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Le laboratoire des idées publiques

© CD92/Laurent Duvoux

Depuis 2019, le Curious Lab’, laboratoire de l’innovation publique, met en relation des étudiants et des communes sur une problématique donnée. Une initiative qui a déjà semé dans les villes quelques graines d’intelligence collective.

Dès ce mois de novembre, les machines à coudre le cuir vont prendre du service dans ce local de 150 m2 en plein centre-ville de Sceaux. Bienvenue à La Manufacture, le fablab fibres et textile. Dans ce lieu, tout respire la concertation puisque même l’agencement des ateliers sera mouvant au fur et à mesure des retours des utilisateurs. Ce fablab textile est l’un des projets qui ont vu le jour avec l’aide du Curious Lab’, créé il y a deux ans par le Département. Ce laboratoire dit « d’intelligence collective » met en relation deux mondes qui peinaient à se côtoyer : d’un côté des communes confrontées à une problématique et de l’autre des étudiants du territoire, souvent porteurs d’idées novatrices. Les seconds s’emparent des « défis » des premiers et établissent en plusieurs semaines un diagnostic. En trois promotions, trente-deux défis ont été lancés par seize villes des Hauts-de-Seine et des Yvelines à près de trois cent cinquante étudiants. S’y ajoutent les dix-huit défis de la quatrième promotion, constituée en septembre dernier. « Ils sont essentiellement en lien avec la transition territoriale dans des domaines comme le social, l’aménagement ou l’écologie. On observe également une certaine prise de hauteur par rapport à la crise sanitaire, avec une réflexion autour des mobilités et de l’organisation du travail. Les communes ont besoin d’un regard neuf sur ces sujets », souligne Joseph Salamon, directeur du Développement territorial du Département. En amont, le Curious Lab’ lance l’appel à projet auprès des villes et démarche les écoles qui correspondent aux défis. Mais c’est après la mise en relation entre étudiants et services, lors du lancement de la promotion, que se situe le cœur de son action : il intervient en transversalité avec un regard neutre sur les initiatives, et accompagne sans se substituer à la politique communale. « Nous sommes là pour apporter une valeur ajoutée sur des questions techniques et une expertise », ajoute Joseph Salamon. Deux ans et demi après avoir semé les graines d’intelligence collective, les premières pousses sortent de terre. « C’est extrêmement positif et même si un projet ne voit pas le jour, il apporte toujours de l’ingénierie et reste dans la tête des équipes municipales ». La ville de Sceaux réfléchissait en effet depuis cinq ans à ouvrir un fablab. « Nous étions partis sur un lieu assez classique pour travailler le bois et avec des imprimantes 3D mais nous nous sommes rendu compte que tout le monde en faisait autour de nous », précise Florence Presson, adjointe déléguée aux transitions et à l’économie circulaire et solidaire. C’est ainsi que la commune a revu sa copie en affinant la spécialité du lieu, centré aujourd’hui sur le textile. « Nous faisions alors quelques événements autour de l’upcycling (un recyclage dit « par le haut » lors duquel on récupère des matériaux afin de les transformer en produits de qualité supérieure, Ndlr) autour du textile, nous organisons une fois par an un défilé de mode éthique avec l’IUT et des associations. À la suite de cette expérience, un groupe de travail a été créé en janvier dernier », poursuit l’élue.

Depuis plusieurs années, la ville de Sceaux déploie une stratégie d’attractivité de son centre en créant des lieux de vie diversifiés. Pour être aidés dans cette grande transition, les services municipaux se sont tournés vers le Curious Lab’ il y a deux ans, dans un premier temps pour définir les modalités de création de ce fablab. « Nous voulions voir comment installer des lieux innovants avec de nouveaux modes de fonctionnement et en associant tous les acteurs de l’économie circulaire, sociale et solidaire. Nous étions donc à la recherche de nouveaux partenaires », explique Gauthier Grégoire, directeur du pôle transitions et développement local.

À la suite du premier défi, les services municipaux ont reçu pendant plusieurs semaines l’aide d’étudiants en école d’ingénieurs qui ont apporté des premiers éléments de réponse. « Leur travail a été très intéressant puisqu’il nous a permis d’avoir le retour d’un public plutôt jeune », poursuit Gauthier Grégoire. La ville a d’ailleurs continué à s’entourer de l’ensemble du monde étudiant, très présent à Sceaux, avec des étudiants en DUT ou en fac de droit « aux potentiels très différents », complète Gauthier Grégoire. Après une deuxième participation, qui portait cette fois-ci sur le développement d’une communauté autour du fablab, Sceaux s’est servie des propositions estudiantines pour passer à l’étape supérieure et s’en remettre au comité consultatif des transitions, composé d’une vingtaine de citoyens tirés au sort, d’élus et d’associations. « Cela a donné lieu à beaucoup d’échanges remarquables, se souvient Florence Presson. L’un des rapporteurs était d’ailleurs un jeune qui voulait lancer sa marque de textile et qui bénéficiera ainsi d’un terrain de jeu idéal. » Ce lieu sera ouvert deux demi-journées par semaine au grand public, aux scolaires et fonctionnera le reste du temps sur le principe de la contrepartie ; les occupants pourront louer une machine contre du temps ou des animations réalisées gratuitement. Le but : mixer les publics, encourager la créativité individuelle et retisser du lien social, au sens propre comme au figuré.

