Du laboratoire à l’atelier et au garage, du concept au prototype, le mobiLAB concentre en un même lieu toutes les étapes de l’innovation. Il abrite depuis fin 2018 le siège social de Vedecom. Photo : CD92/Olivier Ravoire
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Le véhicule de demain au banc d’essai

À Versailles-Satory, au sein du cluster des mobilités innovantes créé par le Département des Yvelines, Vedecom planchent sur des mobilités sans embouteillages, sans pollution et sans accidents.

Sur cette piste bardée de technologie est expérimentée la recharge dynamique par induction, qui permet d’alimenter la batterie en roulant.©CD92/Olivier Ravoire

Découpe laser, bobineuse, équilibreuse de rotors… tel un chef au milieu de sa cuisine high-tech, dans son atelier de Satory, Hugues Renard a tous ses ustensiles à portée de main. Ses pièces sont grâce à cela fabriquées en un temps record : « En six mois, les doctorants qui travaillent sur l’amélioration des performances des moteurs peuvent obtenir le prototype dont ils rêvent. En temps normal, ils doivent parfois attendre la fin de leur thèse», explique le responsable de l’atelier de prototypage des machines électriques de Vedecom. Derrière cet  acronyme se cache l’Institut du véhicule décarboné et communicant et de sa mobilité, un institut de transition énergétique (ITE) créé en 2014 qui réunit cinquante-huit membres au sein d’une fondation publique-privée. Des industriels de la filière automobile et aéronautique, des opérateurs d’infrastructures et de services – Renault et PSA ; Transdev et la RATP ; EDF et Total – des entités de recherche académique – Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, Estaca, CEA List – et des territoires comme l’agglomération de Versailles Grand Parc et le Département des Yvelines, qui développent ensemble un cluster des mobilités innovantes sur le plateau de Satory… « C’est la puissance et la richesse de nos membres qui nous distingue des autres ITE, elle favorise les projets transversaux », souligne le directeur, Philippe Watteau. Les trois grands domaines de recherche de l’Institut – électrification, délégation de conduite et connectivité, mobilités partagées – convergent vers une « mobilité durable », c’est à dire « plus autonome, plus écologique et partagée », qui va bien au-delà des seuls progrès technologiques. « Un constructeur a beau proposer un véhicule électrique, ce n’est pas pour autant qu’il parviendra à le vendre. Il faut créer les conditions de la confiance auprès des futurs utilisateurs, penser aux règles, aux usages, aux services qui entourent l’innovation », insiste Philippe Watteau. À ce défi global, répondent donc des équipes pluridisciplinaires – deux cent dix personnes – composées aussi bien de mathématiciens, d’ingénieurs et d’informaticiens que de psychologues, d’urbanistes et de juristes. Depuis fin 2018, la majorité d’entre elles ont quitté Versailles Chantiers pour Satory, rejoignant le bâtiment neuf du mobiLab, nouveau siège social de Vedecom, où elles côtoient l’université Gustave-Eiffel et Transdev. Un site de Satory longtemps réservé aux militaires, dont les anciennes pistes de char étaient déjà utilisées par Vedecom pour ses essais. Et où doit sortir de terre d’ici à 2035 le quartier de Satory-Ouest qui se veut exemplaire dans le domaine des transports.

Des équipes travaillent à un véhicule électrique plus performant, moins coûteux et moins gourmand.©CD92/Olivier Ravoire

