Le nouveau parcours chemine le long des immeubles de la ZAC, passe entre les portiques des ponts roulants, puis longe les bâtiments d’usine réhabilités. CD92/Julia Brechler
Posté dans Aménagement

LE PARC DU CHEMIN DE L’ÎLE OU LA SEINE RETROUVÉE

Le dernier-né des grands parcs départementaux, ouvert en 2006, gagne deux hectares à la faveur du réaménagement de la friche des Papeteries de Nanterre. Sur cette coulée verte comme partout ailleurs dans le parc, la nature et le paysage ne font qu’un et le fleuve est au bout du chemin.

La promenade bleue qui traverse le parc donne sur les rives luxuriantes de l’Île fleurie, réservoir de biodiversité.© CD92/Julia Brechler

Le paysage défile comme dans une machine à remonter le temps. Après les bureaux tout juste sortis de terre viennent les vestiges d’un siècle d’industrie du papier. En ligne de mire, l’île fleurie et sa masse boisée, promesse d’un ailleurs sauvage. Le terrain a été remodelé avec des déblais du chantier de la Zac des Papeteries, puis nappé d’une couche de terre végétale et replanté. Les cent cinquante arbres et le millier d’arbustes auront le temps pour eux. Depuis près de vingt ans, il n’y a qu’à voir l’envergure des saules entre ses bassins, le parc originel né d’une friche voisine a prospéré. Avec cette nouvelle coulée verte, son centre de gravité s’apprête à changer : « La plupart des visiteurs arrivaient jusqu’à présent par l’avenue Hoche, explique Arnaud Khau Van Kien, l’un des gestionnaires. Cette nouvelle entrée devrait nous amener des salariés de l’Arboretum à l’heure du déjeuner (l’ensemble de bureaux mitoyen, Ndlr.) puis grâce au bouche-à-oreille des visiteurs venus d’autres quartiers. » 

Chacun peut choisir sa rive, celles de la rivière intérieure ou celle de la Seine.

Circuit de l’eau

Sur le parvis menant au fleuve, par-delà les cris des enfants et le grondement intermittent du RER, un murmure continu émane du sous-sol : l’eau façonne le parc, aussi nécessaire à la biodiversité qu’au paysage. Puisée dans la Seine par un réseau de vis d’Archimède, elle remonte jusqu’à un point haut de l’esplanade puis s’écoule en sens inverse par gravité, filtrée dans sept bassins garnis de plantes aquatiques. Elle va ensuite arroser, par un contre-fossé, le parc et ses jardins familiaux, les excédents retournant à la Seine. Il faut six jours à une goutte d’eau pour accomplir ce cycle. « Les relevés montrent une réelle amélioration de la qualité de l’eau. Dans les débuts, ce système de phyto-épuration a attiré des spécialistes du monde entier et nous recevons toujours des étudiants en paysage et en hydraulique. » Les ambiances changent à mesure que l’eau est épurée : après une roselière qui fixe les polluants, viennent les plantes éliminant les bactéries et enfin celles qui réoxygènent l’eau. Des pontons en bois invitent à déambuler entre les tapis de nénuphars et des bancs-sculptures, œuvres de Francis Ballu, à s’immobiliser face à l’eau. 

Le contre-fossé mène jusqu’à un espace aux allures de solarium, équipé de chaises longues. Après la campagne, la plage…© CD92/Julia Brechler

Paysage contemporain

Ce parc, première terrasse d’une série allant de la Grande Arche à la Seine, est un modèle de résilience urbaine. Faire advenir un tel espace de détente et d’évasion sur d’anciens bidonvilles, une friche balafrée par le RER, l’A14 et les lignes haute tension, sans oublier le voisinage de l’usine en activité jusqu’en 2011, était une gageure. Ces contraintes expliquent le profil très découpé du parc. Le mot d’ordre de ses concepteurs, Guillaume Geoffreoy-Dechaume et Gilles Clément, « faire de la nature une alliée et non une invitée », se traduisit tant dans l’économie globale des lieux que dans la circularité du chantier mené de 2003 à 2006. Une fois les poches de pollution éliminées, les sols purent être conservés tandis que le béton des clôtures fut recyclé dans les allées et l’argile du sol incorporée dans les fondations des bassins filtrants. Jouant à son tour de cet environnement, le Département a par exemple installé en 2019 à l’ombre de l’A14, où rien ne pousse, des agrès de street workout et de fitness et des terrains de sport clôturés qui ont réussi « à drainer davantage de monde vers l’intérieur du parc », le long du contre-fossé. 

Sur le parcours de cette « rivière intérieure » où se mirent les nuages et par endroits les pylônes, les prairies bordées de haies se succèdent. Sur l’herbe, émergent çà et là les immenses squelettes en fonte de Quentin Garel, crânes de brebis ou mâchoires de cochon, venus d’un passé lointain ou d’un futur proche, en accord avec cette nature post-industrielle. « Si l’on fait abstraction du bruit du RER, on se sent presque à la campagne », apprécie Alexis, habitué des lieux en pleine « balade digestive ». « On a l’impression que ce parc ne finit jamais » ajoute-t-il. « C’est la Seine qui fait tout », estime son ami Raphaël, qui pratique le parc aussi bien pied qu’à vélo et sur les onze kilomètres aménagés de ces bords de Seine. Chacun peut choisir sa rive. Celle de la Seine, ou celles de la rivière dont la promenade haute, rive droite, finit par aboutir aux pyramides de cordage convoitées des enfants et à une plateforme en pin aux airs de solarium avec ses chaises longues. 

