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Un savoir-faire à partager

Pour la deuxième année consécutive, le Département et la Chambre de Métiers et de l’Artisanat récompensent les artisans des Hauts-de-Seine avec le label Artisans du tourisme. Une diversité de métiers racontée à travers quatre portraits.
 
Retrouvez l’ensemble des lauréats
sur www.artisantourisme.fr

 

L’ami du pain

Ancien cuisinier devenu boulanger-pâtissier, Amaury de La Tour ne propose que des produits faits maison, locaux et originaux. Désormais, ses restes de pain lui permettent de fabriquer… de la bière.

À la fin de l’année scolaire, les neuf classes participantes présentent à l’oral leur travail. Les collégiens d’Évariste-Galois à Nanterre ont été récompensés par la mention « Au cœur de la classe ».©CD92/Julia Brechler

Les fournées s’enchaînent depuis le début de la journée pour Amaury de La Tour. Depuis cinq ans, l’artisan est installé en plein centre-ville de Clamart, lui au fournil, à l’arrière, et sa femme Khadija en boutique, auprès des clients. Ce duo de choc travaille depuis toujours dans l’artisanat mais à la base, Amaury était plutôt derrière les fourneaux. Pendant quinze ans, cet ancien de l’école Ferrandi a œuvré dans la restauration avant de se tourner vers la boulangerie-pâtisserie. Il passe alors son CAP et, il y a cinq ans, le couple rachète et refait à son goût cette affaire dans une rue commerçante de Clamart.

Horaires décalés, travail de nuit. Le métier de boulanger a ses défauts dont l’artisan s’accommode en fait très bien. « J’aime être en décalage avec les autres, travailler de nuit, quand tout le monde dort. » Avec ses bases en pâtisserie acquises pendant sa première formation, Amaury de La Tour a décidé d’élaborer une carte simple, faite de grands classiques mais a aussi fait parler son imagination. « Ce qui me plaît dans ce métier, c’est de partir de la matière brute et arriver à en faire une diversité de produits. C’est un métier qui permet d’être très créatif. » La spécialité de la maison – dont il tient la recette d’une ancienne habitante de la ville – s’appelle le « Clamartois » avec sa dacquoise, sa mousse au praliné, ses noix de pécan et ses amandes. Le gâteau a depuis été décliné à la framboise et à la pistache.

Parmi les maîtres mots du couple de La Tour, le bio et le fait maison. Le couple a su s’adapter en proposant des pains diététiques et avec peu de gluten mais sans oublier ses classiques. On trouve ainsi sur les étals des baguettes originales au sarrasin, à l’épeautre ou des tourtes de seigle. Ils ont aussi décidé de procéder en circuit court en s’approvisionnant auprès du dernier moulin hydraulique de l’Aisne qui ne travaille qu’avec des blés français. Une rareté notamment pour le sarrasin, plus généralement importé de l’étranger.

De la boulangerie à la brasserie, il n’y a qu’un pas qu’Amaury de La Tour a franchi depuis quelques mois en ajoutant à sa carte sa « Moissine », une bière à près de 7°. Particularité de cette blonde : elle est brassée avec les restes de son pain. Chaque soir, tandis qu’une partie des baguettes invendues part dans les associations caritatives, une autre va suivre un chemin un peu particulier. Direction un centre de réinsertion situé dans l’Essonne ou les pains sont séchés puis moulus afin d’en faire une « farine » qui remplacera 20 % du malt utilisé pour brasser la bière, en Belgique. Les pains au seigle, au sarrasin et à l’épeautre sont particulièrement recherchés, ce qui confère à cette « Moissine » un « goût de biscotte et des notes toastées de pain grillé », d’après son inventeur. Bientôt, cette bière deviendra celle « des Hauts-de-Seine » puisque le Clamartois s’est associé avec la brasserie Petite Couronne à Colombes, l’un des autres labellisés. Amaury de La Tour fera ainsi participer d’autres boulangers des Hauts-de-Seine qui apporteront eux aussi leur stock de pain invendu et, en contrepartie, pourront vendre des bouteilles dans leurs boutiques. C’est aussi à cela que peut servir le label Artisans du tourisme que le boulanger demande pour la première fois. « Ce label est intéressant pour capter un public plus large, promouvoir notre particularité – la bière – et notre philosophie de travail qui est le bio et le fait maison. » Le boulanger veut aussi faire évoluer sa bière gustativement avec de nouvelles gammes comme celle aux fruits rouges, toujours avec les produits non utilisés en boulangerie comme des fraises ou des framboises pas assez parfaites pour décorer les tartelettes et entremets. Chez Amaury de La Tour, rien ne se perd, tout se transforme. 

