Ce travail de longue haleine a déjà donné lieu à une première restitution en conditions professionnelles au Centre d’art et de culture de Meudon. Photo : CD92/Olivier Ravoire
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UNE PARTITION VENUE D’AILLEURS

Dans le cadre du dispositif départemental « Labo des festivals », une vingtaine d’élèves des conservatoires découvrent l’univers du jazzman Samy Thiébault, placé sous le signe du métissage et des Caraïbes. Un projet à découvrir sur scène, à La Défense Jazz Festival, le 26 juin.

Les plus studieux d’entre eux ont commencé à répéter, tandis que sur un piano d’adoption un groupe s’amuse à reproduire des airs pop. Dans une cacophonie annonciatrice de la dernière répétition générale, les notes éparses du clavier se mêlent au frottement des cordes, au souffle éclatant des cuivres et à celui plus feutré des bois. Élia, l’air détendu, bouquine au soleil. « On a l’habitude de jouer en public même si là, ça prend une autre tournure », admet la hautboïste de 14 ans, rassurée par cette pensée : « Ce soir le chef d’orchestre sera là pour nous guider ». Sur la scène du Centre d’art et de culture de Meudon (CAC), David Zambon est le garant de la cohérence et du phrasé d’ensemble. « Certes, ils ont déjà beaucoup de pratique collective mais ils ont dû se confronter à une musique et à une partition différentes et ils accompagnent une formation connue qui donne un concert payant, explique le directeur du conservatoire municipal Marcel-Dupré. C’est une expérience nouvelle pour eux. » Pendant que son groupe patiente dans le hall, en plateau le quartet de jazz a entrepris ses balances, hélant les techniciens perchés dans la régie tout en haut des gradins. Saxophoniste, pianiste, batteur et contrebassiste expérimentés forment avec les douze jeunes amateurs un ensemble hybride entre jazz et classique.

De Mozart et Bach qu’ils étudient au conservatoire à cette partition jazz, le dépaysement est total.© CD92/Olivier Ravoire

Échappée caribéenne

Avec cette résidence à Meudon, Samy Thiébault revisite Awé, dernier opus d’une trilogie caribéenne qu’il a voulu une ode à la créolisation ; un album présenté à La Défense Jazz Festival il y a deux ans dont « tous les arrangements ont été réécrits pour l’occasion ». Le format du Labo des festivals a séduit tant le pédagogue, il enseigne au conservatoire de Choisy-le-Roi, que le passionné d’écriture, diplômé du Conservatoire national d’études supérieures de Paris. « Ce projet me permet d’étendre mon album sur une formule orchestrale pour mélanger l’univers classique et le jazz mais aussi d’échanger avec la jeune génération ; pour moi il n’y a pas de créolisation sans transmission. »  Sly Johson, Fada Freddy, André Manoukian ou Céline Bonacina  l’ont précédé dans ce dispositif départemental tandis qu’un second projet autour du jazz est emmené cette année par la batteuse et compositrice Anne Pacéo avec le théâtre des Gémeaux et une chorale d’amateurs de Sceaux.  « La plupart de ces créations sont participatives. On profite de nos grands festivals, Chorus et La Défense Jazz Festival, pour mettre en contact des artistes d’envergure nationale avec des amateurs qui vivent ainsi des expériences artistiques hors du commun », explique Antoine Pasticier, chef de projet musiques actuelles au Département. À Meudon, le CAC a sollicité en bon voisin le conservatoire Marcel-Dupré – les deux structures donnant sur un même parvis – pour monter cet orchestre symphonique miniature. « En tant que cordiste (joueur de cor, Ndlr) cette année, je joue du Bach et du Mozart. Là, je suis sur un projet avec un saxophoniste et un batteur. Ça change ! », se réjouit Gabriel, 17 ans, intéressé par « l’art de l’improvisation » : « Les musiciens de jazz sont très créatifs. D’une fois sur l’autre ce ne sont pas forcément les mêmes notes ». Les élèves, eux, n’improvisent pas mais la partition qu’ils ont dû s’approprier n’est pas exempte de difficultés. Plusieurs séances de groupe, sans compter le travail individuel avec leurs enseignants, ont été nécessaires avant le premier filage, la veille, sur cette même scène du CAC en présence de l’ensemble des protagonistes. « Cette séance nous a permis de recevoir des indications d’interprétation », poursuit Gabriel. « C’était un peu la pagaille car on avait travaillé en autonomie jusque-là, raconte Elia. Aujourd’hui ce sera plus facile. »

