Posté dans Reportage

UNE « SUPER » VISION EN SOUS-SOL

CD92/Willy Labre

À Suresnes, le PC Gaia, tour de contrôle du réseau départemental d’assainissement, assure une surveillance en temps réel du transport des eaux usées.

Une fois n’est pas coutume,  la bouche d’égout est grande ouverte. Près de quatre mètres plus bas, l’équipement des hommes est digne de celui de mineurs de fond : combinaison et hautes cuissardes, casque et lampe puissante, détecteur de gaz et masque auto-sauveteur à la taille. À vrai dire les égouts ne sont pas un milieu accueillant. La veille il a beaucoup plu et l’eau est montée, malmenant la conduite provisoire qui permettait à l’équipe de la SADE d’œuvrer à pied sec. Ce matin, le premier réflexe des ouvriers, mollets dans l’eau, est de réparer les dégâts. Ses dimensions à taille humaine – 1,30 m de large sur 2,30 m de haut – classent l’ouvrage, situé rue Aristide-Briand à Issy-les-Moulineaux, parmi les canalisations visitables, à l’instar des deux tiers du réseau départemental. « C’est une canalisation classique, relativement grande pour le réseau, explique Jean-Pierre Portal, chargé de travaux au sein de la direction de l’eau du Département. Cela dit, dans certains collecteurs du Siaap [syndicat qui gère les stations d’épuration de l’agglomération parisienne, Ndlr], vous pouvez rentrer un camion ! » Les réseaux arrivant des communes, à l’inverse, sont plus exigus et pour les rénover, une tranchée peut s’avérer nécessaire. Le vieillissement de l’ouvrage dont l’origine peut remonter au « Paris d’Haussmann » a déclenché cette réhabilitation sur 250 mètres. Après inspection, « le collecteur présentait des fissures et un décollement des enduits. Le risque était l’apparition d’infiltrations dans le sol, voire l’effondrement. » Lors d’une première étape, la canalisation en meulière, pierre typique présente en surface comme en sous-sol, a été mise à nu. Puis une première couche d’enduit a été posée. Au son des pistolets à clous, les ouvriers fixent à présent une armature de fer sur la voûte du collecteur pour la consolider. Le tout sera parachevé par une ultime couche protectrice, profilée pour que l’eau glisse aisément. Ainsi paré, l’ouvrage retrouvera sa tranquillité pour longtemps. Durée de vie de ces six mois de réfection : « cinquante à cent ans ».

Entre vingt et cinquante entreprises interviennent quotidiennement sous terre, sans compter les descentes de la Sevesc, délégataire pour l’exploitation du réseau d’assainissement.© CD92/Willy Labre
Le réseau départemental, qui court de ville en ville sur 628 kilomètres, est scruté par plus de mille capteurs de hauteur, de vitesse ou encore de débit des effluents.© CD92/Willy Labre

Instant T

Ce réseau qui court de ville en ville sur plus de six cents kilomètres, trahi par ses plaques d’égout, est scruté en permanence par une armée de plus de mille capteurs – de niveau, de vitesse et de débit des effluents, de position des vannes, de qualité physico-chimique… Sans compter dix-sept pluviomètres. Les mesures aboutissent au siège de la Sevesc à Suresnes sur les écrans du PC Gaia – pour « gestion assistée par informatique de l’assainissement ». Là, de 6 h 30 à 18 h 30, deux superviseurs se relaient pour assurer une surveillance en temps réel et en continu du transport des eaux usées vers les stations du Siaap. Ils naviguent à leur guise sur l’interface métier Topkapi qui centralise les informations de « trafic » sous forme imagée : vue pluviométrique des Hauts-de-Seine, avec ses coupelles indiquant les volumes, alarmes de couleur et d’intensité variables, niveaux de Seine… tout y est. En un clic, l’opérateur peut afficher le niveau d’eau d’une canalisation – en mètres NGF (nivellement général de la France), mesure intégrant « la hauteur du terrain naturel » pour pouvoir comparer les niveaux entre eux et avec la Seine. Sur des schémas synoptiques, la bonne marche des stations du Siaap chargées de remettre dans le droit chemin l’eau entraînée par l’effet de la gravité vers la Seine, est restituée à la pompe près. La moindre intervention de maintenance, susceptible de modifier la configuration du réseau, est aussi tracée. « Il faut que le plus d’équipements possible soient fonctionnels à l’instant T. Cette surveillance permet d’intervenir rapidement en cas d’anomalie, en envoyant par exemple une équipe en cas de panne sur une station », explique Julie Bertrand, responsable du PC Gaia. Dans ces situations, les superviseurs mènent l’enquête. «  On joue un rôle de garde-fou. Comme je suis têtu, j’aime comprendre ce qui se passe sur le terrain, explique Christophe Neyt, ancien technicien en usine d’eau potable. Sans doute qu’avoir été sur des missions d’exploitation auparavant est un avantage. »

Au PC Gaia, deux opérateurs se relaient pour assurer une surveillance en temps réel du réseau et des installations et pour veiller à la sécurité des nombreux intervenants.© CD92/Willy Labre

« Milieu hostile »