Mélanie Le Beller

 

Le cuir dans la peau

Il y a sept ans, Carole Pradelle a quitté la finance pour devenir maroquinière-sellière. Elle fabrique aujourd’hui des accessoires de mode et de décoration quasi sur-mesure.

À la fin de l’année scolaire, les neuf classes participantes présentent à l’oral leur travail. Les collégiens d’Évariste-Galois à Nanterre ont été récompensés par la mention « Au cœur de la classe ».©CD92/Julia Brechler

En japonais, Ippyoo signifie « un sac ». Pour sa marque, Carole Pradelle a choisi un nom simple, à l’image des produits qui sortent de son petit atelier intimiste, avec des lignes épurées et des couleurs sobres, intemporelles. La douce odeur du cuir flotte dans l’air et tout autour des rouleaux de toutes les couleurs s’empilent : c’est sous les toits de sa maison que Carole Pradelle a décidé de lancer sa marque. Ici, elle élabore ses gabarits, découpe le cuir parfois à l’emporte-pièce pour les détails, coud et astique les tranches pour les rendre totalement lisses avant la presse à chaud.

Dans une première vie, Carole Pradelle a d’abord manié les chiffres. Après une première carrière de directrice financière, changement de cap il y a sept ans. « J’avais besoin de quelque chose de plus concret, de passer d’une matière brute à un produit fini », résume la maroquinière. Depuis qu’elle est adolescente, la maroquinerie l’attire. « J’étais fascinée par le montage du cuir mais il me manquait le savoir-faire. » Elle suit alors une formation à l’Atelier Grégoire, encadrée par un Meilleur ouvrier de France. L’idée de lancer sa marque sommeillait en elle, l’apprentissage de toutes les techniques l’a réveillée. À la sortie de l’école, la prestigieuse maison Hermès l’embauche. Pendant un an, elle est « artisan-table » dans l’atelier qui confectionne l’iconique sac Birkin. « C’est l’une des deux pièces les plus complètes de la marque. La fabriquer m’a formée à la rigueur et à la précision. » Après encore quatre ans chez un designer parisien, Ippyoo se lance, enfin.

L’idée de lancer sa marque sommeillait en elle, l’apprentissage l’a réveillée.

Carole est aujourd’hui à la fois maroquinière et sellière, c’est-à-dire qu’elle travaille le cuir à la main et à la machine. « La seconde est plus rapide mais la première permet un résultat plus durable dans le temps. » Chacun de ses modèles est fabriqué en très petite série, – voire sur-mesure – pour des particuliers ou des entreprises.

Ippyoo entame sa première année réelle d’existence mais le bébé grandit vite et surtout, touche à tout. En plus du cuir, Carole Pradelle travaille également le verre avec des dames-jeannes, ces grosses bonbonnes que cette passionnée de déco chine, déshabille de leur enveloppe d’osier puis nettoie avant de les rhabiller d’une élégante cravate ou anse de cuir et d’une guirlande lumineuse.

Avec le label Artisan du tourisme, Carole Pradelle veut maintenant passer l’étape supérieure : se faire connaître mais aussi faire découvrir son travail au plus grand nombre. « Ce label peut être très porteur sur le volet savoir-faire car mon métier n’est pas très connu. Les clients sont encore énormément dans une démarche de consommation. » Dans l’atelier, la place vient bientôt à manquer. S’agrandir et acquérir du nouveau matériel, tel est l’objectif de Carole Pradelle ces prochains mois. Ippyoo n’a pas encore fini de se développer.

Mélanie Le Beller
www.ippyoo.com

 

La beauté dans le béton

Transposant des œuvres dans la chaux et le béton, Serge Ducourant a inventé un savoir-faire unique en son genre, à la croisée de l’art et de la décoration. 

