Le directeur du Réacteur, Marino Crespino met tout en œuvre pour que la filière privée s’empare de ses protégés. À ce sujet il a forgé le terme de « découvrabilité de l’artiste ». Photo : CD92/Willy Labre
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L’ÉMERGENCE, UN TRAVAIL DE FOND

Le soutien à l’émergence artistique est une priorité de la politique « musiques actuelles » du Département. À l’occasion du festival Chorus, le jeudi 30 mars une sélection de groupes alto-séquanais bénéficiera d’une vitrine exceptionnelle.

Jusqu’à l’été, saison des festivals, les déplacements vont aller crescendo pour Medium Douce. « Après avoir pas mal tourné dans les Hauts-de-Seine, on commence à élargir notre périmètre », explique Johann. « En 2022 on surtout fait beaucoup de Bretagne et d’Est », s’amuse Manon. « Il n’y a pas un centimètre cube de perdu dans les véhicules », se souvient Justine. Le son électro-acoustique de ces quatre amis du conservatoire, riche en percussions de type marimba, batterie ou vibraphone, est en effet un peu encombrant… Créé à Versailles en 2016 et basé à Saint-Cloud, le groupe a été accompagné de 2019 à 2021 par le 25 de la Vallée, le pôle « musiques actuelles » de la MJC de Chaville. « On maîtrisait notre jeu et nos enchaînements, par contre on avait besoin de travailler notre son en conditions de concert », se souvient Manon. Avec ses studios, sa salle de spectacle et son café-concert, l’endroit était approprié. « Il est naturel pour les émergents d’aller voir l’acteur de proximité, puis petit à petit d’aller de plus en plus loin, pour chercher d’autres ressources, d’autres dates, estime le directeur de la MJC, Rémy Ardaillon. On essaie de leur donner les moyens d’avancer. »

Medium douce, quatre garçons et filles dans le tempo, a bénéficié de résidences successives au 25 de la Vallée, à Chaville, pour faire de son live un vrai spectacle.© CD92/Willy Labre

Une longueur d’avance

Ce travail de repérage et d’accompagnement est aussi mené sur le territoire par Le Tamanoir à Gennevilliers, Le Réacteur à Issy-les-Moulineaux ou encore la Maison Daniel-Féry, à Nanterre, dans le hip-hop, « lieux structurants d’intérêt départemental » pour les musiques actuelles, subventionnés à ce titre par la collectivité. « En programmant et en accompagnant des émergents, ils leur donnent une longueur d’avance en terme d’expérimentation de leur projet », explique Antoine Pasticier, chef de projet Musiques actuelles du Département – une catégorie qui englobe « toutes les musiques à l’exception du classique ». D’autres acteurs – écoles de musique, MJC et collectifs, festivals – n’en sont pas moins essentiels dans le parcours, plus ou moins long, parfois fulgurant à l’ère des réseaux sociaux et de la musique assistée sur ordinateur, qui mène de l’amateur au professionnel. « Si ces structures municipales ou associatives (soutenues pour la plupart par le biais des contrats Département/ville, du schéma départemental d’enseignement artistique et culturel et de l’aide aux festivals, Ndlr) n’existaient pas, il n’y aurait rien après. Là où il y a ce type d’équipement, on constate que beaucoup de projets professionnels émergent ensuite », souligne Antoine Pasticier qui cite la SUM à Sèvres ou Musiques Tangentes à Malakoff.

Ce type d’accompagnement débouche sur un projet solide et donne une assise très forte.