Transfert d’énergie

Un peu à l’écart du mobiLab, dans le « Hall A », ancien hangar militaire reconverti en laboratoire ultramoderne, sont regroupées les recherches sur l’électrification des véhicules : amélioration des bornes de recharge, des moteurs, des batteries… Zariff Meira-Gomes et son équipe travaillent, eux, sur la recharge dynamique par induction. Déjà employée pour les brosses à dents ou les téléphones, cette technologie repose sur le transfert d’énergie entre deux bobines par l’intermédiaire d’un flux électromagnétique. Mais elle est ici développée en mouvement, ce qui fait toute la difficulté. Des tests ont d’abord été menés avec des Renault Twizzy sur une piste en kit puis en laboratoire à plus forte puissance, grâce un bras articulé reproduisant les mouvements du véhicule.  « Nous visons actuellement les 50 watts sachant que 25 sont déjà suffisants pour recharger une Zoé à 100 km/h. Mais la preuve de concept est faite », estime Zariff Meira-Gomes. L’objectif est désormais d’intégrer, à coût maîtrisé, cette recharge dans l’infrastructure routière. « En ville, on pourrait par exemple placer des pistes devant les feux pour compenser la dépense d’énergie pendant le temps d’attente. À d’autres endroits la recharge se ferait en roulant ». Le projet européen « Incit-ev », auquel est associé l’Institut, s’intéresse depuis début 2020 à ces questions. L’enjeu des recherches sur l’électrification est de faire sortir le véhicule  électrique – et hybride – de sa niche pour le faire accéder au marché de masse.

Sur cette plateforme de marche inspirée des jeux vidéo, on teste les interactions entre le véhicule autonome et les piétons pour améliorer son « acceptabilité sociale.©CD92/Olivier Ravoire
Entropy, première startup issue de l’écosystème Vedecom a développé une méthode innovante de prédiction des flux.©CD92/Olivier Ravoire

Interfaces homme machine

Objet de tous les fantasmes, le deuxième domaine exploré par Vedecom est celui de la délégation de conduite. Plutôt que LE véhicule autonome en tant que tel, lequel correspond à un niveau 5, maximal, de délégation, l’Institut développe des « briques technologiques » pour les constructeurs, soucieux de sécurisation des véhicules mais aussi « d’acceptabilité » sociale. Dans le cadre du projet « Automate » terminé en 2019, auquel a contribué Mohamed-Cherif Rahal, la délégation atteint un niveau 3. Il n’est donc pas encore question de regarder sa série préférée ou terminer sa nuit de sommeil pendant la course.  « La délégation a lieu par intermittence en fonction de ce que le véhicule est capable de faire mais aussi de l’état du passager, considérés comme une équipe. En cas de distraction, et si les conditions le permettent, l’interface homme-machine peut par exemple proposer de prendre le volant », explique le chercheur. Dans ce domaine, la vision de Vedecom se distingue de celle popularisée par les géants de l’internet ou de l’informatique, comme Google avec le Google car. « Google est très centré sur le véhicule. Or nous pensons qu’il faut plutôt partager l’information entre l’infrastructure et le véhicule, pour mieux gérer certaines situations comme le passage d’un carrefour ou d’un rond-point complexes ». On parle alors d’instrumentation de la route. Autres axes de recherche, le lien entre le véhicule autonome et l’internet des objets (projet européen « Autopilot ») ou encore le comportement des piétons. « En tant que piéton, on a naturellement le réflexe de chercher le conducteur du regard. Sans cela, se développe une forme d’angoisse et d’insécurité. On va avoir tendance à traverser derrière le véhicule autonome, voire à attendre sur le trottoir », explique Nicolas Souleiman, designer et responsable des moyens d’essai. Par simulateur interposé, et afin de déterminer « comment le véhicule pourrait s’adapter au piéton », il confronte des cobayes à des expériences de traversées de route et tente de nouvelles interactions, comme des messages lumineux ou des pictogrammes. Une Renault Zoé s’apprête à faire ses premières tours de piste pour mettre en pratique les conclusions de cette expérience. Parallèlement Vedecom mobilise aussi des juristes sur les questions de responsabilité et de normes soulevées par ces véhicules sans chauffeur.

En tant que piéton, on a naturellement
le réflexe de chercher le conducteur du regard.

