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LA DRÔLE DE FAUNE DE VENISE

Visite au Petit château de Sceaux de Fantaisies animales, qui présente la part la plus facétieuse de la donation de Pierre Rosenberg pour la création du Musée du Grand Siècle. Une exposition familiale, « pop » et décalée.

Ercole Barovier pour Vetreria Artistica Barovier & C. Poisson, série Primavera 1929-1930.© Philippe Abergel

Peut-on imaginer Pierre Rosenberg, académicien français, ancien président-directeur du Musée du Louvre où il fit toute sa carrière de conservateur, spécialiste du XVIIe siècle français, de la peinture et des dessins de Nicolas Poussin, de Chardin, de David et on en passe, peut-on sérieusement l’imaginer collectionner, en marge de ce qui constitue l’essentiel de sa vie professionnelle, des animaux en verre de Murano ? Et pourtant… C’est en 2020 que s’est concrétisée la donation au Département des Hauts-de-Seine de ses collections, noyau du futur musée du Grand Siècle aménagé sur le site de l’ancienne caserne Sully de Saint-Cloud par l’architecte Rudy Ricciotti et le groupement mené par Fayat Bâtiment ; la première pierre vient d’être symboliquement posée au début de l’automne. Un impressionnant ensemble de près de 700 tableaux et 3500 dessins du XVIe au XXe siècle, 50 000 ouvrages mais aussi… pas loin de 700 sculptures animalières constituant une drôle de ménagerie de verre vénitien. Alexandre Gady, directeur de la Mission de préfiguration du musée du Grand Siècle – qui occupe en attendant 2026 les espaces du Petit château de Sceaux – évoque souvent le « regard universel » de Pierre Rosenberg et il s’amuse des conseils prodigués de toute part au moment de la donation : « Surtout, ne prenez pas les animaux en verre de Murano ! Des tableaux, des dessins, des livres, oui, mais pas ça… » Ce qui en dit long sur le regard, pour ne pas dire le soupçon, très français, qui distingue les beaux-arts des arts décoratifs, un héritage, pour le coup Grand Siècle lui aussi, de l’Académie royale de peinture et de sculpture. Et plus long encore sur la fantaisie intime du collectionneur Pierre Rosenberg qui ne remet pas en question cette hiérarchie des genres tout en chassant avec gourmandise la drôle de bête.

Napoleone Martinuzzi pour Venini. Cheval, vers 1930.© Philippe Abergel

Esprit d’enfance

Une centaine de pièces ont été choisies par Virginie Desrante, conservatrice en chef du patrimoine, chargée des sculptures, du mobilier et des objets d’art au musée du Grand Siècle, pour présenter au public un visage inattendu de l’institution. « L’exposition s’adresse d’abord à un public familial, explique-t-elle, parce que la collection s’y prête par son aspect un peu “cartoon”, les couleurs très vives, acidulées, le côté sucre d’orge… » Une exposition qui serait à destination des enfants, de tous les enfants, celui qui l’est par l’âge comme celui qui le demeure par la jeunesse d’esprit. « C’est une collection très attachante, au-delà de la très belle matière mise en œuvre, des designers importants qui ont donné des dessins pour des manufactures de renommée internationale. Elle propose un double regard sur des savoir-faire très complexes, qui remontent pour certains au Moyen Âge, et en même temps sur l’aspect “pop”, souriant, décalé ».

Les animaux terrestres, familiers ou exotiques, sont présentés en cortège un peu à la manière de la Grande Galerie de l’Évolution… 

La scénographie prend le parti de la sobriété pour mettre en lumière, tous volets ouverts et avec l’appoint de l’éclairage électrique, les vitrines thématiques – terre, mer, air – où trouvent refuge les petites bêtes. Qui ne le sont pas tant que ça : on imagine des bibelots, et l’on découvre des sculptures en verre, la plupart entre trente et soixante centimètres dans leur plus grande dimension, pesant parfois plusieurs kilos ! Dans la grande salle, les animaux terrestres, familiers ou exotiques, sont présentés en cortège un peu à la manière de la Grande Galerie de l’Évolution. En face, ce sont comme des aquariums où semblent nager poissons et poulpes – une place royale étant réservée au Poisson d’Ercole Barovier, réalisé en 1929-1930 en verre Primavera – sinon la plus grande, du moins la plus importante pièce de la collection. Le second espace est attribué comme il se doit aux volatiles de toutes sortes, ici une basse-cour, là une volière. 

À gauche Flavio Poli pour A.S.V. Barovier. Seguso Ferro. Renard endormi, 1935-1936 et à droite, attribués à Carlo Scarpa (1906-1978) pour M.V.M. Cappellin & C. Poulpe, 1929-1930.© Philippe Abergel

Des techniques centenaires 

Pierre Rosenberg est un Vénitien de fréquentation régulière ; il s’y retire de l’agitation parisienne de nombreuses semaines par an pour se consacrer à ses travaux d’écriture. Le premier verre à entrer dans sa collection est un drôle de poisson noir et jaune de la manufacture de Licio Zanetti, datant des années soixante-dix, repéré dans un restaurant. Suivra le basset en pâte de verre rouge (1937) de Seguso Vetri d’Arte qu’on verrait bien au casting d’un Wallace & Gromit, puis des centaines d’autres : canards des années cinquante d’Ercole Barovier qui jouent les Saturnin, poussins « pop » d’Alessandro Pianon aux airs de Shadoks… Est-ce à dire qu’on n’est pas sérieux quand on a soixante-cinq ans et qu’on commence, en 2001, à collectionner du Murano ? Si Pierre Rosenberg ne travaille pas ici en historien d’art, il s’intéresse néanmoins aux styles et aux savoir-faire derrière chacun de ses coups de cœur. « À Venise, certaines entreprises de verrerie datent du XIVe siècle, rappelle Virginie Desrante qui a également rédigé le catalogue de l’exposition. Les verriers se réapproprient des techniques qui remontent au XVIe siècle pour les mettre au goût du jour, par exemple le verre filigrané, ou le verre lattimo imitant la porcelaine et le décor phénicien hérité de l’Antiquité. D’un autre côté, il y a des innovations. Dans les années trente, le verre massif supplante la tradition du verre soufflé. On immerge un cœur de couleur dans des couches de verre transparent, parfois saturées de petites bulles d’air comme dans le bullicante. On invente un verre semi-opaque, le pulegoso, pour mettre en valeur des formes sculpturales souvent rustiques. Les années trente, c’est l’âge d’or des animaux de Murano avec le style Novecento, un courant de l’art déco qui s’inscrit dans la redécouverte des racines par l’art étrusque, de l’identité péninsulaire. » 

L’esprit d’enfance, pour les petits comme pour les grands, est un esprit de curiosité. L’exposition Fantaisies animales nous ouvre un domaine étonnant, accessible à la diversité des attentes de chacun. Comme d’ailleurs le catalogue qui l’accompagne, que les enfants peuvent feuilleter comme un livre d’images et les parents lire comme un ouvrage de référence.

Didier Lamare

Fantaisies animales. Les verres de Murano de la donation de Pierre Rosenberg. Musée du Grand Siècle – Pavillon de préfiguration,
Petit château de Sceaux, jusqu’au 31 mars 2024.
Informations sur les animations et les ateliers en famille : museedugrandsiecle.hauts-de-seine.fr 

 
 

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