La quatrième promotion du Curious Lab’ a été lancée le 24 septembre avec dix-huit nouveaux défis de sept communes des Hauts-de-Seine. Les étudiants ont plusieurs mois pour faire émerger des premières solutions.© CD92/Olivier Ravoire

 

Gratifiant pour les étudiants

À Puteaux, un lieu novateur va entrer en piste en 2022 : la Maison des Mobilités douces. L’emplacement reste encore à définir mais le concept, lui, est déjà bien ficelé. « Il s’agit d’un lieu d’information pour les Putéoliens où l’on pourrait réparer son vélo, organiser des événements ou apprendre l’éco-conduite avec, pourquoi pas, une petite restauration », résume Quentin Semail, chargé de mission mobilités douces à la mairie. C’est lors de la troisième promotion que la ville a voulu voir comment installer ce type de lieu sur son territoire en s’entourant de trois étudiantes de l’IFG (Institut français de géopolitique). « Nous avons eu des échanges réguliers avec elles. Ce Curious Lab’ est gagnant-gagnant : il est intéressant pour les étudiants dans le cadre de leur cursus et il permet de faire gagner beaucoup de temps aux communes. Sans lui, nous aurions mis énormément de temps à proposer cette structure. Les étudiantes avaient des compétences en design que nous n’avions pas et qui nous ont permis de valoriser le projet », constate Quentin Semail. Dès le mois d’octobre 2020, Clarisse, Emmanuelle et Léa ont donc enfourché leurs vélos et sillonné les rues pour faire un état des lieux des infrastructures existantes. Un gros dossier de présentation d’une cinquantaine de pages est alors remis aux services municipaux avec une première proposition, celle d’un lieu pas uniquement tourné vers le vélo « mais aussi vers les trottinettes, le roller ou le skate, une sorte de tiers-lieu avec de la restauration où les personnes viendraient se reposer, précise Clarisse. On y a fait une analyse et toutes les propositions que l’on voulait », poursuit l’étudiante. C’est cette note qui a servi d’amorce. « C’est hyper gratifiant pour nous car cela montre que notre travail a intéressé la mairie », se réjouit Clarisse. Pour ces trois étudiantes en master géopolitique locale, le Curious Lab’ est un moment important de leur cursus car il s’articule autour d’un ensemble de cours qui s’étale sur six mois. « Notre master géopolitique locale est très axé sur la gouvernance des collectivités, donc le Curious Lab’ collait assez bien. Six mois, c’est une période finalement très courte mais on a réussi à s’investir dans un projet dont on n’était pas forcément spécialistes au départ. » Désormais sur les rails, la Maison des Mobilités douces a bénéficié d’un dernier coup de pouce de la part du Département qui a mis des moyens humains à la disposition de la mairie ; ainsi, pendant trois mois, une alternante du conseil départemental était détachée un jour par semaine à Puteaux pour superviser le projet. La ville poursuit également un deuxième projet mené avec le Curious Lab’, celui de son conseil éco-citoyen qui tient sa première réunion cet automne.

Zone de confort

Depuis le début du dispositif, dix écoles différentes ont apporté leur pierre à l’édifice. Pour l’Ieseg, école de management située à La Défense, le Curious Lab’ est l’occasion idéale de faire découvrir à ses étudiants un monde qui leur était jusqu’à présent inconnu, celui des collectivités locales. « Nous n’avions jamais fait travailler nos élèves avec les villes donc nous avons vu ce Lab’ comme une opportunité à explorer, résume Maria Castillo, responsable RSE et développement durable. Il fait sortir les étudiants de leur zone de confort en les faisant réfléchir sur des sujets pas forcément orientés à 100 % vers le business et le management. Les étudiants n’ont pas beaucoup de connaissances en la matière et c’est finalement pour nous le plus grand challenge : qu’ils comprennent comment fonctionne une collectivité. Ils ont parfois des idées qui marcheraient très bien dans une grande multinationale mais pas forcément dans une commune. » Une cinquantaine d’étudiants participent à chaque promotion du Curious Lab’ dans le cadre du challenge RSE, un projet obligatoire de trois mois et demi lors duquel les étudiants travaillent en équipe en étant guidés par un coach. « Il y a deux dimensions qu’on retrouve dans une collectivité et pas dans une entreprise : l’une citoyenne puisque les étudiants touchent du doigt des problématiques concrètes et l’autre politique. Le Lab’ peut ainsi les inciter à plus s’investir dans les villes », reprend Anne Couderc, chargée de relation entreprises. Ce challenge se termine avec une présentation et donne lieu à une note. Une deuxième partie de l’apprentissage de la RSE aura lieu l’année suivante, lors d’un cours plus théorique « Ils découvrent la réalité avec ce projet concret et à la fin ils sont très contents car c’est une expérience qui n’est pas réalisable partout », conclut Maria Castillo.

Après deux ans d’existence et quatre promotions, le Curious Lab’ voit désormais plus loin, franchit un cap et étend son accompagnement. Cette année, une enveloppe de 100 000 € va ainsi être débloquée par le Département pour permettre à cinq villes de concrétiser leurs projets pour un montant maximum de 20 000 € chacun. Le Curious Lab’ n’en finit plus de mettre en évidence la complémentarité du couple commune-Département et de propulser les idées locales de demain. 

Mélanie Le Beller

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