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Aux Groues, défricher la vie de quartier

Avant même que le nouveau quartier de Paris La Défense ne sorte de terre, sur la friche urbaine Vive Les Groues les riverains cultivent leur propre écosystème.

Au 290 rue de la Garenne, à Nanterre, un grand panneau indique l’entrée de Vive Les Groues. En fin de semaine, la musique et les rires qui s’échappent de la friche encouragent à franchir le pas. « Ça faisait longtemps que je passais devant. Il y avait toujours quelque chose de nouveau, ce qui m’intriguait », explique Chris, habitant du Faubourg de l’Arche, à deux pas. Venu « les mains dans les poches », l’étudiant ingénieur a vite été adopté par la petite société des Groues, elle aussi en construction. « Pour moi, cet endroit est comme un petit paradis où chacun peut apporter sa pierre. Si vous n’êtes pas à l’aise avec le bricolage, vous pouvez cuisiner pour les autres par exemple », poursuit Chris. Ce jour-là, en compagnie d’autres volontaires, il repeint la « salle polyvalente ». « Si je peux rendre la friche plus belle et attirer d’autres personnes, c’est tant mieux », explique le Courbevoisien qui a déjà fait découvrir le tiers-lieu à ses deux jeunes frères. 

La friche urbaine prend vie chaque vendredi et samedi.©CD92/Stéphanie Gutierrez-Ortéga

L’oasis de verdure surgit au milieu d’une rue poussiéreuse sur un terrain confié par Paris La Défense à Yes We Camp au printemps 2017. Un hectare à peine, alors que le quartier s’étendra sur soixante-cinq hectares au total. Fondée à Marseille en 2013, l’association a pour objet la ville, sa fragmentation sociale et spatiale, et sa régénération. Parmi les sites gérés figurent les Grands Voisins, à Paris, dans l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul. « Nous travaillons sur la redynamisation d’espaces vacants », résume Dickel Bokoum, chargée du projet Vive les Groues. Lancée en mai dernier, la deuxième saison sur le site nanterrien se poursuivra jusqu’en octobre. D’autres devraient suivre, tant que le terrain n’est pas construit. Aussi réussie soit-elle, chaque occupation reste en effet transitoire : « Demeurer sur le site n’est pas ce qui compte. L’important, c’est notre impact social, les liens qui vont se tisser entre les gens et avec le territoire », précise la chargée de projet. Le sens du collectif, la convivialité, le recyclage des ressources et le lien avec la nature guident par ailleurs l’action de cet « opérateur du présent ». 

Chacun peut apporter sa pierre à l’aménagement, en participant aux « ateliers ouverts ». En un an et demi, la métamorphose de la friche est spectaculaire.©CD92/Stéphanie Gutierrez-Ortéga
 
Les lieux accueillent des activités toutes les fins de semaine et un temps fort festif par mois, annoncés sur les réseaux sociaux.©CD92/Stéphanie Gutierrez-Ortéga

Recyclage 

Alliant défrichage du lieu et défrichage du lien, Yes We Camp a fait, dès le début, participer les riverains, conviés chaque semaine à des « ateliers ouverts ». « Le site avait connu plusieurs occupations différentes : une laverie, une usine d’isolants ; il était scindé en plusieurs morceaux et même coupé par un mur, raconte Dickel. Dans nos aménagements, nous avons essayé de tirer parti au maximum de l’existant. » Les pierres qui bouchaient l’entrée ont, par exemple, été réemployées dans les cheminements. Pour « sa base vie », Yes we Camp a récupéré auprès du collectif AAA à Colombes une structure faite de containers et de modules en bois : le « recyclab ». Remonté pièce par pièce sur une butte, il abrite désormais des salles d’activités, une buvette, des bureaux. Tout autour ont poussé terrasse, terrains de sports, et même un potager réclamé par les riverains, enrichi avec un compost maison. « L’idée est que chacun puisse fréquenter ce lieu de façon autonome comme un grand jardin ou comme un rendez-vous de quartier où retrouver ses connaissances, faire un pique-nique ou un barbecue. » Le banya, ou sauna russe, installé dans une roulotte au fond du site, apporte une touche insolite. 

