Les Brillants, Meudon, 1913. © Ville d’Issy-les-Moulineaux / François Doury
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CONSTANT PAPE ET L’ESPACE DU TEMPS QUI PASSE 

Premier volet à Issy-les-Moulineaux de l’exposition Constant Pape, la banlieue post-impressionniste, organisée par le Musée français de la Carte à jouer et le Musée d’Art et d’Histoire de Meudon.

Étude pour Le Dimanche à la fontaine Sainte-Marie, forêt de Meudon, 1901.© Ville de Gray / Musée Baron Martin / Claude-Henri Bernardot

Enfants gâtés que nous sommes, qui ne jurons que par les grands maîtres de l’impressionnisme pour regarder la peinture changer en même temps que la banlieue ! La campagne de restauration menée par le Musée français de la Carte à jouer vient placer dans une lumière neuve les œuvres négligées de Constant Pape (1865-1920), l’un de ces « petits maîtres » de la deuxième génération qui coltinèrent le chevalet dans une nature urbaine en voie de disparition. Né à Meudon, élevé à Clamart, familier des chemins d’Issy, Constant Pape fut ce qu’on pourrait appeler aujourd’hui un « locagraphe », qui n’aura consommé que du paysage local ou presque. Sans révolutionner la cuisine, mais avec un solide savoir-faire. Ses professeurs officiels se nomment Louis Français et Antoine Guillemet, représentants de l’École de Barbizon qui travaille, en précurseur, la nature en plein air. Il les rencontre dans la guinguette que tiennent ses parents à Clamart, suit leurs principes et leur enseignement dans la lignée de leur maître à tous, Jean-Baptiste Corot. Une influence immédiatement lisible dans les arbres tels que les peint Constant Pape : ce n’est pas le frémissement impalpable des impressionnistes, mais des volumes, structurés et balayés par le vent. Constant Pape est un classique qui éclaircit sa palette après un séjour à Auvers-sur-Oise, « the place to be » quand on est peintre à l’époque ; il y rencontre, dit-on, Cézanne, Monet et Pissarro. Dans le parcours de l’exposition, son goût pour une peinture spontanée – oserait-on dire une cuisine de bistrot faite avec des produits frais cueillis sur place – s’affirme avec force dans les petites études, de la taille d’une main, où le brun du panneau vient, par exemple, dessiner les encadrements de fenêtre d’une Vieille Maison Louis XIV rue Chef-de-Ville, à Clamart. À l’autre extrémité de son art, il y a les grands formats sur toile, qu’il expose régulièrement au Salon des artistes français, où les sujets de proximité prennent une autre dimension, vigoureuse parfois et parfois oppressante, comme cette Vieille Carrière, à Issy-les-Moulineaux, avec son ciel bas et lourd, ses pierres tranchées et ses corbeaux, qui pourrait faire penser au symbolisme.

Pape fut ce qu’on pourrait appeler aujourd’hui un « locagraphe »

Vieille Maison Louis XIV rue Chef-de-Ville,1919.© François Doury

Une banlieue idéalisée

L’observation du territoire familier et l’amour de la peinture conduit Constant Pape à multiplier les ressources de son métier : restaurateur de tableaux, il répond également à de nombreuses commandes pour des décors de mairie, où résiste une banlieue rurale, nature et traditions, qui n’existe plus vraiment sous l’urbanisation, le fer et le charbon. Charlotte Guinois, conservatrice au Musée français de la Carte à jouer et commissaire scientifique de l’exposition, insiste, au-delà du talent de paysagiste et de coloriste de Constant Pape, sur sa « vision idéalisée, voire nostalgique de la banlieue ». En effet, quand, enfant en 1871, il déménage de Meudon à Clamart, les Prussiens sont passés par là et le monde a changé ; la Première Guerre mondiale n’aura pas plus de répercussions visibles sur ses sujets ni sa manière. C’est un peu comme si Constant Pape tenait la bride d’une dernière monture afin de retenir le cheval-vapeur qui s’annonce… Mais par la grâce du temps figé par la touche, il nous ouvre aujourd’hui d’autres horizons. Observons son chef-d’œuvre, Les Brillants, Meudon, qui lui vaut en 1913 la médaille d’or du Salon. Sur le motif, il tourne le dos à la villa où Rodin s’est installé pour regarder loin vers la capitale suggérée. À première vue, on se demande ce qu’on a bien pu trouver à ce tableau. Il faut alors s’en approcher. Indiscernable ou presque derrière le bouquet d’arbres à droite, il y a la Tour Eiffel dans sa parure d’époque. Par déduction topographique, le pont sur la Seine, entre Boulogne et Issy, cisaillant le regard au débouché du sentier, est le viaduc d’Auteuil, dit du Point-du-Jour, qui sera remplacé par le pont du Garigliano ; on devine sous le panache blanc le chemin de fer de la Petite Ceinture. Quant au spectaculaire monument de style mauresque avec ses deux tours où converge la perspective, c’est l’ancien Palais du Trocadéro construit pour l’Exposition Universelle de 1878, qui sera démantelé en 1935. Si les impressionnistes furent les témoins de la lumière, alors Constant Pape est ici le peintre de l’espace du temps qui passe. n

Didier Lamare
Musée français de la Carte à jouer à Issy-les-Moulineaux jusqu’au 13 juillet.
Puis au Musée d’art et d’histoire de Meudon de septembre à janvier. Enfin à Clamart en 2025.

 
 
 

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