« Les habitudes de vie développées pendant l’enfance sont déterminantes »

CD92/Olivier Ravoire

Chercheur et maître de conférences à l’université Sorbonne Paris Nord, Jérémy Vanhelst étudie les liens entre activité physique, sédentarité et santé globale et appelle à agir de toute urgence pour remettre nos organismes en mouvement. 

Qu’est-ce que l’activité physique et comment définir la personne active ?

JV L’activité physique correspond à tout mouvement corporel produit par les muscles squelettiques, entraînant une dépense supérieure à celle du repos. C’est l’atteinte ou non des recommandations en termes d’activité physique, d’intensité modérée à vigoureuse, qui vont faire de vous une personne active ou inactive : chez l’enfant entre 5 et 17 ans, cela correspond à 60 minutes par jour ; chez l’adulte à 150 minutes par semaine, c’est-à-dire qu’il faut essayer de bouger cinq fois dans la semaine au moins 30 minutes. Cette notion est trop souvent réduite au sport alors qu’elle englobe tous les mouvements de la vie quotidienne. Pour vous donner un exemple, des activités domestiques comme laver les carreaux, monter les escaliers ou jardiner sont considérées comme des activités d’intensité modérée.

Les effets du mouvement au quotidien sont non seulement physiques mais aussi cognitifs et sociaux ?

JV Les bénéfices de l’activité physique recoupent la définition de la santé de l’OMS, qui est « un état complet de bien-être physique, mental et social ». C’est également un déterminant majeur de la condition physique : si on bouge bien, si on bouge plus, on va automatiquement améliorer notre force musculaire, notre endurance cardiorespiratoire, notre souplesse, notre agilité, notre coordination… Cela va nous permettre par exemple de monter un étage de plus sans être essoufflé ou de porter des choses qu’on n’arrivait pas à porter auparavant.  L’activité physique a aussi des effets protecteurs, en prévention de certains types de cancers et de maladies chroniques et améliore la qualité de vie des patients déjà atteints d’une pathologie. Enfin elle améliore les performances cognitives, contribue à l’estime de soi et peut entretenir le lien social. 

En France les enfants et les adolescents bougent-ils suffisamment ?

JV Seuls 25 à 30 % des enfants et des adolescents en France sont suffisamment actifs compte tenu des recommandations. Les effets sur la condition physique se font sentir. Entre 1999 et 2022, une étude en cours de publication menée auprès de plus de 15 000 jeunes de 9 à 17 ans, que je coordonne, met en évidence une perte de plus de 15 % de la capacité cardiorespiratoire. Même si dans nos analyses, nous voyons une diminution moins importante depuis 2010, ceci reste tout de même un résultat alarmant. Il est temps de renforcer les actions de promotion de la santé et de l’activité physique.

La montée de la sédentarité, à bien distinguer de l’inactivité physique, est tout aussi préoccupante ?

JV Les deux ne sont pas mesurées de la même façon. La sédentarité ne correspond pas à une recommandation mais à un état basal, c’est-à-dire un état où l’on utilise de l’énergie uniquement pour faire fonctionner nos organes vitaux. On la mesure par une dépense énergétique inférieure à 1,5 METs (coût métabolique équivalent) et on la caractérise souvent par le temps passé assis ou devant un écran. Beaucoup de gens l’ignorent mais les effets de la sédentarité sont indépendants du niveau d’activité physique et aussi néfastes. Vous pouvez passer votre journée devant votre ordinateur et aller courir ensuite, vous aurez tout de même passé sept heures dans un bureau… Bien sûr, il est préférable d’être actif et sédentaire qu’inactif et sédentaire, mais il faut garder en tête que l’activité physique ne va pas tout régler. 

L’activité physique a aussi des effets protecteurs, en prévention de certains types de cancers et de maladies chroniques.

