L’environnement chaleureux est pensé pour favoriser les moments de partage comme ici dans le salon, où les colocataires ont plaisir à se retrouver et à accueillir leurs proches. © Willy Labre
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UNE RETRAITE  » OÙ L’ON CAUSE ET OÙ L’ON RIT »

Les personnes âgées en perte d’autonomie qui ne souhaitent pas aller en établissement ont désormais une autre option : la colocation. La start-up Chez Jeannette vient d’ouvrir une première maison partagée à Rueil-Malmaison.

Dans la cour, des arbres plantés il y a bien longtemps seront désormais les témoins de leurs joies et de leurs peines. Monique, une Rueilloise, a posé ses valises la première en juillet dans la grande maison aux allures de manoir, suivie de Marie-Thé, venue en voisine des Yvelines, et de Marie-Jo qui a quitté son Ehpad de Colombes. Lors d’une seconde vague se sont installées Sylviane et Claudie. Déjà bonnes copines, les colocs’ se donnent de petits surnoms et partagent volontiers des moments ensemble. « Les gens sont sympathiques. On s’entend bien, on cause, on rit », confie Marie-Thé. Ne manquent encore à l’appel que deux dames et « Georges » pour que cette première tribu soit enfin au complet. « Les arrivées ont été échelonnées pour que chacun ait le temps de prendre ses marques », précise Alexandre Blanc, fondateur de la start-up avec Gary Martins. Particularité de cette colocation d’un nouveau genre : la moyenne d’âge de quatre-vingt-cinq ans.

Ces deux trentenaires, venus du conseil et de la finance, ont élaboré leur projet entreprenarial après avoir vécu eux-mêmes la dépendance de leur proches. « Après le décès de son mari, ma grand-mère avait intégré un Ehpad mais elle a mal vécu son séjour faute de vraies relations, explique Alexandre. Pour le grand père de Gary, c’est un peu l’inverse : il a tenu à rester chez lui mais le besoin de services était important ; c’était difficile à organiser. » L’habitat partagé, sorte de « troisième voie », ne présente pas ces inconvénients, pourtant sa place reste marginale en France. « Pendant longtemps, toute la stratégie en matière de dépendance était tournée vers l’Ehpad. On en revient un peu maintenant. Mais la Scandinavie, l’Allemagne, les Pays-Bas ou l’Amérique du Nord ont beaucoup d’avance. » N’étant pas du métier, ils ont pu affiner leur offre pendant un an, en 2021, au sein de l’incubateur E-tonomy Boost des Mureaux. Leur équipe mêle aujourd’hui spécialistes de l’établissement et du domicile. Rueil-Malmaison doit être la première d’une série de maisons en milieu urbain, proches des services et des transports. Une ouverture est en cours à Villennes-sur-Seine et deux autres prévues en 2023 à Colombes et à Courbevoie.

Suivre ses envies

S’agissant d’habitat ancien, il n’y aura pas deux endroits semblables. À Rueil, le bel escalier en bois, le sol en marbre du salon et les linteaux de portes ornés de moulures donnent le sentiment d’un authentique foyer. En même temps, tout est pensé pour les seniors. Un décorateur et un ergothérapeute ont travaillé ensemble à choisir les assises et à adapter leur hauteur ; les salles de bain à l’italienne n’opposent pas d’obstacle aux personnes à mobilité réduite, les chambres à l’étage sont desservies par un ascenseur – dont l’implantation n’a pas été le moindre des défis. Salon, salle à manger, cuisine et terrasse panoramique sont, eux, partagés et donnent lieu à des moments conviviaux : parties de scrabble, d’Uno, batailles endiablées, séances de gym, et même de boxe ! L’accompagnement et l’animation sont assurés par une « maîtresse de maison » qui coordonne la vie quotidienne et par des auxiliaires de vie, jour et nuit. « L’avantage, c’est qu’il y a toujours quelqu’un pour les imprévus, les petits coups de pouce. Il n’y a plus d’obligation de programmer ni d’attendre les visites. C’est leur quotidien qui est primordial, pas la perte d’autonomie », explique Maria Camus, en charge du volet de l’aide à domicile. Résultat, une plus grande tranquillité d’esprit : « Au début, certaines résidentes étaient debout à 6 h 30 du matin alors que maintenant elles dorment mieux, mangent mieux, ont une activité physique, les familles disent qu’elles ont repris du poids, mais c’est du muscle ! » Les tarifs se veulent en deçà de ceux d’un Ehpad du secteur pour « rester abordable tout en maintenant une bonne qualité de service », affirme Alexandre Blanc qui a rejoint le collectif « 150 000 en 2030 » constitué en 2022 pour « lever les freins en matière de financement et les incertitudes sur le cadre règlementaire », faisant de l’habitat partagé son combat.

Rompre la solitude

La colocation a été le choix de Sylviane, quatre-vingt-sept ans, et de ses enfants. Multipliant les chutes à son domicile, suivies d’hospitalisations, cette Rueilloise ne pouvait davantage rester seule. « Elle avait beau se sentir mal, elle refusait toute aide. Il y a très peu de temps qu’elle s’est résolue à aller dans une structure, explique sa fille Agnès. Ici elle est moins angoissée et nous aussi. On sait qu’il y a toujours quelqu’un et qu’elle est chouchoutée. » En l’espace d’une semaine, Sylviane a retrouvé le sourire et se préoccupe davantage de son apparence. « Je regrette d’avoir dit non aussi longtemps. Dès la première nuit, j’étais contente de ne plus être seule et je n’hésite pas à descendre pour voir du monde ». « Mon autre grand-mère était en Ehpad. L’ambiance était pesante, ça faisait mal au cœur. Tandis qu’ici c’est un plaisir de venir la voir », explique sa petite fille Léa. L’âge et le besoin d’assistance ne suffisent pourtant pas à intégrer un tel lieu. Il faut « adhérer à l’esprit d’une colocation et être prêt à partager des moments avec les autres », précisent les responsables. Le séjour se poursuivra ensuite tant que l’état de santé de la personne le permet : « La colocation qui est un milieu totalement ouvert n’est plus le bon endroit quand les troubles cognitifs sont trop importants. Cette solution ne répond pas à toutes les situations, en particulier de grande dépendance. » n

Pauline Vinatier
www.chezjeannette.fr

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