Posté dans Solidarité

UNE ÉCOLE PAR-DELÀ LES FRONTIÈRES

Les femmes, qui suivent quatre heures de cours de langue par semaine minimum, peuvent passer en fin d’année leur diplôme d'études en langue française. CD92/Olivier Ravoire

À l’École française des femmes de Nanterre, des « apprenantes » issues des quatre coins du monde suivent des cours de français et de culture générale pour mieux prendre leur envol dans la société.

Vous organisez une fête pour vos trente ans. Vous glissez un mot dans la boîte aux lettres pour prévenir vos voisins » : ce matin, l’exercice donné par Alain Robert à ses « apprenantes » est on ne peut plus pratique. Ici les cours s’appuient dès que possible sur des situations de la vie quotidienne. Avant cette séquence, qui a fait appel à leurs capacités d’expression, ces semi-débutantes ont travaillé leur compréhension, écrite et orale. « On essaie d’aborder toutes les compétences linguistiques car les lacunes varient selon les élèves, explique le professeur de français langue étrangère (FLE). Certaines, par exemple, sauront bien s’exprimer à l’oral mais pourront rencontrer des difficultés à l’écrit. » À raison de deux heures, deux fois par semaine, le cursus est exigeant mais les élèves assidues. « Si ce n’était pas réservé aux femmes, je ne suis pas certain qu’elles viendraient, souligne l’enseignant. On se sent vraiment utile. »

Cinq cents femmes sont accueillies cette année au sein des six Écoles françaises des femmes des Hauts-de-Seine. Arrivées en France pour des raisons politiques, économiques ou pour suivre leur conjoint, elles ont déjà passé l’étape de l’alphabétisation. « Celles que nous accueillons savent lire, écrire et parler le français, même si c’est parfois de façon rudimentaire. Nous leur permettons d’aller plus loin dans leurs apprentissages, explique Bénédicte de Kerprigent, directrice de l’Institut des Hauts-de-Seine, qui porte ce dispositif avec le soutien du Département dans des communes relevant de la politique de la ville. Avec tout leur « capital personnel », ces femmes pourront ensuite « s’investir dans leur projet de vie et participer à la vie citoyenne et économique de notre pays. » Le perfectionnement linguistique, clé de toute vie sociale et professionnelle, forme un socle obligatoire pour toutes les apprenantes, complété par des cours d’informatique, des ateliers d’éducation à la santé ou encore un parcours citoyen – qui les familiarise avec les institutions, le droit de la famille ou les démarches administratives… – sans oublier des sorties culturelles. Les frais d’inscription, à hauteur de quinze euros par an, rendent cette scolarité accessible à toutes et le bouche-à-oreille a fait son œuvre. « Dès l’ouverture de notre première École, à Châtenay-Malabry en 2008, on a vu arriver des femmes de toutes origines et de tous niveaux, des petits niveaux mais aussi des femmes médecins ou avocates. » Une partie d’entre elles est désormais orientée directement par les référents de parcours, dans le cadre du Programme départemental d’insertion et de retour à l’emploi (PDI-RE), et bénéficie de la gratuité pour l’inscription et les manuels scolaires.

Partage interculturel

Soixante-cinq femmes fréquentent l’École de Nanterre, ouverte en 2019, installée depuis un an dans des locaux neufs en centre-ville. Parmi elle, Ourida. Sa petite dernière entrée en maternelle, la trentenaire a pu enfin prendre du temps pour se perfectionner. « Avant, j’évitais de parler avec des Français. Il me semblait que je ne m’exprimais pas assez bien, j’avais honte, confie-t-elle. Mais dans cette École, on n’est pas jugée et j’ai repris confiance en moi. » Comme semblent le murmurer sur les murs des portraits de femmes célèbres, il est ici permis de rêver… si l’on s’en donne les moyens. « Il y a vraiment beaucoup d’exceptions », constate Ourida, au sortir d’une séance de gymnastique grammaticale avec son groupe de A2, deuxième des quatre niveaux proposés à Nanterre. La grammaire n’est cependant jamais abordée pour elle-même. « Ce qui est important, estime la professeur Cécile Vrignon, c’est le partage culturel et interculturel. Chaque arrivée est l’occasion de faire connaissance et de faire grandir le groupe d’un point de vue humain. » Ghizlane qui, depuis son arrivée, ne se sent « pas aussi entourée qu’au Maroc », apprécie ce climat d’échange et d’entraide. « Avec les autres femmes, j’aborde des sujets qui comptent pour moi, comme la scolarité des enfants », explique-t-elle. En juin, certaines d’entre elles passeront le diplôme d’études en langue française (DELF), un certificat attestant leur niveau en français et facilitant par la suite leurs démarches, administratives ou de formation. « En Algérie, je n’ai pas eu la possibilité de poursuivre mes études. Ce serait mon premier diplôme », sourit Ourida.

Codes sociaux

En matière d’insertion, les situations des femmes sont contrastées : alors que les plus qualifiées ont du mal à faire reconnaître leurs diplômes et leurs compétences, d’autres en sont encore à la définition de leur projet. Certaines optent, en plus du cursus général, pour un accompagnement spécifique « emploi » comprenant des cours de FLE et d’informatique « à visée professionnelle » ainsi qu’un suivi individuel. L’occasion pour l’équipe d’aborder les « codes dans le monde du travail » ainsi que certaines questions de société : « La préparation d’un entretien d’embauche permet de sensibiliser à la tenue requise mais aussi d’aborder, dans certains cas, la question du voile, raconte Bénédicte de Kerprigent. On leur explique, sans aucun jugement, que cela peut fermer des portes. » Ourida comme Ghizlane aimeraient bénéficier de cet accompagnement l’année prochaine : la première se voit bien travailler auprès des enfants. La seconde, qui élève seule ses deux garçons, s’est déjà mise en quête d’une activité, aidée par Amandine Maloberti, coordinatrice de l’école et accompagnante « emploi » : « Quand on commence à travailler sur leur projet, dit-elle, l’emploi leur paraît très loin, mais au fur et à mesure cela devient plus tangible ». En 2021, sur la soixantaine d’apprenantes, quatorze ont trouvé une formation ou un emploi dans des domaines aussi variés que la petite enfance, l’ingénierie, la vente, le secrétariat, le dessin industriel…

À Nanterre, des femmes de vingt-deux nationalités différentes se côtoient, partageant une même expérience du déracinement et, souvent, de la maternité ; pour les six Écoles, ce n’est pas moins de quatre-vingt cinq nationalités qui se trouvent réunies. « Ce qui domine entre elles, c’est la fraternité, estime Bénédicte de Kerprigent. Nous formons un petit territoire au-delà des amalgames. Il n’y a pas une année où l’on n’a pas respecté notre cahier des charges, qui est de vivre ensemble nos différences intelligemment. » Dernier exemple en date, ces Ukrainiennes qui ont rejoint, sur les bancs de l’École, d’autres femmes venues de Russie. 

Pauline Vinatier
www.institut-hauts-de-seine.org

 

Une campagne contre la précarité menstruelle

Le 8 mars dernier, à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, l’Institut des Hauts-de-Seine et le Département ont lancé la campagne « Toutes culottées » pour lutter contre la précarité menstruelle : plus de trois mille culottes périodiques lavables doivent ainsi être distribuées cette année dans les écoles, lors des tournées du Bus Santé Femmes et à l’occasion des forums Giga La Vie dans les collèges

Les commentaires sont fermés.