.©CD92/Olivier Ravoire

Prédire les flux 

En observant à la loupe les trajets, du domicile au travail, aux loisirs ou aux lieux de consommation, Sami Kraiem et ses collègues ont constaté des récurrences, une structure : les flux sont modélisables. « Sur la base de données issues du recensement, des GPS des voitures, des billets de train ou de bus, on a fait apprendre à une intelligence artificielle la structure de la mobilité.  Elle peut dès lors prédire les flux, ce qui permet d’optimiser l’offre de mobilité », explique le chercheur. Altaïr, le nom de ce projet, interne au départ, a pris son envol en septembre dernier pour devenir la start-up Entropy, prouvant que l’écosystème Vedecom est favorable à l’éclosion de l’entreprenariat. Cette innovation a déjà permis au Département des Yvelines, qui figure parmi les membres de Vedecom, de réfléchir à l’implantation d’aires de covoiturage pour réduire les embouteillages. Elle cible en particulier les territoires, Départements, villes ou agglomérations, organisateurs de l’offre de mobilité et a déjà convaincu Keolis. Service numérique d’aide la mobilité, Entropy s’inscrit dans le troisième champ de recherche de l’Institut, celui des mobilités partagées, qui vise, entre autres, un meilleur usage de la voirie, l’optimisation des stationnements ou celui des systèmes de recharge. En amont, des travaux théoriques sont aussi menés à ce sujet par le laboratoire des nouveaux usages et par l’Institut pour la ville en mouvement, deux entités de Vedecom.

Navettes sans chauffeurs

Anticipant l’évolution du quartier, l’Institut utilise déjà le plateau comme un laboratoire à ciel ouvert. Depuis plus d’un an, à l’initiative de Vedecom Tech, la filiale commerciale de Vedecom, les navettes Framboise et Litchi, issues de la technologie d’Easy Mile, assurent ainsi la desserte du « dernier kilomètre » entre l’arrêt de bus le plus proche et les entreprises du plateau. Leur allure, 18 km/h, peut paraître pépère, mais est en fait la plus élevée jamais enregistrée sur route ouverte par ce type de véhicule. Dotée d’une perception étendue, Framboise et Litchi se dirigent grâce à leurs capteurs et aux caméras à 360° et lidars – télédétection laser – placés le long du parcours, eux-mêmes reliés à un centre de supervision. Pour l’heure, un opérateur reste à bord afin de gérer les situations complexes et les arrêts d’urgence. « En l’an 2000, je rêvais de voitures sans roues, finalement ce sont des voitures sans chauffeur ! » sourit Jean-Michel Gonin, employé de Transdev, heureux d’avoir mis, avec cette expérience « un pied dans l’innovation ». Ses interactions avec les passagers sont étudiées par les chercheurs. Faire disparaître le conducteur « implique de réfléchir au rôle de l’opérateur, essentiel pour le contact avec les passagers et donc le service rendu », explique Stéphane Rabatel, président de Vedecom Tech. Ces navettes auront, à ses yeux, leur intérêt non seulement pour le dernier kilomètre, mais aussi dans les zones denses, en heures creuses, quand les dessertes s’espacent : « Imaginons que vous ayez des horaires atypiques : à une heure du matin, vous pourrez par exemple commander une navette en transport à la demande ». Ce mode sera d’ailleurs bientôt testé sur le plateau, grâce à BlushMeUp, une application sur smartphone.  L’expérience terminée, demeurera le système de supervision interopérable, qui pourrait très prochainement intéresser des industriels. L’innovation mûrie à Satory sera alors parvenue au terme de son trajet.

Pauline Vinatier

 

Un cluster des mobilités innovantes

Avec 45 000 emplois, les Yvelines sont le premier territoire automobile de France. Le mobiLAB, financé par la Société d’économie mixte Satory Mobilité, créée par le Département et Versailles Grand Parc, se veut la première brique d’un cluster des mobilités innovantes destiné à dynamiser ce secteur par la recherche. Sur 7 000 m2 et quatre niveaux, à proximité de pistes d’essai, il accueille  depuis fin 2018 Vedecom mais aussi des équipes de Transdev et de l’université Gustave-Eiffel. Sur le plateau, des synergies s’établissent aussi avec des industriels de la défense terrestre comme Nexter. À partir de 2023, trois laboratoires de Mines ParisTech, dont l’implantation est financée par le Département, compléteront ce panel. À ce jour, ce dernier aura injecté 115 millions d’euros dans ce cluster, intégré à l’opération d’intérêt national Paris-Saclay qui verra sortir de terre un nouveau quartier à Satory d’ici à 2035

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