Marie Denis, Forêts noires et d'or, courtesy Galerie Alberta Pane.
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L’INSPIRATION NATURELLE DE MARIE DENIS

À la Maison de Chateaubriand, dans le Domaine départemental de la Vallée-aux-Loups, la plasticienne Marie Denis vient nous parler de la nature en compagnie du maître des lieux.

© Marie Denis courtesy Alberta Pane

Cela commence en Ardèche : un étrange divan crapaud posé dans la nature, tout capitonné de mousses végétales et d’herbes proliférantes. « On sait très bien que c’est un divan, commente dans un documentaire Marie Denis, qui avait négocié l’objet avec sa grand-mère avant de laisser faire la nature, mais il y a un mystère bio-végétal, on entre avec cette forme dans un travail qui a coloré toute la suite, qui a posé le décor : la nature, le végétal, la transformation, le temps… » Ce qui constituait en 1994 un lent processus de mutation est devenu la racine du travail de l’artiste, qui se poursuit depuis et qui fait à chacune de ses expositions l’objet d’un « déploiement » ; elle préfère le mot à celui d’installation, qui suggérerait peut-être trop de stabilité pour celle qui a choisi comme matériau le végétal et sa fragilité, tout en s’efforçant chaque fois d’un peu retenir les choses et le temps qui passe.

Présentée en partenariat avec la galerie Alberta Pane (Paris et Venise), l’exposition, d’une durée exceptionnelle d’un an, évoluera au fil des saisons. Elle s’inscrit dans la volonté de la demeure patrimoniale de faire dialoguer à distance l’écrivain romantique et les plasticiens contemporains à propos de la nature, laquelle tient une place essentielle dans l’œuvre de Chateaubriand comme dans notre siècle de bouleversement climatique. Lors d’un entretien avec Anne Sudre, commissaire de l’exposition et directrice de l’institution départementale, Marie Denis évoque le souvenir de l’œuvre qu’elle présentait à la dernière Biennale de Venise : un espace-herbier intitulé Bla-bla-bla ou la chambre de Seth, double référence au dieu égyptien de la nature en colère et du chaos ainsi qu’à l’inertie bavarde devant la crise écologique. « Ma nature est certes séduisante, mais elle est sombre et loin d’être tranquille. Mon art interroge cette nature nourricière. Mes formes convoquent une idée d’action, de respect, et invitent, je l’espère, à méditer sur cette question existentielle : comment peut-on vivre aujourd’hui sans dénaturer la nature ? »

Marie Denis, Lotus iridescent, 2019.© Marie Denis courtesy Alberta Pane
Marie Denis, Nella Wunderkammer (les spathes), 2019, spathes noires mates (coques de noix de coco).© Marie Denis courtesy Alberta Pane
Marie Denis, La main au sedum, 2023.© Marie Denis courtesy Alberta Pane

La nature comme substance

Dans une cascade de clins d’œil, l’exposition est titrée : Renée ou la nature des choses, évoquant au féminin le héros de Chateaubriand, le prénom du grand-père de l’artiste et la notion de renaissance qui traverse son œuvre. Dans les salles d’exposition temporaire, dans une scénographie épurée fondée sur le noir et le blanc, le yin et le yang, il s’agit de prendre par la main le visiteur pour l’entraîner dans l’univers graphique des herbiers de Marie Denis. Ce ne sont pas des planches de naturaliste, mais un détournement poétique. N’a-t-elle pas réalisé naguère une série autour de feuilles de figuiers passées, déformées, métamorphosées par un fax thermique ? « Je veux offrir au visiteur une voie inédite par où peut entrer sa propre rêverie. » L’univers naturel qu’elle propose est d’ailleurs plus large que l’on pourrait croire : pour Les Extatiques en 2022, Marie Denis exposait en plein air dans le jardin de La Seine Musicale une chimère en aluminium noir, mi-plante mi-araignée, intitulée Louise en référence à l’un des sujets préférés de Louise Bourgeois. « Mon travail est certes végétal mais l’incarnation de la nature passe aussi par d’autres formes : le végétal peut être embossé, métallique, estampé, écrasé ou en bas-relief. Ce n’est pas un art symbolique. Je ne m’inscris pas dans la lignée de l’Art nouveau ou de l’art floral. »

Discrètement intégrées au parcours permanent de la Maison, mises en lumière dans le parc, ou faisant l’objet d’un work in progress dans le cabinet graphique où Marie Denis réalisera des estampes à partir de végétaux recueillis dans le domaine de la Vallée-aux-Loups, les œuvres « converseront » avec Chateaubriand par l’intermédiaire de citations, de livres et d’objets issus des collections. « Mes lectures de Chateaubriand et mes visites ont donc été indispensables pour que je puisse m’imprégner du lieu et de son histoire. J’ai appris que Chateaubriand est arrivé avec Céleste, sa femme, de manière simple, et qu’ils avaient des meubles rustiques et des chaises en paille », rappelle celle qui est née à la campagne et résume ainsi joliment l’origine de sa poésie sensorielle : « Je viens d’Ardèche et des Alpes du Sud, d’allers-retours faits de garrigue et d’eau claire au goût de neige ».

Didier Lamare
Renée ou la nature des choses, œuvres de Marie Denis, Maison de Chateaubriand, Châtenay-Malabry, jusqu’en mars 2024.
vallee-aux-loups.hauts-de-seine.fr 

 
 
 

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