À la fin de l’année scolaire, les neuf classes participantes présentent à l’oral leur travail. Les collégiens d’Évariste-Galois à Nanterre ont été récompensés par la mention « Au cœur de la classe ».©CD92/Julia Brechler

Personne ne travaille la pierre comme moi, j’ai dû inventer un vocabulaire propre », lance Serge Ducourant au moment de dévoiler le mystérieux processus qui se déroule dans sa maison-atelier isséenne. Au commencement se trouve la bétonnière dans laquelle il élabore d’abord une « pierre liquide », à base de chaux ou de béton. Une fois solidifié sous forme de plaque, ce support minéral est creusé, griffé par ses scalpels et ses couteaux pointus puis rempli de motifs qui restituent peu à peu le modèle choisi. Le salon-galerie donne un bon aperçu de cette technique grâce à laquelle il « minéralise » de grands maîtres : Picasso, Van Dongen, Schiele… Ces tableaux se regardent autant qu’ils se déchiffrent de la paume puisque le sable « dont on peut faire varier la taille des grains comme un photographe utiliserait différentes qualités de papier » crée des effets de relief. 

Ni tailleur de pierre, ni sculpteur, Serge Ducourant a lui-même forgé le terme de « ciseleur de pierre » pour se désigner. Et bien qu’il soit le premier à s’en réclamer, on ne devient pas ciseleur de pierre en un jour ! « Depuis toujours j’ai un côté artistique, je me suis essayé au jazz, au rhythm’n’blues au reggae puis à la salsa. Mais il faut croire que cela ne suffisait pas, j’avais besoin de m’exprimer autrement qu’avec un saxophone. Il y a déjà quinze ans que je me suis mis à faire des fresques », raconte-t-il. Transporté par cet art « qui dure depuis des siècles », il se rappelle sa sidération devant la chapelle Sixtine ou la grotte de Lascaux, d’ailleurs reconstituée par ses soins chez un particulier dans le Sud-Ouest. Mais pour qu’il se décide à en faire un métier, il a fallu « l’opportunité » d’un licenciement économique. En fondant son commerce, le ciseleur de pierre devient aussi « marchand de sables ». Dès lors, il n’aura de cesse d’adapter son art aux contraintes de la décoration. Au Conservatoire des Ocres de Roussillon, il perfectionne sa maîtrise de la fresque en apprivoisant le stuc, le grafito ou le tadelakt marocain. À la place de la fresque classique « qui oblige à casser les murs et fait de beaucoup de poussière », lui vient l’idée d’une version amovible, moins encombrante. Puis des pigments poudrés et lumineux de la préhistoire, il se projette vers les matériaux du futur, s’appropriant le béton fibré, « rempli de petites fibres de verre ce qui le rend plus résistant », lisse et velouté au toucher. Comme la chaux, le béton se décline sous forme de tableaux sauf que ces derniers sont aussi encastrables dans le mur d’une salle de bain, lessivables à souhait, et que Serge Ducourant sait les rendre luminescents dans l’obscurité. Ce matériau fait aussi de jolis échiquiers et plateaux de table. 

En fondant son commerce, le ciseleur de pierre devient aussi « marchand de sables ».

Le catalogue d’une cinquantaine d’œuvres, consultable en ligne, est, à son image, éclectique. Peintres européens du début du vingtième siècle, Lascaux, musique de Beethoven à Miles Davis, Hokusai, Gaudi, calligraphie perse ou asiatique, masques africains, et même photographies, comme ces montagnes dans la brume, capturées par le moine boud-dhiste Mathieu Ricard…. Sur les murs de son atelier, la pierre de Rosette, dont les hiéroglyphes le font soupirer, n’attend plus d’être déchiffrée mais à nouveau incrustée dans la pierre. Spontanément, il va vers d’autres cultures que la sienne : « Ma femme est franco-sénégalaise, j’ai des amis japonais. J’aime le mélange et je suis heureux quand les gens affichent leur sensibilité au beau de l’autre », explique-t-il. Sa touche personnelle réside aussi dans ses talents d’infographiste. Pour mieux adapter le rendu au décor, il se déplace à domicile avec un appareil capable « d’identifier une teinte parmi des milliers d’autres », peut adapter le format de l’œuvre retenue aux volumes de la pièce et livre une simulation numérique du projet. Mais là s’arrêteront les confidences du marchand de sables, il ne faudrait pas donner des idées à un géant suédois… 

Pauline Vinatier
marchand-de-sables.com

 

Les caprices du chocolat

Installée à Fontenay-aux-Roses, Tiphaine Corvez s’est battue pour réaliser son rêve : procurer « du bonheur aux gens » en apprivoisant le chocolat, une matière qui la fascine.