À la MJC de Chaville, Medium Douce qui souhaitait travailler la scène a été exaucé. Une première résidence rémunérée lui a permis de régler son ballet – ces percussionnistes jouant à échanger leur poste lors du spectacle, attention à la collision – suivie d’une seconde résidence pour le son et d’une troisième pour la lumière. Des restitutions de ce travail ont eu lieu lors du festival versaillais Électrochoc et à l’occasion d’un showcase privé. Alors qu’il leur paraissait « incroyable de se projeter sur un an », ils ont appris à faire choix stratégiques : arbitrage entre concerts et studio, EP et album, choix du calendrier des sorties… Deux ans, de nombreux concerts plus tard et à l’orée d’un troisième EP, Medium Douce cherche à s’entourer davantage : en plus de leur manager, un éditeur ou un tourneur seraient ainsi les bienvenus et leur permettraient de se recentrer sur l’artistique. « On veut plus de musique et moins du reste », insiste Maxime. Medium Douce est leur projet principal mais pas leur seule activité musicale puis qu’ils jouent dans d’autres ensembles et que certains enseignent. « Il faut se diversifier », explique Johann. « Le métier de musicien, à 99 %, consiste à avoir un projet dans lequel on s’épanouit et de compléter à côté », confirme Rémy Ardaillon. Selon Antoine Pasticier, « ce type d’accompagnement débouche sur un projet solide et donne une assise très forte. Aujourd’hui, des artistes font le buzz sans avoir fait un concert de leur vie mais dans dix ans, seront-ils encore là ? »

L’Isséenne Madeleine, après quatre ans de travail acharné sur son projet solo, se produit à l’Emergence Day le 30 mars. Une nouvelle étape de son parcours.© CD92/Willy Labre

L’appel du large

Sous une frange myosotis assortie à ses yeux, Madeleine fait corps avec son personnage, une jeune femme entre « réel et rêve », auteur-compositrice et interprète d’une chanson française electro-pop aux réminiscences classiques et orientales. En 2018, alors que l’Isséenne a quitté son travail dans « la finance » pour se consacrer à ce projet solo, son entourage lui conseille d’aller voir le Réacteur, structure gérée par l’association Le Clavim et financée par la ville. Marino Crespino son directeur copréside le « Réseau Île-de-France des musiques actuelles » (RIF), fort de 150 structures qui mutualisent leurs savoir-faire au profit des artistes émergents. Madeleine, qui espérait « être éclairée sur les attentes des différents acteurs de cette industrie », ne pouvait espérer meilleur guide. Avec l’appui du Réacteur, elle a pu structurer son répertoire, studio et live, trouver ses techniciens ou encore décrocher une bourse du ministère de la Culture qui l’aide à payer certains cachets. Depuis, elle a sorti deux EP, enchaîné pas moins d’une quarantaine de dates et mesure le chemin parcouru. « Aujourd’hui on achète mon concert, alors qu’à l’époque je suppliais qu’on me laisse jouer ! » Elle reste cependant la principale organisatrice de ses tournées et espère trouver « le bon partenaire pour vendre le spectacle et le faire progresser ». « Madeleine est prête à émerger, maintenant il faut voir à quel moment son travail va pouvoir basculer dans le privé, être pris par un label, et distribué grand large », estime Marino Crespino, qui a proposé sa candidature à l’Emergence Day du festival Chorus des Hauts-de-Seine où elle se produira aux côtés d’autres groupes du territoire. « Je suis très heureuse que cela arrive maintenant car je pense que le projet avait besoin d’une certaine maturité : il y a des rencontres qu’on n’a pas la chance de faire deux fois », dit-elle.

Lors de cette journée organisée en partenariat avec le RIF, se côtoient les six lauréats de la sélection du Prix Chorus, de portée nationale et un double panel local : deux représentants du tremplin PAPA, accompagnés par le Département et les sept groupes de la « carte blanche au territoire », sélectionnés par les acteurs de proximité. « L’objectif est de mettre davantage en valeur le travail de repérage et d’accompagnement réalisé par le Département et le territoire qui est un maillon essentiel de Chorus ; nous ne sommes pas hors-sol », précise Antoine Pasticier. Les quinze groupes retenus en 2023, dont Madeleine et Medium Douce, auront donc face à eux pendant trente minutes une concentration peu commune de spécialistes : programmateurs, managers, producteurs, tourneurs, et même des représentants de labels. Cerise sur le gâteau, cette année une analyse sera livrée aux participants, avec des pistes d’amélioration. Pour le grand public, l’Emergence Day est la plus belle manière d’entrer dans le festival, qui se poursuivra jusqu’au dimanche 2 avril et de découvrir en avant-première de futurs grands

Pauline Vinatier
chorus.hauts-de-seine.fr

 
 

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