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LA CITÉ DE L’ENFANCE SANCTUAIRE DE L’ACCUEIL D’URGENCE

CD92/Stéphanie Gutierrez-Ortéga

 

 

 

Au Plessis-Robinson, le foyer départemental peut accueillir en internat jusqu’à quarante mineurs de trois à treize ans placés auprès de la protection de l’enfance. Une mise à l’abri avant le retour au domicile ou une orientation plus durable.

Le hall d’entrée possède un piano sur lequel une frêle silhouette improvise quelques accords. Puis l’artiste se retourne et vous dévisage. Rassuré sur la nature de cette visite, Lenny* s’égaille dans les couloirs du pôle de jour sous le regard protecteur d’Aurélie Cayol. « Il ne tient pas en place, mais reste dans les parages et vérifie qu’on est là », explique l’éducatrice spécialisée. Scolarisé en CM1 au Plessis-Robinson le matin, ses après-midis se déroulent dans cette structure attenante à la Cité de l’Enfance. Parmi les jeunes accueillis en ces lieux, les uns sont encore dans l’attente d’une audience ; les autres, comme Lenny, souffrent de troubles de comportement, entrave à une scolarité complète, voire à toute scolarité. « Ces enfants peuvent être agités du fait de leur histoire et du chamboulement que représente le placement. Être à l’école toute la journée serait trop long pour eux. » Pour conserver leur attention, les éducateurs, qui font le lien avec l’Éducation nationale, usent de méthodes ludiques et alternent apprentissages et activités créatives. Ces ateliers qui peuvent avoir des vertus thérapeutiques sont proposés les mercredis et pendant les vacances scolaires à l’ensemble des jeunes résidents, tout comme les activités culturelles et sportives à l’extérieur. Lenny, c’est une chance pour lui, semble à l’aise dans toutes les disciplines, du dessin à la musique en passant par les acrobaties – démonstration à l’appui. « Cela compense ses difficultés scolaires et conforte son estime de soi, commente Aurélie Cayol. Il a déjà beaucoup progressé depuis l’année dernière, mais on travaille encore à le réconcilier avec la lecture. » Le garçon entame sa deuxième année au Plessis-Robinson, un séjour plus long que la moyenne pour un foyer d’accueil d’urgence. Ici, les enfants restent environ six à huit mois. 

Accueillant les enfants ne pouvant plus être scolarisés, le pôle d’activités de jour permet d’éviter une rupture des apprentissages.© CD92/Stéphanie Gutierrez-Ortéga
Le placement est préconisé lorsque des défaillances ou des difficultés graves sont constatées dans l’exercice des responsabilités parentales.© CD92/Stéphanie Gutierrez-Ortéga

Cité-parc

Les lieux de vie de la Cité de l’Enfance, loin de l’image que l’on peut se faire d’un internat construit au milieu des années 1960, reprennent l’organisation rassurante d’une maison familiale. Les quatre pavillons ont des noms accordés au parc environnant, planté d’arbres centenaires : les Cèdres, les Écureuils, les Alizés et les Mésanges. Une équipe dédiée de dix éducateurs et de deux maîtresses de maison se relaie dans chacun d’entre eux jour et nuit. Ainsi entourés, les enfants sont en mesure de reprendre des repères, de s’apaiser et de s’ouvrir peu à peu aux autres. « Les situations qui arrivent à la Cité de l’Enfance sont les plus difficiles, souvent quelque chose de grave s’est passé dans le milieu familial. On est un peu le Samu social au niveau de l’enfance », explique Thierry Meunier, le directeur. Cet ensemble voisine avec la pouponnière Paul-Manchon qui assure l’accueil d’urgence des 0-3 ans, recevant parfois de jeunes frères et sœurs des enfants placés à la Cité. Dans les quinze jours suivant l’admission, si le placement de l’enfant est confirmé à l’occasion de l’audience en assistance éducative, débute une phase d’observation. « La plupart des enfants qui arrivent ne sont pas connus de la Cité de l’Enfance, poursuit le directeur. Dans un temps assez court, il va falloir assurer une observation fine qui va permettre au juge d’entériner une solution à l’issue du placement. C’est une responsabilité énorme, d’où l’intérêt d’une approche multidisciplinaire. » Le référent du jeune au sein du service social territorial de résidence, garant de son parcours au sein de l’Aide sociale à l’enfance, est associé au suivi éducatif et médico-psychologique tout au long du séjour. « Beaucoup d’enfants ont des problèmes de santé qui ne sont pas connus ou n’ont pas été traités. Une absence de suivi médical chez un enfant qui a été opéré du cœur sera un indice de négligence. » Ces contrôles complètent les investigations médico-judiciaires destinées à mettre en évidence d’éventuelles maltraitances ou abus avant l’admission et sont associés à un entretien avec une psychologue. « Même quand ils ont dénoncé les faits, les enfants ont envie de rentrer chez eux car cela n’annule pas les liens affectifs, explique Aline Chassagne, qui les aide à démêler la situation. Je leur explique qu’ils ont le droit d’être en colère tout en aimant leurs parents mais que des interdits sont posés. » Elle offre ensuite, à l’écart de l’agitation du groupe, une oreille attentive aux jeunes comme aux éducateurs : « Ils peuvent parfois ne pas comprendre certains comportements ou être inquiets de la souffrance de l’enfant. J’essaie de fournir des clés de lecture ».