À la fin de l’année scolaire, les neuf classes participantes présentent à l’oral leur travail. Les collégiens d’Évariste-Galois à Nanterre ont été récompensés par la mention « Au cœur de la classe ».©CD92/Julia Brechler

Avenante, souriante, la jeune chocolatière a créé son entreprise à vingt-quatre ans, ouvert sa boutique à trente, et a tout d’une bonne élève du chocolat. Mais sur la devanture de son magasin de Fontenay-aux-Roses, elle s’affiche en grand format, un bandeau de chocolat autour de ses yeux clairs, ou le museau barbouillé, comme un enfant trop glouton. Avec le chocolat Tiphaine Corvez ne calcule pas, mais sans ce petit grain de folie sa vocation aurait-elle résisté aux embûches ? À treize ans, la fillette se régale avec le film Le Chocolat, dans lequel Juliette Binoche ouvre une chocolaterie. « C’est là que j’ai eu envie de faire ce métier. Comme elle, je voulais donner du bonheur aux gens. Mais le vrai goût du chocolat je ne l’ai découvert que bien plus tard ! », lance celle qui dit avoir été élevée aux milka, kinder, nutella et autres friandises industrielles malgré un père cuisinier. Mais le scénario de ses rêves attendra. Adolescente, Tiphaine Corvez se coule dans le moule – « mes parents me disaient passe ton bac S d’abord, tu verras après ». Puis elle entame médecine sans appétit : « Je voulais aider les gens en les soignant, mais je me sentais mieux avec mon père, qui animait à l’époque des ateliers de cuisine, qu’en rentrant de la fac ! » 

Sur ses conseils, elle se forme d’abord en alternance chez un cuisinier puis chez un chocolatier où elle découvre les subtilités de cette matière. « Le chocolat est capricieux, un peu comme une personne, ce qui fonctionne bien un jour peut ne pas marcher le lendemain ! En fonction de l’humidité, de la température ambiante, il ne réagit pas de la même manière. Je crois que même mon humeur peut compter sur le résultat ! » Ses CAP en poche et après deux courtes expériences chez Jacques Genin puis Adrien et Chocolat, elle décide de fonder son entreprise sans attendre : « Le côté égocentrique de l’artisan fait qu’il a envie d’exprimer sa patte !  Ce qui m’intéresse dans ce métier, c’est la création.  Et puis j’avais le soutien des trois personnes qui comptent le plus pour moi, mes parents et mon compagnon ». C’est d’ailleurs dans le garage de la maison familiale qu’est aménagé son premier atelier. La première ligne de ganaches « Tiphaine Corvez », savant mélange de chocolat et de crème parfumée qui fait la signature d’un artisan, sort de l’ordinaire : les carrés sont plutôt petits, le chocolat de couverture plutôt épais. « Ce n’était pas un choix mais le manque d’expérience. Les cadres que j’avais achetés étaient trop petits et comme je n’avais pas non plus les machines les plus perfectionnées, l’enrobage manquait de finesse ». Au lieu de corriger le tir, elle en fait une marque de fabrique auprès de sa clientèle sur les marchés d’Antony et de Cachan. 

C’est dans le garage de la maison familiale qu’est aménagé son premier atelier.

Mais alors que l’entreprise commence à trouver son rythme, il y a deux ans un incendie ravage son atelier. « Je crois que c’était le destin. Sans cela je n’aurais jamais sauté le pas d’ouvrir une boutique », estime-t-elle aujourd’hui. À l’époque, elle réussit à bénéficier de la solidarité de gens du métier et à collecter des fonds sur une plateforme en ligne pour tenir jusqu’aux fêtes de Pâques. En trois mois, un nouvel emplacement est trouvé et aménagé à Fontenay-aux-Roses. Cette nouvelle affaire prend rapidement son envol et emploie aujourd’hui cinq personnes, dont son compagnon, Simon. Dès qu’elle en a le loisir, la chef d’entreprise s’enferme dans son laboratoire, où, avec une rigueur toute scientifique, elle travaille à rendre ses produits plus sains. Ce qu’elle appelle sa « recherche développement ». Ses ganaches, à base de crème, dépourvues de conservateur, sont donc produites au dernier moment. Ses pâtes de fruits ne contiennent que des ingrédients naturels et sont sucrées au miel. Elle a banni partout arômes et colorants mais sans renoncer à quelques touches de couleur. Pour égayer un chapeau du lutin de Noël en chocolat, elle utilisera ainsi de la poudre de fruits « qui amène un goût en plus ». Elle tente à présent de trouver la recette des guimauves sans gélatine animale et s’impliquer dans la création de filières équitables. Procurer du bonheur au gens, oui, mais pas à n’importe quel prix… 

Pauline Vinatier
www.tiphainechocolat.com

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