Temps forts

Toutes les semaines s’ajoutent à cela de nouvelles animations à suivre sur les réseaux sociaux : « déjeuners ouverts » pour rencontrer l’équipe et s’informer sur le projet, jam sessions entre voisins, ateliers avec les artistes de l’Opératorium, installé tout près, et, une fois par mois, des temps forts festifs où la mixité sociale semble prendre forme. « Comme pour les aménagements, on essaie au maximum de composer avec les activités qui existent déjà sur place », souligne Dickel Bokoum. Pour la fête de la Musique, co-organisée en juin avec l’association Art’is’Trip de Nanterre, se côtoyaient ainsi riverains de Nanterre et de Courbevoie, étudiants de l’université voisine, cols blancs de La Défense…  « On fait souvent des afterworks au pied des tours, mais je trouve l’endroit convivial. Je n’hésiterai pas à revenir pour un autre événement de ce genre », promet Julien, venu prendre un pot avec ses collègues. De retour de la buvette avec sa « bionade », remplaçant ici la limonade, Nathan a amené sa guitare pour jouer devant les copains. « Ils s’amusent, il y a des jeux de société, un terrain de basket, de pétanque… On avait besoin d’un lieu comme celui-ci », juge Sylvie, la maman, accompagnée de Roger, son voisin du Faubourg de l’Arche et ses deux enfants. Quant à Michel, il étanche sa curiosité. Fin connaisseur des enjeux urbains, président d’une association de quartier de Nanterre, il est membre de l’Atelier des Groues, l’instance de concertation citoyenne sur le futur quartier. « Lors de la consultation organisée sur l’occupation de cette friche, j’ai voté pour ce projet, j’avais envie de voir ce que ça donne », explique-t-il. 

Pépinière

Dans les mois à venir, l’arrivée des premiers arbres de la pépinière des Groues, pensée avec les paysagistes de TN+, sera un tournant. Une étape précédée par de longs efforts de dépollution et de préparation des sols, sur lesquels ont été amenés des terres saines provenant de chantiers de la région parisienne. Ces nouveaux arbres grandiront sur place avant d’être replantés dans les espaces publics du quartier et les cours d’immeuble. Pépinière dans la pépinière déjà visible à l’entrée du site, Appel d’Air, projet de l’artiste Thierry Boutonnier, abrite, quant à elle, des paulownias destinés aux gares du Grand Paris Express – un par nouvelle station – parrainés par des habitants. Deux projets horticoles, l’un en lien avec le quartier, l’autre avec toute l’Île-de-France, qui visent un même changement de représentations et de rapport à la nature en ville. Prunelle, habitant de Boulogne mais qui travaille au ministère de la Transition écologique et solidaire à Paris La Défense, s’est beaucoup impliquée dans ce volet. « La transition écologique, ce n’est pas que l’énergie ou le climat. Les modes de travail et les rapports entre l’individu et le groupe doivent changer aussi, estime la marraine de l’arbre qui sera planté en gare de Nanterre La Folie. Sur cette friche, ils utilisent la méthode de l’artiste et du jardinier. C’est une approche qui laisse faire le vivant dans tous les sens du terme : elle produit des plantes et des liens, en faisant se rencontrer les gens ! » Autant l’avouer, les ateliers auxquels elle a participé avec mari et enfants ne lui ont rien appris en horticulture. « C’était plutôt une expérience sensible : on a les mains dans la terre, on respire des odeurs de végétation, des souvenirs d’enfance remontent, j’ai partagé de très belles choses avec les gens ». À son image, tous ceux qui s’impliquent dans la friche sont un peu les jardiniers de la vie de quartier. À la satisfaction de Yes We Camp, qui en a posé les bases, une association réunissant les riverains vient d’être créée. Prochaine étape festive, la dégustation de la bière des Groues, fabriquée avec le houblon cultivé sur place !

Pauline Vinatier
www.vivelesgroues.org ou Facebook Vive Les Groues
De mai à octobre, vendredi de 18 h à 22 h, samedi de 14 h à 22 h. 

Paris La Défense préfigure le quartier

À l’horizon 2030, un nouveau quartier s’étendra sur 65 hectares à Nanterre aux portes de La Défense, avec 4 500 logements, des commerces, bureaux et espaces publics, le tout desservi par le RER E et la ligne 15 Ouest. Dès 2016, pour valoriser le foncier en attente d’être construit, l’établissement public Paris La Défense lancé un volet de « préfiguration » : « L’idée était d’insuffler une vie de quartier sans attendre les premières livraisons de logements, d’autant qu’il y a déjà quelque 6 000 salariés dans le Cœur des Groues et des riverains dans les secteurs proches. C’est un projet à petite échelle mais qui peut apporter beaucoup à l’ensemble », explique Céline Crestin, co-directrice de l’aménagement. Au niveau du boulevard de La Défense, les travaux du futur quartier ont déjà commencé. 

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