Rien n’y paraît mais les haies bocagères, mêlant l’aubépine, le rosier sauvage et le saule, sont taillées tout en finesse, au sécateur ou à la cisaille. Les déchets végétaux, compostés sur place, sont réintroduits dans les massifs. Les moutons visibles sur les pelouses contribuent aussi à enrichir les sols et à animer le parc. Cet entretien répond aux critères du label EVE (espace végétal écologique), délivré par l’organisme indépendant Ecocert. La Ligue de protection des oiseaux a par ailleurs décerné au parc le label « Refuge LPO excellence – Jardin d’oiseaux ». Les contacts réitérés entre la terre et l’eau et la proximité avec l’île expliquent la présence d’une quarantaine d’espèces dans ses parages. « Beaucoup d’oiseaux vivent sur l’île et viennent se nourrir dans le parc, explique Arnaud Khau Van Kien. Mais nous avons à demeure un martin-pêcheur, un héron et un faucon, qui profite des courants ascendants sur l’une des buttes ! » Les rives de Seine attirent, quant à elles, poissons et pêcheurs à leur suite. « Il y a de beaux herbiers près de l’Île fleurie, affirme Julien, l’un d’entre eux, qui traîne dans sa remorque un float tube (bouée flottante, Ndlr.), décidé à traquer le silure jusqu’aux rives d’en face. C’est en passant à vélo que j’ai vu les poissons sauter et que j’ai décidé de venir pêcher ici. » 

Alliant fonction épuratrice et paysagère, les bassins filtrants du parvis se laissent parcourir sur des pontons.© CD92/Julia Brechler

Deuxieme jour de reouverture du parc du Chemin de l’Ile a Nanterre depuis le debut de la crise du COVID-19 dimanche 31 mai 2020.

Pâte à papier 

La nouvelle coulée verte reprend la palette végétale des bords de Seine. « Elle a été conçue comme un seuil, une incitation à rejoindre le parc et en complémentarité avec lui », explique Pierre Saint-Martin, paysagiste à l’agence BASE. Au sortir de la place des Papeteries, des haies bocagères sont ainsi installées dans le sens de la pente pour ne pas gêner la vue. « Ces bandeaux accompagnent la traversée et servent de relais écologique. » Un réseau se crée pour la petite faune utilisant ces haies et la noue entourée de prairies fleuries qui recueille les eaux de pluie tout au long du parcours – la coulée verte ne compte « que 15 % de surfaces minéralisées ». Puis vient un espace ouvert et plat, offrant un belvédère sur les coteaux et sur le bâtiment de la « Trituration » et celui de la « Pâte à paille » coiffé d’un beffroi. Seuls édifices des Papeteries restés debout avec les portiques des ponts roulants, ils ont retrouvé un usage. L’un est devenu un complexe sportif et d’escalade, donnant sur un café-restaurant, l’autre un centre de conférences. Parvenu aux portiques, on découvre deux anciennes cuves à papier plantées de peupliers, « une essence entrant dans la composition du papier », et une aire de jeu avec balançoires, trampolines, labyrinthe tubulaire et tubophones… ainsi qu’une estrade livrée à l’imagination des enfants. L’enceinte comprise entre la ville et ces bâtiments reste ouverte le soir, ce qui donne l’occasion de les redécouvrir dans une scénographie lumineuse. Après quoi, reprenant une allure plus rustique, la coulée verte mène à une butte de remblais, surplombant telle une tribune de stade un terrain de sport en herbe, pour aboutir au jardin des Touradons, terminaison du contre-fossé. La boucle est bouclée… ou presque. 

Dernier mur

Car une palissade de chantier borde cette partie basse, dernier « mur des Papeteries » voué à tomber. Le Département, en faisant l’acquisition du terrain voisin sur deux hectares, compte ainsi fluidifier la promenade – actuellement arrivé à ce mur et pour rejoindre les jardins familiaux, un détour s’impose par les bords de Seine. Le projet prévoit une nouvelle mare, refuge pour les amphibiens, de nouvelles plantations et allées, un belvédère sur le fleuve, une grande prairie centrale ou encore un espace de compensation écologique, dans le cadre des travaux du tramway T1. À nouveau, le fil conducteur sera le lien du parc avec l’eau – cette parcelle abrite d’ailleurs le « bâtiment des pompes » édifié en 1906 pour alimenter les Papeteries en eau de Seine. La promenade créée en 2012 au-dessus des jardins familiaux devrait être intégrée au périmètre des travaux prévus à horizon 2025, soit plus de trois hectares recomposés et offerts au public.

Pauline Vinatier

La reconversion de la friche des Papeteries

Entre le fleuve et l’A86, la friche s’étendait sur 13 hectares. Après l’arrêt des Papeteries de la Seine en 2011, le projet de la Zac des Papeteries lui redonne une vocation économique. Au programme : des commerces (encore à venir), un parc d’activité pour les PME et PMI et le campus tertiaire de l’Arboretum avec ses bureaux en bois massif au sein d’un parc privé de 9 hectares qui ouvrira entièrement au premier semestre 2024. En bordure de celui-ci, la collectivité s’est portée acquéreuse de deux hectares : « C’était l’occasion d’agrandir le parc et de créer un barreau supplémentaire pour relier la nouvelle place des Papeteries aux berges de Seine, explique Jean Schnebelen, directeur adjoint des Parcs, des Paysages et de l’Environnement au Département. Cette opération s’inscrit dans notre stratégie nature qui prévoit la création de 20 nouveaux hectares d’espaces de nature à l’horizon 2025 ». En amont, les nouveaux espaces publics de la ville participent également aux liaisons avec le quartier République et la gare de Nanterre Université – un cheminement cyclable direct reliant désormais celle-ci à la promenade bleue. 

Les commentaires sont fermés.