Le parc de Sceaux photographié par Eugène Atget en 1925. © Musée du Domaine départemental de Sceaux
Posté dans exposition

DOMAINE DE SCEAUX, LE TEMPS RETROUVÉ

Onze agrandissements du pionnier de la photographie, Eugène Atget, sont exposés en plein air dans le parc départemental de Sceaux, dans le cadre du centenaire de son entrée dans le domaine public.

Allée de la Duchesse. Statue de la Servitude, Mars,8 h du matin, 1925, retirage.© Musée du Domaine départemental de Sceaux
Parterres du château. Statue de Vertumne, Mars, 7 h du matin, 1925, retirage.© Musée du Domaine départemental de Sceaux

Si l’expression « piéton de Paris » n’avait été, en 1939, réservée à son usage par le poète Léon-Paul Fargue, elle eût probablement trouvé son bonheur un peu plus tôt dans la personnalité insaisissable d’Eugène Atget (1857-1927). On dit qu’il avait écumé les mers sur les paquebots transatlantiques avant de se vouloir comédien, puis de se désirer peintre, enfin de se découvrir, par des voies détournées, photographe. Un piéton de Paris au pas forcément lourd, qui trimbalait sa chambre à soufflet – il faut essayer aujourd’hui d’imaginer le poids de ces engins dans leurs coffres en bois ! – de quartier en quartier, rue en rue, devanture en devanture, jusqu’à l’obsession. Commencée vers 1890 comme celle d’un faiseur d’images de référence à destination des peintres, sa carrière de documentaliste de la ville s’est prolongée un peu après la fin de la Première Guerre mondiale.

Les travaux de restauration n’avaient pas encore porté leurs fruits dans cette nature proliférante.

On parle de 8 000 clichés sur plaques de verre, tirages sur papier albuminé, épreuves aux tons mordorés constituées en séries – Paris pittoresque, La Topographie du Vieux Paris… – réunies en albums méticuleux décrivant une ville sur le point de s’effacer. Il les vendra comme il pourra, sans beaucoup de réussite : le succès est un mauvais camarade qui attendra la mort miséreuse du pionnier pour en faire un maître. Contrairement aux premiers de ses pairs, Atget ne maquille pas les photos en peintures : par le cadrage, les lumières, le soin du détail, il invente un art photographique autonome dont l’aspect documentaire revendiqué n’interdit pas la poésie. Vers 1920, épuisé et inquiet de l’avenir de sa collection, il s’arrête de courir les rues. Enfin presque. Puisque les dernières séries d’un Atget « marchant vers l’âge, c’est-à-dire vers 70 ans » sont consacrées aux parcs et jardins. Dont Sceaux, sujet de l’exposition en plein air Sur les pas d’Atget, constituée d’agrandissements disposés aujourd’hui au plus proche de l’emplacement de leur prise de vue en 1925. Les travaux de restauration conduits par Léon Azéma, architecte de la ville de Paris, n’avaient pas encore porté leurs fruits dans cette nature proliférante, hirsute, presque sauvage, qui ronge les marches, les margelles et les statues.

Bassin près du Pavillon de l’Intendance, épreuve positive sur papier aristotype d’après négatif sur verre au gélatino-bromure d’argent, 1925.© Musée du Domaine départemental de Sceaux
Bassin de l’Octogone. Statue : La Paix des Grecs, 7 h du matin, 1925.© Musée du Domaine départemental de Sceaux

Nous sommes en mars à la sortie de l’hiver, nous avançons dans les herbes folles jusqu’à l’été. Le vide, essentiel à la poésie visuelle d’Atget, a dans ces œuvres de l’âge quelque chose de vaguement inquiétant. On imagine déambuler dans le parc en friche sa silhouette vampirique, telle que saisie par la jeune photographe américaine Berenice Abbott. Par les teintes sépia, on pense immédiatement au cinéma de Murnau ; par les sujets de pierre fissurée, à l’œuvre d’Edgar Alan Poe. Et, par la confrontation entre la réalité du domaine au XXIe siècle et son souvenir d’il y a cent ans, aux émotions  la mémoire bercée entre le temps perdu et le temps retrouvé. 

Didier Lamare
Sur les pas d’Atget, en plein air à partir du 9 mars et jusqu’en décembre.
domaine-de-sceaux.hauts-de-seine.fr 

 
 

1923-2023 : la renaissance du Domaine de Sceaux.

C’est le 11 novembre 1923 que la propriété du Domaine de Sceaux passe de la princesse héritière des Trévise au Département de la Seine, ancêtre administratif, si ce n’est exactement géographique, de celui des Hauts-de-Seine. Le patrimoine immatériel de l’histoire n’est pas le seul alors à nécessiter quelques rafraîchissements : sans remonter jusqu’à la démolition en 1803 du château de Colbert, les bâtiments du château, construit au milieu du XIXe siècle par le duc de Trévise, ont servi de casernement pendant la Première Guerre mondiale, les bassins ornementaux abandonnés, les terres et les bois exploités. En première ligne des événements du centenaire, l’exposition Renaissance(s) d’un parc, aux Anciennes Écuries, raconte, de manière très illustrée grâce aux fonds des institutions patrimoniales du Département, les quelque cent ans de vicissitudes qui ont mené à la grande entreprise de renouveau d’un parc et d’un musée, et les cent ans de plénitude qui ont suivi. Pas toujours tranquilles comme l’eau du grand canal – une autre guerre mondiale est passée par là – mais l’impulsion ne s’est jamais figée. En attendant la suite du programme, on annonce déjà, pour la Nuit des Musées du 13 mai, une reconstitution festive de la passation des clés, en 1923, entre la princesse et le préfet, avec automobiles, costumes, musiques et bal populaire d’époque…

Renaissance(s) d’un parc, Anciennes Écuries, du 9 mars au 9 juillet.

Les commentaires sont fermés.