 

Le slogan « sitting is the new smoking » va, hélas, bien à notre époque…

JV La sédentarité qui accompagne la tertiarisation de l’économie et la montée en puissance des écrans s’avère encore plus néfaste que la cigarette, objet de tant de campagnes de prévention. Des études ont montré que le risque de développer des maladies cardiovasculaires ou le risque de décès du fait de l’inactivité physique était légèrement supérieur à celui de la cigarette ! D’où le slogan sitting is the new smoking que l’on pourrait traduire par « l’immobilité est le nouveau tabagisme ». La crise du Covid a mis un coup d’accélérateur à ces comportements, en particulier chez les enfants et les adolescents. Pendant cette période, entre 30 et 60 % des enfants ont baissé leur niveau d’activité physique et entre 60 et 80 % ont augmenté leur temps d’exposition aux écrans. Ce sont des niveaux faramineux et les résultats au niveau européen sont les mêmes. On a récupéré des enfants avec des capacités physiques nettement diminuées. 

Il faut savoir aussi que la condition physique de l’enfant est un marqueur de sa santé à l’âge adulte…

JV En effet les habitudes de vie développées pendant l’enfance sont déterminantes dans le développement des maladies à l’âge adulte. C’est à ce moment qu’il faut agir, avant la puberté de préférence car il sera plus difficile ensuite de modifier les comportements de vie. Alors qu’auparavant on déclenchait un infarctus du myocarde à 45 ou 50 ans, désormais il peut y avoir une alerte dès l’âge de 30 ans. Cette maladie s’installe dès l’enfance pour arriver de plus en plus tôt : dès l’âge de 6/7 ans, ce qui correspond plus ou moins au passage de la maternelle au CP, avec un recul des jeux de motricité, on observe une chute de l’activité physique et une augmentation de la sédentarité.  

Quel rôle peuvent jouer l’école et le monde du travail dans l’évolution des comportements ?

JV Un rôle majeur compte tenu du temps que l’on y passe. A l’école, les enfants n’ont souvent qu’une récréation le matin et une autre l’après-midi et restent assis le reste du temps pendant deux heures. Il faudrait introduire davantage de « cassures de sédentarité », tout comme dans les entreprises, en installant par exemple des bureaux à station debout pour varier les postures et en développant le sport au travail. Dans les cours des établissements, des aménagements très simples peuvent en outre favoriser les récréations actives, favorisant le mouvement, comme le marquage au sol, les marelles, les petits agrès. Enfin les déplacements du domicile à l’école ou du domicile au travail sont également l’occasion d’introduire de l’activité physique. 

Un événement comme les Jeux Olympiques et Paralympiques a-t-il permis d’avancer sur tous ces sujets ?

JV L’activité physique a été pendant longtemps le parent pauvre de la prévention. On entendait davantage parler d’alimentation. Depuis quelques années et avant les Jeux la communication a été renforcée. Des dispositifs dédiés ont été lancés comme la Journée Olympique et Paralympique, les programmes « savoir-nager » ou « Jeux Bouge Athlé ! » le label génération 2024, ou encore la Grande Cause Nationale 2024… Il faut souhaiter que cette dynamique ne retombe pas après les Jeux. Il faudra continuer de mettre l’accent sur l’activité physique et mieux évaluer la condition physique de notre population car nous sommes en retard par rapport à d’autres pays. Cette connaissance est le préalable à la mise en place de réponses efficaces pour améliorer le capital santé actuel et futur de nos enfants et rendre par la même occasion nos athlètes performants.

La Science se livre 2024 aux couleurs du sport

Du samedi 20 janvier au dimanche 11 février, une centaine de rendez-vous gratuits, organisés en partenariat avec les structures culturelles du territoire sur le thème « La Science se livre fête vos Jeux 2024 », mettent la culture scientifique à la portée de tous : ateliers, spectacles, jeux, spectacles, expositions, rencontres… Le public pourra retrouver Jérémy Vanhelst samedi 3 février, à 16 h, à la médiathèque de Sèvres, pour une conférence sur les liens entre sport, sédentarité et santé – en accès libre dans la limite des places disponibles. Comme chaque année les prix La Science se livre récompenseront en outre trois ouvrages adultes et jeunesse. Dans le cadre du « Prix du public » et après inscription sur la page dédiée, du 20 janvier au 3 février, les lecteurs volontaires auront la possibilité de désigner en mars leur favori parmi les ouvrages sélectionnés. 

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