Samy Thiébault a réécrit en partie son dernier album Awé pour ce projet choral et pédagogique.© CD92/Olivier Ravoire
Les jeunes musiciens classique ont dû apprivoiser les différences rythmiques et harmoniques.© CD92/Olivier Ravoire

Déferlement sonore

Les élèves, arrivés dans l’amphithéâtre, sont à présent installés derrière trois rangées de pupitres, à droite du quartet. Descendus de la régie, des faisceaux multicolores jouent sur les silhouettes leur mélodie silencieuse et un peu facétieuse. Au signal, les cuivres s’élancent les premiers, rejoints aux mesures suivantes par les cordes et les bois. Ce souffle collectif reflue peu à peu pour laisser place à un premier solo. Au saxo, Samy Thiébault défriche gracieusement le silence. Alors que déferle l’univers luxuriant d’Awé, emplissant l’espace, les oreilles et le corps, une infaillible vigie traque couacs et décalages. « Vous commencez à mon signe et pas une mesure avant !, prévient David Zambon. On est sur un concert pro, où il faut être à 1000 % ! » Chacun compte, écoute et scrute le chef d’orchestre soucieux de s’engager au bon moment. « C’est plus difficile que dans les autres ensembles, commentera plus tard Martin, violoncelliste : « On ne sait pas toujours quand entrer et sortir car les temps forts ne sont pas les mêmes et les harmonies peuvent changer en fin de mesure ». « C’est un orchestre de solistes, ce qui demande plus de concentration et des nerfs solides. Ils ne peuvent pas se cacher derrière les autres », reconnaît David Zambon. L’énergique Awé, titre éponyme de l’album et interjection cubaine typique reprise en chœur, vient clore sur une communion finale cette répétition. Plusieurs heures se sont écoulées et au dehors la nuit est tombée. Il leur reste le temps de rentrer chez eux et de revêtir, en vue de la soirée, leurs habits de gala.

Deux résidences, trois concerts

Rythmé par deux résidences et trois restitutions, le projet qui s’étalera sur un an doit se poursuivre mais, déjà, Samy Thiébault se félicite du chemin parcouru. « Je suis content d’avoir fait jouer ces arrangements à des élèves habitués au classique et, à travers cela, de leur avoir parlé de créolisation du jazz, de musique d’esclaves et d’invention, dit-il.  Notre musique n’est pas innocente, elle est chargée de toute cette histoire et de tout ce devenir. » Cinq saxophonistes du conservatoire municipal de Clichy ajouteront bientôt à la flamboyance de l’ensemble. Après une dernière répétition à La Seine Musicale, ce 26 juin les jeunes des deux conservatoires se produiront à La Défense Jazz Festival avec le quartet – certainement un moment d’anthologie pour beaucoup d’entre eux. « On a choisi ces deux villes parce qu’il y avait des programmateurs qui avaient une appétence pour ce projet et qui travaillaient de près avec les conservatoires », précise Antoine Pasticier. Après quoi, Samy Thiébault entamera une résidence avec le seul brass band à Clichy, suivie d’une restitution à l’auditorium du conservatoire, à l’automne. Autant de variations, de croisements et d’échanges autour d’Awé et avec la bénédiction du Labo des festivals.

Pauline Vinatier
Le 26 juin à 18 h 30, Paris La Défense. Gratuit.

La Défense Jazz Festival, du 26 juin au 2 juillet

Événement gratuit et en plein air, La Défense Jazz Festival propose une approche généreuse du jazz ouverte à tous les styles, du blues à l’electro-jazz en passant par la soul, le jazz rock ou l’afro beat. La programmation alterne grands noms et parfois même légendes du jazz, valeurs montantes et découvertes comme les six lauréats du Concours national de jazz, dévoilés fin mai et invités à se produire les 28 et 29 juin prochains.

ladefensejazzfestival.hauts-de-seine.fr 

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