La prise de poste débute à 6 h 30 par une revue des installations avant l’envoi d’un bulletin aux équipes d’exploitation, mentionnant les événements de la nuit, la météo ou encore les niveaux de Seine. À 7 h 30, les appels des entreprises inondent littéralement le PC Gaia. Les demandes d’accès, autorisées chaque semaine, restent en effet conditionnées à la météo du jour. Entre vingt et cinquante entreprises se présentent quotidiennement à l’opérateur qui donne ou non le feu vert. « C’est beaucoup, certes, mais il y a plus de 600 km de réseau, quarante usines et mille capteurs, ce qui demande énormément de maintenance et d’études préalables », explique Julie Bertrand. De grands projets, en particulier de transport, qui « peuvent occasionner des déplacements de réseau » contribuent aussi à cette agitation en sous-sol. En fin de journée, les mêmes équipes signaleront leur sortie. Cette procédure, tracée sur l’interface Gaia Sécurité, est nécessaire, les égouts étant « un milieu hostile ». Un premier risque, lié au milieu confiné et aux eaux usées, est le sulfure d’hydrogène, un gaz mortel. L’autre est la montée des eaux, du fait de manœuvres en cours ou par temps de pluie. « Il faut bien analyser les événements et être réactif pour diriger les équipes et les entreprises. En cinq minutes, surtout en été, un orage peut se développer et l’eau monter. Tout le monde doit être évacué au plus vite », explique Christophe Neyt. C’est précisément ce qui s’est passé sur le chantier du collecteur de la rue Aristide-Briand, à Issy-les-Moulineaux, évacué la veille dans la matinée. Quelques instants plus tard, le collecteur, si calme, était parcouru par une eau sous pression.

Certaines anomalies, détectées depuis la tour de contrôle, peuvent déclencher une intervention sur place.© CD92/Willy Labre

Dilemme hydraulique

Le PC Gaia voit venir les pluies de loin. Sur l’interface de prévision Calamar, reliée à la station Météo France de Trappes, elles apparaissent sous forme de nuages allant du bleu au rouge. L’un d’entre eux, à l’approche de Gennevilliers, ne préoccupe pas outre mesure le superviseur : il ne tombera que quelques millimètres, très localisés. « C’est une journée calme. Lundi, par contre, on attend une dizaine de millimètres sur l’ensemble du territoire. Ce qu’on ignore encore, c’est en combien de temps. » Depuis peu, un logiciel de prédiction permettant une « gestion dynamique » de chaque événement a été déployé. Baptisé Gaia Hydrométéo, cet « outil puissant qui a demandé trois ans de développement et de paramétrage » croise le modèle hydraulique du réseau avec des données de terrain et météo. Une aide en temps réel pour les opérateurs, confrontés à des choix cornéliens. D’un côté l’enjeu est de ne pas rejeter en Seine, via les déversoirs d’orage, pour préserver la qualité de l’eau et les milieux naturels, de l’autre le but est d’éviter à tout prix une saturation du réseau, calibré pour des pluies décennales, qui risquerait d’aboutir à des débordements sur la chaussée. « Ce logiciel nous permet de savoir s’il faut ouvrir les exutoires et déverser en Seine, parce que le réseau est arrivé à sa limite, ou si, au contraire, on peut continuer à stocker », explique Diane Descombes, cheffe du service Maîtrise des risques, performances et innovations. Dès lors le PC peut faire remonter à distance une partie des vannes situées en bord de fleuve pour conserver les eaux grossies par la pluie plus longtemps dans les canalisations. L’évolution du matériel le permet. Après les déversoirs traditionnels – des barrages à poutrelles fixes – les vannes automatisées, capables de s’ajuster aux niveaux respectifs du réseau et de la Seine, se sont développées. Enfin sont apparues les vannes télé-gérables, des « déversoirs d’orage ++ » alliés de la gestion dynamique. Ce pilotage fin n’est cependant pas adapté à tous les types de pluie. « Avec une pluie moyenne et continue, les réseaux vont être capables d’absorber les excédents, ce qui ne sera pas le cas si la même quantité tombe en une heure. » Un scénario orageux, donc. Or, ces dernières années, les deux cadres de la Sevesc sont formelles, la répartition des pluies a changé et la fréquence des orages augmente : « ils ne se limitent plus aux seules périodes estivales et les pluies sont de plus en plus intenses ». Dans cette situation, les déversements en Seine ne peuvent pas toujours être évités. La prévention se déplace alors sur le terrain des inondations avec la mise en place de bassins de rétention – comme celui d’Issy-les-Moulineaux – protégeant les habitants dans les points bas. Ces derniers temps, les crues, phénomène d’ordinaire hivernal, réservent aussi des surprises comme en 2016 lorsque la Seine était montée en juin. En ce début d’année, la vigilance reste de mise. « On ne sait plus trop à quoi s’attendre. Pour l’instant, le niveau est très bas mais cela peut changer à tout moment. Le plus redoutable, ce sont les crues éclair », conclut Christophe Neyt. Dès lors ce n’est plus les eaux usées qu’il faut empêcher d’aller en Seine mais le fleuve sorti de son lit dont il faut contrer l’intrusion dans les égouts.

Pauline Vinatier

 
 
 

 

 

Les commentaires sont fermés.