© CD92/Stéphanie Gutierrez-Ortéga
Du lever au coucher, le quotidien au sein de chacun des quatre pavillons est placé sous le signe de la régularité.© CD92/Stéphanie Gutierrez-Ortéga

Rythme de vie

Aux Mésanges, Lenny fait volontiers visiter sa chambre. Ici, une plante qu’il ne doit pas oublier d’arroser ; dans un angle, des totems Pokémon réalisés à l’accueil de jour… Accueillant, il montre des photos de sa classe verte à Rambouillet et convie même à une partie de billes. Ses neuf camarades, à présent revenus de l’école ou du collège, partagent pour certains leur chambre avec un enfant du même âge. Thomas a onze ans tandis qu’Enzo n’a que six ans. « Les plus grands sont obligés de respecter le rythme de vie des plus petits, explique l’éducatrice spécialisée Nathalie Le Solleu, qui forme un binôme bien rôdé avec Cintia Montout. Ce type d’accueil  »vertical » nous permet aussi d’accueillir des fratries. » Après le goûter et les devoirs terminés, les enfants peuvent jouer à l’intérieur du pavillon ou dehors : le parc offre des terrains de sport et des allées en pente douce idéales pour la trottinette. Puis le repas en commun réunit les convives en trois groupes d’âge, « ce qui facilite les échanges et les discussions ». Après 20 h 30, chacun monte dans sa chambre où les petits réclameront des histoires. La vie au pavillon, même entrecoupée de temps festifs bien nécessaires, reste placée sous le signe de la régularité. « On essaie d’instaurer un cadre tout en étant dans l’échange. Auparavant certains d’entre eux étaient livrés à eux-mêmes et vont avoir tendance à chercher les limites, voire à être dans la provocation », précise Cintia Montout. L’instabilité inhérente à l’accueil d’urgence ajoute à la complexité de l’encadrement, une arrivée pouvant perturber la dynamique de groupe. « Tous les temps du quotidien comportent un risque de conflit mais tous peuvent servir de support à un discours éducatif. On saisit la moindre occasion de faire entendre des choses à l’enfant. » Ce quotidien alimente jour après jour les observations et les notes éducatives : relation avec les pairs, rapport à l’adulte, facilité ou non à se confier… Pour sa part, Lenny se montre très câlin avec Cintia, qui est aussi sa référente éducative au sein du pavillon. « À cet âge-là, le risque de confusion avec le parent est faible car l’attachement est encore très fort, estime cette dernière. Mais il a besoin d’un interlocuteur privilégié, et c’est à moi, ensuite, d’utiliser ce lien pour aider l’enfant à résoudre ses problèmes. » 

Réparation 

À défaut d’un droit d’hébergement ou de visites libres, le contact peut perdurer avec les parents grâce aux visites en présence d’un tiers. Elles sont l’occasion pour les professionnels de revenir sur les motifs du placement et de faire œuvre de « guidance éducative ». « Peu de parents sont foncièrement maltraitants, estime Aline Chassage. Certains peuvent se sentir démunis face aux problèmes de comportement, ce qui engendre un cercle vicieux. Les enfants peuvent alors entendre cela, ce qui permet de réparer quelque chose du lien. » La décision indiquant les manquements éducatifs et les attentes du juge, faisant office de « feuille de route », permettra aux travailleurs sociaux d’évaluer la capacité des parents à reprendre leur enfant au terme du placement. Si le retour au domicile familial n’est pas envisageable, une solution sera recherchée à plus long terme : famille d’accueil, maison d’enfants à caractère social, foyer, village d’enfants, établissement médico-social…. Le séjour à la Cité est par définition transitoire. « Si le séjour et le suivi produisent la plupart du temps un apaisement, au bout de six mois on s’aperçoit que les enfants s’essoufflent ; ils ont besoin que quelque chose se passe, même si ce n’est pas pour rentrer chez eux. » En pratique il n’est pas toujours aisé de trouver une place. « Pour Lenny, une famille d’accueil serait l’idéal, mais sa scolarité partielle complique les choses, confie Aline Chassagne. Dans d’autre cas, ce sera la nécessité de soins ou de suivi médico-éducatif. » À chaque enfant qui part, souvent vers l’inconnu, il faut accompagner aussi ceux qui restent. 

Pauline Vinatier
*Les prénoms ont été modifiés

 

Une offre renforcée et adaptée à la diversité des situations 

La Cité de l’Enfance, la pouponnière Paul-Manchon ou encore le centre maternel des Marronniers, établissements départementaux aux missions spécifiques, ne représentent qu’une petite partie de l’offre d’accueil sur le territoire. Ainsi pas moins de 6 000 jeunes, mineurs ou jeunes majeurs, étaient accueillis ou accompagnés fin 2022 pour un budget de 221 M€. La nouvelle stratégie départementale de protection de l’enfance prévoit un renforcement de ces capacités d’accueil à hauteur de 50 % à l’horizon 2026, ainsi qu’une meilleure prise en compte de la diversité des situations : fratries, handicap, échec scolaire ou rupture sociale… Le Département, chef de file de la protection de l’enfance, porte par ailleurs des solutions innovantes comme le projet de Maison de l’Avenir pour les adolescents, mise en œuvre en collaboration avec le pédopsychiatre Marcel Rufo, dont l’annexe de préfiguration doit ouvrir cette année. Il a récemment lancé l’application « Futur en main », destinée à faciliter l’information et l’accès aux droits des 16-25 ans pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance.

futur-en-main-hauts-de-seine.fr 

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