bancilhon coordonne la publication depuis un peu plus d’un an.©CD92/Olivier Ravoire

Interdit aux psys

La recette fait mouche depuis près de trente ans et la parution du premier numéro, en mai 1990. À l’époque, la rédaction est installée au cœur même de l’hôpital de jour d’Antony, dans lequel elle restera près de dix ans. C’est étonnamment un enseignant de formation, Driss El Kesri, qui est à l’origine de ce projet. « À l’époque, on essayait de trouver des activités auxquelles les jeunes pouvaient s’inscrire à plusieurs. Nous avions remarqué que lorsque l’on sortait, les troubles du comportement des personnes autistes disparaissaient et le monde extérieur devenait thérapeutique. Enfin de par ma formation, j’étais sensible à l’expression, à la manière que chacun avait de communiquer. » Ainsi est né Le Papotin, un lieu ouvert à tous, y compris à ceux qui ne savent ni lire ni écrire. « L’idée était de ne pas faire de casting. La disparité des journalistes, c’est ce qui fait sa force, poursuit le fondateur, qui ne veut pas non plus faire de sa création un outil uniquement médical. La thérapie ne m’intéressait pas, il y en avait déjà suffisamment à l’hôpital de jour. Notre préoccupation était l’inclusion sociale. Pendant un moment, Le Papotin était même interdit aux psys ! » Une fois créé, ne restait plus qu’à faire sauter quelques verrous encore tenaces : avoir les autorisations pour faire sortir les jeunes, convaincre les éducateurs… « Mais une fois le premier numéro sorti, plein de personnes se sont montrées intéressées. »

Depuis, la rédaction a changé plusieurs fois de lieu, passant d’Antony au théâtre du Lucernaire à Paris pendant quinze ans puis la Maison des Métallos avant de trouver refuge aujourd’hui dans le 14e arrondissement. Aujourd’hui, une dizaine de structures de toute la région sont entrées dans le dispositif, formant ainsi un noyau solidaire d’éducateurs et de travailleurs sociaux. « C’est l’occasion pour nous d’entretenir un réseau qui existe depuis de nombreuses années, explique Mathieu Marmont, chef de service à l’IME alternance Paris, qui amène toutes les semaines quatre journalistes âgés de seize à vingt-deux ans. Le Papotin fait partie de notre planning, au même titre que les activités cognitives, sportives et artistiques. On les encourage à parler de ce qu’ils veulent mais l’essentiel, c’est les liens qu’ils créent avec les autres. Même quand ils changent de structure, on essaie de faire en sorte qu’ils continuent à venir ici. » Dans le groupe, il y a également des électrons libres qui arrivent chaque mercredi par leurs propres moyens. C’est le cas par exemple de Valentin, au Papotin depuis maintenant deux ans, et qui fait partie de la troupe des « Turbulents », une compagnie de recherche théâtrale avec des personnes autistes située dans le 17e arrondissement de Paris. Cet acteur en herbe a récemment fait ses débuts comme figurant, « habillé tout en blanc », dans le film Hors normes du duo Toledano-Nakache sorti l’an dernier, une plongée dans le monde de l’autisme et des éducateurs.

Près d’une dizaine de structures participent au Papotin, avec notamment des personnes atteintes de troubles autistiques issues de l’hôpital de jour et du foyer Alternote à Antony.©CD92/Olivier Ravoire

Questions décalées

L’autre marque de fabrique du Papotin, c’est la liste impressionnante de célébrités interviewées par ses journalistes. « Nous avons essayé d’aller vers des sujets d’adultes, note Driss El Kesri. C’est pour cela que ce n’est pas un magazine institutionnel mais plutôt ouvert vers l’extérieur. Soit on faisait ça, soit on ne faisait rien. Ce n’est pas un semblant de journal. » Leïla Bekhti, Anne Hidalgo, Matthieu Chedid… dans un coin, Raphaël égrène les noms des personnalités qu’il a rencontrées au gré de ses aventures. « On leur parle de l’autisme, de la manière dont il est perçu mais on pose aussi des questions musicales, sur ce qui les rend heureux sur scène… », se souvient celui qui joue également au sein du groupe Percujam, au foyer d’accueil médicalisé Alternote à Antony. Marc Lavoine, Julien Clerc et même Zinedine Zidane : tous ont eu leur page dans Le Papotin. « Le contenu de ces interviews est magique avec des questions parfois décalées et toujours hétéroclites, confie Julien Bancilhon. Par exemple, l’interview de Vincent Cassel a tourné autour de la voix et du doublage et lui-même en était assez étonné. Ils savent également poser des questions plus sérieuses sur le handicap quand ils interrogent des politiques. On trouve des choses très poignantes à côté d’autres, plus légères. »

Depuis 1990, trente-sept numéros sont sortis, à un rythme irrégulier. Mais le contenu du journal, lui, ne change pas : un mélange d’interviews et de textes personnels, le tout illustré par des photographes professionnels. « Certains des membres ne savent pas lire et s’intéressent plus aux photos, alors on fait en sorte que celles-ci soient de qualité », indique Julien Bancilhon. Les pages sont alimentées au fur et à mesure par les conférences de rédaction qui sont toutes filmées puis retranscrites par un groupe de bénévoles avant une sélection pour l’édition papier. Le numéro 38 est d’ores et déjà sur les rails. « Ce qui est génial, se réjouit Driss El Kesri, c’est que le journal s’est banalisé et continue sans ceux qui l’ont créé. » Le temps passe, mais Le Papotin subsiste et se renouvelle. n

Mélanie Le Beller
www.lepapotin.org

Les commentaires sont fermés.